Le capitalisme est-il face à une mutation ?
Marx, dont on ressort actuellement le spectre, avait envisagée un possible effondrement du capitalisme sous l’effet de ses contradictions. L’événement ne n’est pas encore produit et le capitalisme, malgré les nombreuses crises, les conflits, les tragédies, est toujours debout. En vertu de l’hypothèse de continuité des tendances, le capitalisme devrait traverser la crise de 2009 comme il le fit lors des précédents crashs. Et les sirènes anticapitalistes ne devraient pas sonner plus de temps que les fois précédentes. Mais est-on sûr d’une poursuite assurée du capitalisme ?
Avant toute réflexion, il serait bon de rappeler que les excès du capitalisme ont entraîné l’avènement de régimes autoritaires, voire totalitaires, avec les fascismes en Europe, et le communisme sur un territoire regroupant l’Europe de l’Est et l’Asie. A tout prendre, il est préférable de souhaiter pour la décennie 2010 un régime capitaliste, libéral, avec ses défauts, plutôt qu’une redite de l’histoire et l’avènement de régimes autoritaires, hypothèse à ne pas exclure. Trois ou quatre tendances autoritaires risquent de miner nos démocraties, ce sont l’anticapitalisme, le nationalisme, le « communisme vert » et le capitalisme policier et sécuritaire. A noter que toutes ces tendances peuvent se combiner tout en s’opposant et se renforçant mutuellement. Bref, rien de nouveau sous le soleil.
Round 1. C’était vers 1985-87, une secousse du système. Le Japon, par son dynamisme technologique et productif, avait massivement exporté, notamment vers les Etats-Unis, et se trouvait avec des masses de dollars qui se savaient où trouver des débouchés. Mike Davis décrit bien dans son livre la peur régnant à Los Angeles dont les immeubles furent achetés en quartiers par les capitaux japonais. Fin 1985, les accords du Plaza ont tenté de rééquilibrer les devises et faire baisser le dollar, ce qui a eu des effets pervers, rapatriement des capitaux par les Japonais, création de la bulle spéculative japonaise et entre temps, le krach boursier de l’été 1987. Ainsi fut mis un terme à ce « miracle japonais » qui était en fait l’une des multiples facettes du mirage capitaliste. En décembre 1989, l’indice boursier est au plus haut, prêt pour une lente descente aux enfers de la baisse. Le mur de Berlin s’écroule en même temps mais plus rapidement. Etrange symbole de l’écroulement, et plus tard les tours jumelles… Mais nous n’étions pas là et le capitalisme était prêt pour un nouveau round. Entrecoupé d’une guerre de grande ampleur, dont on a dit qu’elle manquait d’images. Un événement parfaitement ajusté aux éditos de Baudrillard et qui permis aux Etats-Unis de faire une démonstration de force de leur armée. Quant à l’économie, elle a su trouver un dynamisme grâce au toyotisme et aux gains de productivités réalisés par la robotisation, le tout sur fond de chômage endémique.
Round 2. Nous voilà maintenant en 1993-94. La fin de règne de Mitterrand est éprouvante. Un mort, Bérégovoy, suicidé par une main indéterminée. Un chômage jamais vu, surtout pour les jeunes, un climat social délétère. La société se rend compte que les nouvelles générations vivront moins bien. Notamment à l’occasion des grèves de décembre 1995. Mais pourtant, rien n’a pu infléchir ce capitalisme infligeant une gifle à l’équité et la République. Les peuples sont d’une résilience impressionnante face aux injustes souffrance, ou alors, ils sont alexythimiques et quelque part, corrompus par la matière. Le capitalisme n’aurait pas dû redémarrer mais les nouvelles technologies ont transitoirement servie de planche de salut au service des profits et du développement économique. Les Etats-Unis, indifférents au monde, ont eu la meilleure part, on fait de bonnes affaires, marquant leur domination face à un Japon miné par la bulle et une Europe qui se cherche. Internet est né, avec la frénésie spéculative qui s’en suivit et les politiciens ensorcelés par ce miroir du progrès technologique. Mais le mirage est au bout du chemin…
Round 3. Le mirage de la nouvelle économie a fait son temps. 2000 voit se dessiner la fin d’un round, dégonflement de la bulle spéculative boursière, faisant suite à quelques secousses importantes ayant touchés isolément des pays comme la Thaïlande, la Russie, le Mexique, l’Argentine. L’effondrement des tours jumelles marque symboliquement le départ d’un nouveau round. Mais en France, n’avons-nous pas eu un 11 septembre symbolique ce soir du 21 avril où apparu le visage de Le Pen dans l’écran ? Mis à part la guerre menée en Afghanistan puis en Irak, les années 2000 ont été marquées par des imprudences monétaires sous l’égide d’Alan Greenspan, tandis que ce capitalisme qui n’aurait pas dû rebondir a montré au contraire des capacités de puissances étonnantes, grâce à l’ouverture des marché, la globalisation et l’émergence de nouvelles puissances pouvant dynamiser l’économie planétaire, Brésil, Inde et surtout, la Chine. C’est ce round qui a pris fin en 2008, avec la crise de l’immobilier. La situation pourrait être comparée à celle du Japon de 1990, sauf que l’origine est distincte, les capitaux responsables n’étant pas issus de la balance commerciale mais d’une politique monétaire basée sur l’endettement. Le tout a fonctionné quelques années grâce à la Chine mais le système a atteint son point de rupture et nous voilà enlisés en 2009, prêts pour un démarrage en douceur en 2010.
Round 4. Dans parler des crises de 1890 ou de 1930 ou de 1973 et après, on note que par trois fois, le capitalisme récent a su rebondir en trouvant des appuis, financiers, économiques, technologiques. Mais maintenant, on ne voit pas quel nouveau levier peut relancer la machine. Les nouvelles technologies sont épuisées. Et la dette va plomber les économies développées mais tout dépend de la nature et de l’ampleur de la dette. On doit s’attendre à une croissance molle pendant un bon moment, voire même une croissance nulle mais ce n’est pas si mal. Les pays émergents devraient poursuivre leur développement. La Chine en tête, s’installera définitivement comme seconde puissance économique mais est-ce étonnant, au vu de la population de ce pays. La prochaine tension concernera le marché des matières premières. Et là, on s’apercevra que la planète a des ressources immenses mais limitées et donc, le doux rêve des sixties sera bien écorné. C’était du reste un rêve idiot. Rendu crédible parce que le développement des nations ne concernait qu’une proportion réduite de l’humanité. Un quart, pas plus. Un milliard d’âme. Actuellement, le nombre d’habitant ayant rejoint le stade industriel a doublé et on comprend bien que les ressources naturelles sensibles vont s’épuiser. Et comme les capitaux aiment la rareté, des spéculations et des tensions sur le marché sont à craindre car c’est la dernière carte du capital pour extraire du profit à partir du système. Les médias polluent l’antenne avec la grippe porcine, occultant ces nouvelles tendances géo-économiques où des morceaux de territoire, surtout en Afrique, sont vendus à des capitaux disponibles, surtout dans les pays du pétrole et ceux du boom asiatique.
Et les sociétés, que vont-elle devenir ? Après 1987, 1994, 2001, un nouveau round se dessine en 2009. Comme les précédents, il va engendrer des inégalités. La grande inconnue, ce sera la réaction des populations. Un élément important étant la conjoncture Milgram. Vous n’avez pas entendu parler de la conjoncture Milgram, c’est normal, aucun sociologue n’a encore eu la présence d’esprit de la suggérer. Cette conjoncture évoque l’obéissance des populations face à une autorité. Alors qu’elle se transforme en conjecture en questionnant l’improbable réaction des populations face à une autorité qu’elle parvient à déclarer illégitime. Le cas de la grippe au Mexique est maintenant un classique. Des Mexicains ont décidé de défier la peur et de vivre normalement. La conjoncture Milgram s’applique aussi à l’obéissance des citoyens face aux jurisprudences des Khmers verts prononcées au nom de la menace khlimatique. Au vu de l’état intellectuel, mental, spirituel et moral de nos sociétés, l’issue la plus certaine du capitalisme est la continuité. Pas de mutation mais une gestion managériale, comptable et sécuritaire de la société. Le système est bien installé. Ceux qui pensent à une révolution sont de doux rêveurs. Ou bien d’habiles profiteurs et récupérateurs, comme un certain facteur de Neuilly.
Quel mythe que de croire à une mutation du capitalisme pour une si banale crise qui va se résorber lentement en mettant sur le carreau des millions d’individus mais en maintenant la situation une bonne majorité de gens, comme cela se fait depuis 20 ans. Faut-il se résigner ? L’histoire nous a montré, en 1940, qu’un homme pouvait susciter le refus d’une situation politique, en lançant l’appel du 18 juin. Cette évocation n’a sans doute pas grand sens actuellement. La France n’est pas occupée. Il manque juste un éveil des consciences. C’est essentiellement sur ce déficit de conscience, sur cette inaptitude du citoyen à voir le monde comme faux, que le profit inégalitaire peut prospérer. N’attendez rien des médias, des intellectuels, des syndicats, des politiques. Ce monde, il l’ont accepté et en vivent très bien.
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