La théodicée et la question du mal
La réalité du mal sous toutes ses formes a été un problème central analysé par ce que l’on appelle la théodicée, terme utilisé par Leibniz, depuis les premiers siècles du Christianisme. A la question comment un Dieu tout puissant et omniscient a-t-il peut-il accepter le mal on a apporté diverses réponses plus ou moins satisfaisantes de St Augustin à Leibniz et jusqu’à aujourd’hui. Mais peut-être que le problème a simplement été souvent mal posé en partant d’affirmations sur Dieu, comme son omniscience et sa toute puissance qui ne sont pas vraiment fondées sur les textes bibliques.
Le Credo des catholiques et de nombreuses autres dénominations chrétiennes affirme dès le début que le Dieu créateur de l’univers est « tout puissant » et on enseigne au catéchisme qu’il est omniscient, omnipotent et omniprésent. Cela amène assez tôt les enfants à poser des questions quelque peu embarrassantes sur le mal à leur professeur de catéchisme, du genre comment un Dieu qui sait tout et peut tout a pu laisser le mal se développer. Ce dernier, pour clore les débats, a parfois une réponse assez simple, il s’agit d’un « mystère » dépassant leur compréhension qu’il s’agit d’approfondir lors de leur croissance dans la foi, réponse qui laisse un sentiment de frustration et d’insatisfaction chez les jeunes élèves.
La question du mal loin de se simplifier, est devenue plus compliquée au fil des siècles quand des théologiens de premier plan comme Thomas d’Aquin se sont efforcer de réaliser une synthèse entre la philosophie grecque, en particulier Aristote, et la théologie chrétienne et ainsi construire un merveilleux édifice intellectuel qui avait néanmoins certains points faibles. On pourrait parler aussi de Leibniz qui a fait une brillante contribution sur ce sujet utilisant le terme de théodicée, contribution qui lui a valu des moqueries de la part de Voltaire dans son Candide.
Pour Aristote, Dieu était la cause première, le premier moteur par qui tout était mu et qui ne pouvait être mu ou affecté par sa création.
Quand à Platon, son idée du bien absolu se situe complètement au-delà des vicissitudes de ce monde qui selon le mythe de la caverne, n’est qu’un monde d’apparence dans lequel les idées pures ne sont qu’imparfaitement reflétées.
Ces approches philosophiques nourriront l’idée de « l’impassibilité » de Dieu montrant selon Thomas d’Aquin la négation de toute dépendance ontologique de Dieu à notre égard et des conceptions compliquées comme l’idée que Jésus souffrait à la crucifixion dans sa chair mais pas dans sa divinité.
Mais ainsi on s’éloigne du Dieu biblique que Jésus dépeint clairement Dieu comme un père aimant qui cherche ses enfants perdus (l’enfant prodige, le bon pasteur) et qui souffre de leur éloignement et non un premier moteur impassible.
Il faudra attendre le 20ème siècle pour que des théologiens remettent en question ces idées.
Le plus complet d’entre eux, Jürgen Moltmann, professeur pendant plus de 40 ans à l’université de Tübingen, auteur de la théologie de l’espoir, explique clairement dans son livre « le Dieu crucifié » que dire que Dieu ne souffre pas signifie qu’il n’aime pas. Si Dieu n’est pas « leidensfähig » (capable de souffrance), explique t-il dans un langage simple, il n’est pas « liebensfähig » (capable d’amour) car l'amour s’accompagne du risque de la souffrance si il est rejeté.
En aimant l’homme, nous dit Moltmann, Dieu a pris le risque d’être rejeté par l’homme et donc de souffrir et c'est ce qui s'est passé dès l'origine avec l'histoire de la chute. D’une certaine façon, Dieu a limité sa toute puissance par la création de l’homme en tant partenaire libre et co-créateur.
Moltmann critique les théologiens du Moyen Age qui en voulant faire de brillants systèmes théologiques se sont selon lui éloignés du Dieu de la Bible.
Par ses conceptions qui permettent un retour aux sources, Moltmann, un ancien soldat de la Wehrmacht qui s’est intéressé au Christianisme et à la théologie parce qu’il avait du temps à perdre dans un camp de prisonniers de guerre en Angleterre, fait un retour aux sources, revenant à un Dieu riche en émotions, souffrance, colère, joie, tristesse et s’éloignant d’une conception de Dieu qui doit plus à Platon et Aristote qu’aux prophètes et à Jésus.
Ses vues sont partagées du côté catholique par le théologien et prêtre suisse, Maurice Zundel ou le moine allemand Anselme Grün.
En France le philosophe catholique Jacques Maritain avait déjà écrit que Dieu souffre plus que l’homme car étant plus sensible à la déchéance de l'homme par rapport à son idéal pour lui, il souffre avec lui et plus que lui. « Si les gens savaient que Dieu souffre avec nous et bien plus que nous, alors beaucoup de choses changeraient sur terre » écrit-il dans un texte sur l’innocence de Dieu après la deuxième guerre mondiale.
Dans les milieux chrétiens, en particulier charismatiques s’est répandue la compréhension d’un Dieu vulnérable en se basant entre autres sur la recommandation utilisée par Paul dans la lettre aux Ephésiens de « Ne pas attrister le Saint Esprit.. » (Eph. 4.30). .
Mais cette compréhension trouve toujours une certaine opposition chez des théologiens, ou membres du clergé, ainsi Hans Küng, le théologien catholique suisse, n’était pas sensible aux arguments de Moltmann en faveur d’un Dieu souffrant.
Plus traditionnellement, cette vue semble chez certains contredire l’idée de la toute puissance de Dieu et on réserve souvent chez les catholiques cette souffrance compassionnelle à Marie ou aux saints.
Pourtant, cette compréhension permet de répondre correctement aux questions des enfants du catéchisme car comme l’a montré Moltmann, elle permet de résoudre le dilemme de la Théodicée, « comment un Dieu tout puissant et tout amour peut-il accepter le mal et la souffrance de l’homme ? » par cette réponse profonde, « Dieu n’a pas voulu ni prévu le mal mais a seulement prévu sa possibilité comme l’indique l’avertissement à Adam et Eve cité dans la Genèse « si vous en mangez, vous mourrez ». Il est avec les hommes et souffre avec eux tout au long de l’histoire et ne les regarde pas à distance comme des objets d’expérimentation. »
Moltmann reprend une expression du pasteur Dietrich Boenhoffer exécuté par ordre personnel d’Hitler en 1945, « Ce n'est pas l'acte religieux qui fait le chrétien, mais sa participation à la souffrance de Dieu dans la vie du monde » (extrait de « Résistance et Soumission »). Il explique que Dieu « mitleidet », « souffre avec » l’homme sur terre.
Ainsi face à ceux qui argumentent que l’on ne peut croire en un Dieu aimant et tout puissant après la Shoah, sa réponse est que Dieu était avec les prisonniers des camps jusque dans les chambres à gaz, souffrait avec eux. Il retrouve dans cette approche les intuitions d’Etty Hillsum, la jeune juive hollandaise qui a découvert la présence et la beauté de Dieu dans le monde concentrationnaire.
Bien sûr, il faut choisir, on ne peut avoir à la fois un Dieu omnipotent, omniscient, connaissant tout du passé et du futur et en même temps tout amour.
Soit on a un Dieu tout puissant et pas tout amour ou un Dieu aimant, et à cause de cela vulnérable et donc pas tout puissant, qui a limité son pouvoir face à la liberté humaine et qui ne sait comment l’homme va réagir à son appel.
On peut se demander si ces dogmes sur l’omnipotence et l’omniscience correspondent vraiment au Dieu révélé dans la Bible.
Ainsi le Dieu de la Bible, lors de la création, « vit tout ce qu’il avait fait et voici : cela était très bon » (Genèse 1 :31). Si dès la création, il avait envisagé tous les malheurs à venir de l’humanité et eu la certitude de la venue de ces malheurs, il aurait peut-être hésité avant de qualifier cela de très bon.
Les Ecritures montrent un homme qui est souvent imprédictible pour Dieu, le déçoit. Dans le 1er livre de Samuel (1 Samuel 15-11), le prophète Samuel se mettant à la place de Dieu nous dit « je regrette d’avoir fait Saul roi », à la suite de la désobéissance du premier roi des juifs.
De même Dieu, par la bouche de Moïse avant sa mort, dit au peuple élu que si il (le peuple juif) fait le bien, il sera béni, s’il ne le fait pas, il rencontrera toutes sortes de malheurs. Comment dire plus clairement que tout n’est pas joué à l’avance, que tout n’est pas connu ou écrit à l’avance.
Par la bouche des prophètes, Isaïe et Osée en particulier, Dieu se compare à un amant délaissé par une femme infidèle, cela non plus ne correspond pas vraiment à une certaine idée de la toute puissance de Dieu.
Certains diront qu’il s’agit d’anthropomorphismes, d’une vision humaine de Dieu mais sur quoi se basent-ils pour critiquer ces textes ?
En effet, quelle est la source la plus fiable : des spéculations de théologiens cherchant à faire une brillante synthèse entre la foi des premiers chrétiens et les grands philosophes grecs ou les textes bibliques dans toute leur fraîcheur ?
Finalement, peut-être qu’une bonne théologie devrait répondre simplement aux questions des enfants.
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