Le « bon sens »
Le bon sens se définit généralement comme étant constitué des choses allant de soi. On parle quasi-exclusivement du bon sens populaire qui serait la seule arme de compréhension pour les gens "non cultivés". Cependant, le bon sens n'est pas évident pour tout le monde et les découvreurs les plus prestigieux, d'Henri Becquerel à Henri Laborit ont fait preuve d'un solide bon sens dans leurs démarches scientifiques.
Il est malheureux que l'histoire des progrès scientifiques ou techniques fassent uniquement l'objet de cours magistraux dans lesquels l'essence même du talent des chercheurs s'efface pour ne laisser place qu'à une mécanique implacable qui conduit le "savant" vers la découverte du jour, de l'année, du siècle. Rien n'apparaît des innombrables essais qui ne conduisirent à rien, des tatonnements durant lesquels le vrai est indissociable du faux, des longues heures stériles pendant lesquelles le travail semble figé... La seule raison est incapable à elle seule de venir à bout de ces difficultés, il faut y ajouter de l'intuition pour certains, un solide bon sens pour tous afin de faire émerger le nouveau d'un immense flot de données apprises lors de très longues scolarités. Il serait possible de multiplier les exemples, mais on n'en donnera qu'un seul représentatif de tous les autres.
J.J. Christensen pratiquait avec un talent peu reconnu ses activités de chimiste dans l'entreprise Du Pont aux Etats-Unis. Il est né en Corée et il a déjà 57 ans lorsqu"il commence une nouvelle série d'expérience pour synthétiser des catalyseurs à base de vanadium pour la polymérisation d'oléfines. Les composés phénoliques ont la possibilité de se lier avec un ou plusieurs atomes avec les ions métalliques. Pour ne pas faire comme les autres, il décida de les utiliser comme ligands, c'est à dire pouvant se lier à des ions. Il synthétisa un dérivé partiellement protégé du catéchol qui se révéla contenir finalement 10% de produit de départ. Malgré les interdictions formelles de tous les préceptes de Chimie, il continua ses synthèses avec ce mélange qu'il eût dû séparer. Il obtint une sorte de matière poisseuse, signe reconnaissable entre tous d'une réaction chimique qui a échoué. Il s'attela toutefois à la purification de cette "gomme" et obtint une infime quantité (0,4%) de merveilleux cristaux blancs dont l'aspect leur permet de ne pas finir au container à déchets. Il étudia ensuite l"effet de la soude (NaOH) sur le spectre optique de ces cristaux, les caractéristiques spectrales n'étaient ni celles de -OH de pyrocatéchol libre, ni celles de goupes protégés -OR. Il eut alors l'incroyable sagacité de penser que son produit réagissait avec la soude par l'ion sodium Na+ plutôt que grâce à son caractère basique porté par -OH- . La déduction était extrêmement difficile à faire car les ouvrages de Chimie ne mentionnaient aucune interaction de ce type. De multiples autres travaux suivirent qui conduisirent à une nouvelle classe de composés qu'il nommera les Ethers-Couronnes. Il obtint le Prix Nobel en 1987 pour un type de Chimie qui n'avait strictement rien à voir avec ses objectifs originels, et plus encore qui n'entraient pas dans le champ de recherches de l'industrie où il travaillait.
Il est difficile (et périlleux) de vouloir déterminer précisément ce qui distingue le "bon sens" de la Raison. Une image peut peut-être y parvenir. Vous voulez relié un point A à un point B par un drone auto-dirigé. Armé de connaissances encyclopédiques sur la mécanique des fluides, la portance de l'air, des traités adéquats sur les moteurs, vous concevez puis construisez un drone. Il doit être muni de capteurs pour contrôler la vitesse relative des hélices entre autres paramètres, d'un système de positionnement de type GPS, d'un rayonnement laser pour ne pas manquer sa cible. Chacune des étapes nécessaires à l'élaboration de votre engin est faite sous le régime de la plus stricte raison. Un oiseau qui aperçoit un ver de terre au point B fera le même trajet sans qu'il ne se doute un seul instant de toutes les données scientifiques qu'il a utilisé sans en avoir conscience. C'est une forme de "bon sens".
Paradoxalement peut-être l'approche rationnelle n'a pas grand-chose à voir avec la Nature. Elle dissèque un problème en minuscules fragments qu'elle examine studieusement jusqu'à trouver une explication qui lui convienne. L"échafaudage qu'elle bâtit est presque inébranlable car il subit toutes sortes d'assauts de contradicteurs qui souhaite l'abattre. La construction solde sur ses bases peut s'élever jusqu"à des sommets inaccessibles à la Nature seule, même en intégrant des mutations sur des millions d'années, il est peu probable qu'une forme nouvelle d'oiseau puisse attendre la Lune.Mais il serait erroné de penser que le "bon sens" est une forme d'ignorance mise en avant par ceux qui ne bénéficient pas de l'onction de fins lettrés.
Dans ke monde entier ; même au sein de ce que l"on nomme des dictatures déguisées, l'acte politique le plus important, le seul légitime en fait, consiste à voter. En effet, le résultat de la votation donnera un arbitraire auquel chacun devra se conformer, même si de pas trop grandes voviférations resteront possibles.Si vous interrogez individuellement chacun des votants sur les raisons de son choix, vous obtiendrez primitivement une raison qui ne peut être ni clairement formulée, ni clairement énoncée. Vous tomberez quelquefois sur des militants d'un bord ou d'un autre qui se référereront à leur propre petit livre rouge pour vos répondre. Vous rencontrerez aussi de fins rhéteurs qui vous enseveliront sous une montagne d'arguments démontrant qu'ils ont raison. Dans tous les cas c'est le "bon sens" qui finalement prévaudra car il n'y a que celui qui permette de transformer un réel foisonnant de paramètres et d'incertitudes en un arbitraire applicable à une collectivité.
La Raison comme le "bon sens" peuvent être influencés mais de deux façons distinctes. Le "bon sens" va être exposé aux émotions, au spectaculaire, à l'affectif pour conduire les foules vers un but unique : il faut qu'elles obéissent aux directives et aux intérêts des dominants (ou des dominantes). La Raison doit se référer à des principes abstraits, des normes, des traités, des règles qui abondent en npmbre mais qui ne peuvent pas décrire l'entièreté du réel. La marge qui se dégage entre le Réel et les valeurs affichées permet à d'autres dominants d'exercer leur tutelle sur la multitude. Le désir de domination n'épargne presque personne si ce n'est une des artistes, des mères ou des rêveurs.
En d'autres termes, le "bon sens" est partout dominant mais certains sont plus dévastateurs que d'autres.
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