Le B.A-BA du sauvetage de la médecine générale
Je suis médecin généraliste, libéral, sévissant en milieu rural :) A en croire les médias, mes patients et même les syndicats de médecin généraliste, je suis une sorte de créature en voie de disparition. Et à chacun de donner son avis pour me sauver.
Même que les autres médecins généralistes "en activité" ont des idées pour leur propre survie. Le gouvernement a même engagé tout un comité d’experts pour évaluer mes chances de survie.
… Le problème n’est pas les idées des gens présents mais ceux qui viendront après … s’il y a des gens qui voudraient prendre notre place dans quelques années.
Ces questions je ne me les suis pas posées aujourd’hui, mais hier, avant mon installation.
Comme nombre de mes jeunes confrères, les neuf-dixièmes si les statistiques sont bonnes, je me destinais plutôt à l’époque à une activité salariée et à vrai dire, j’avais même quelques pistes très sérieuses. Mais, comme ça arrive de temps en temps, la vie fait le choix à notre place. Ma femme tomba enceinte. Elle est généraliste comme votre serviteur et elle a toujours voulu exercer une activité libérale. Bref, la grossesse la fatiguant (heureusement que nous étions internes en fin de cursus à l’époque et donc salariés de l’état), elle a dû s’arrêter quelques mois juste pour pouvoir récupérer. J’ai réfléchi alors et je me suis dit comment elle va pouvoir faire dans le futur, si nous voulions un autre enfant … Si elle exerçait en groupe, comment les autres médecins réagiraient ? Si elle exerçait seule, comment ferait-on pour le cabinet ou ses patients ? Je me suis dit alors que la seule personne qui accepterait une future absence prolongée ne pourrait être que moi et comme je ne voulais exercer en ville (ayant vécu les 18 premières années de mon existence dans une mégalopole lointaine) j’ai pris la succession d’un confrère de campagne pour mon plus grand bonheur (ce n’est que vérité, sans aucune ironie de ma part).
Les raisons que j’évoquais pour NE PAS VOULOIR exercer en médecine libérale sont restées les mêmes … 10 ans après : les multiples tâches administratives, les charges, l’impossibilité de prendre des vacances à ma guise, l’épée de Némésis d’une quelconque raison qui m’obligerait d’arrêter mon activité ne serait-ce que pour quelques mois (accidents, maladie et j’en passe), l’absence de remplaçants etc … Les réponses que j’avais trouvées à l’époque pour y remédier alors que je n’étais même pas installé restent toujours valables à ce jour.
Les réponses apportées par les syndicats, le gouvernement et autres ne m’ont jamais satisfaites car tout tourne autour de 2 axes : mesures coercitives et mesure incitative. J’ai fait exprès de mettre l’incitation au singulier car tout le monde demande la même chose … Du fric ;) Le fric, n’a jamais été un problème pour un généraliste rural. Je gagne plus que correctement ma vie. Je vois quoi, 22 à 30 personnes par jour. Tout le monde connaît le prix d’une consultation en médecine générale. Il suffit donc de savoir faire une simple multiplication pour comprendre que le fric n’est pas un problème si on n’a pas de besoin immodérée. Je conduis la même voiture depuis huit ans. Mes 3-4 semaines de vacances par an ne se passent pas en compagnie des stars du show biz et mon simple plaisir est de pouvoir changer mon ordinateur portable tous les 18 mois et de m’octroyer des petits plaisirs de temps en temps. Mais bien que nombre d’entre vous ne me croiront pas, si j’arrête de travailler pendant 6 semaines (si les calculs de mon comptable sont justes), je mets les clés de mon cabinet sous la porte car je n’aurais pas les moyens de payer mes charges, mes prêts et mes taxes. C’est aussi simple que ça. Tant que je pourrais travailler, je n’ai pas de soucis financiers (ou presque) ;)
Le climat économique et social du monde actuel est un climat disons … insécure si vous me permettez ce néologisme franglais. Tout le monde veut la même chose. Plus de tranquillité, plus de sécurité. L’ataraxie (l’absence de troubles) épicurienne du point de vue socio-économique en quelque sorte. Comment apporter cette ataraxie au corps médical menacé de disparition ? La réponse est simple, leur donner ce que 9/10 des nouveaux médecins fraîchement sortis de la faculté souhaitent : une médecine générale salariée.
Je m’explique. Prenons un coin rural atteint de la pathologie de la désertification médicale. Plantons-y une maison médicale pouvant accueillir, disons, 3-4 médecins. Proposons aux médecins qui veulent s’installer un salaire fixe pour … on va dire une quarantaine d’heures de travail par semaine (les 35 heures en milieu rural … euh … je ne vais même pas en parler ;) ). Si les médecins travaillent plus (ce qu’ils vont faire), ils seront payés en heures supplémentaires comme dans toute entreprise. Par contre, adios les tâches comptables, la caisse de retraite libérale dont personne n’est sûr de sa survie dans quelques années, l’impossibilité de prendre des vacances, de pouvoir débuter une grossesse ou de tomber malade. Ceci pour les médecins. Du côté des patients, étant donné qu’ils vont se retrouver dans une structure d’état, ils n’auront pas à payer quoi que ce soit. Le paiement à l’acte disparaissant, la course à l’acte disparaît itou. Qu’on puisse combiner ces structures avec les hôpitaux locaux et régionaux en permettant aux médecins ayant le même statut que les hospitaliers de pouvoir suivre leurs patients dans les hôpitaux locaux et se servant des mêmes structures comme maison médical de garde … oh, pincez-moi, je rêve ;) Bien sûr qu’on pourrait doter ces structures d’un local infirmier, d’un secrétariat etc … pour en faire de véritables centres de soins ruraux.
J’avais évoqué ces réponses il y a 10 ans avec mes confrères. Je m’étais heurté à l’époque à un barrage de rires et de moquerie. Il y a 5 ans, moins de rires et de moquerie. Il y a quelques années le gouvernement a créé le statut de médecin collaborateur. Dans mon petit coin de campagne, sur plus d’une trentaine de médecins participant aux gardes, nous en avons UN, de médecin collaborateur (c.à.d. salarié d’un autre médecin). Et le salarié en question est l’épouse du premier (ce n’est pas moi je vous rassure). Pourquoi me direz-vous que ce statut n’est pas plus … attractif ? Réponse simple : ego du monde médical. Aucun médecin ne veut qu’un confrère regarde ce qu’il fait et puisse le critiquer dans ses choix ou ses décisions :) je vous ferais remarquer que la médecine générale salariée aura comme autre conséquence la disparition de la "rivalité" entre les médecins. Personne ne pourra être accusé de "piquer" le patient d’un confrère (eh oui, j’ai déjà été accusé de ce péché pendant mes premières années d’installation).
Bref, contrairement à ce que proposent les uns et les autres, je préconiserai la disparition pure et simple de tout paiement à l’acte, la diminution des revenus des libéraux (dont je fais partie) et une réduction drastique de leurs charges doublée d’une amélioration de la qualité de l’exercice de la médecine aussi bien pour les médecins que pour les patients. Mais je n’ai guère d’illusions :) Ces idées sont des idées d’ordre social et comptent sur la solidarité de tout le corps médical et une volonté politique ; et des mesures sociales et la solidarité sont des mots qui deviennent de plus en plus étrangers dans le monde actuel (dites-moi, tiendrais-je un discours populiste ?)… En vous remerciant de votre attention ;)
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