Le clivage droite-gauche a-t-il encore un sens ?
La campagne présidentielle vise à opposer des projets politiques différents, il est donc de bon ton de zoomer dans cette période sur le fameux clivage droite-gauche. Mais cette différenciation a-t-elle encore un sens dans un monde globalisé où les acteurs politiques ont sans doute de moins en moins de marges de manœuvre ?
Le récent débat sur l’augmentation du pouvoir d’achat pourrait pourtant donner du corps à cette différenciation politique.
A droite, en théorie, on parie sur la notion de mérite individuel. En gros, et en caricaturant, le projet économique de la droite vise à réduire le poids de l’Etat (en réduisant le nombre de fonctionnaires et/ou en privatisant les activités qui sortent du rôle naturel de l’Etat). Puisqu’il y a moins de besoins à financer, il peut y avoir des réductions d’impôts. Les 50% de gens qui paient l’impôt sont contents, motivés de voir que leur travail paie, et donc ils ont tendance à s’impliquer plus dans leur travail et à investir plus dans leur activité, ce qui par rebond crée plus de richesses et de travail. Par ailleurs ils consomment, et épargnent plus, ce qui génère d’autres emplois et sécurise leur situation financière.
Effet de bord, les riches sont plus riches, les exclus restent souvent exclus... Pas très moral, mais très efficace : si tu bosses tu gagnes, et plus tu bosses, plus tu gagnes.
A l’inverse, à gauche et en théorie, on croit encore en l’Etat. En gros, et toujours en caricaturant, on cherche à gommer les déséquilibres en augmentant la solidarité envers les gens fragiles, et à donner du pouvoir d’achat aux fonctionnaires qui dépendent directement de l’Etat (quitte à le faire au détriment de la dette). Selon cette thèse, ce pouvoir d’achat supplémentaire sera largement consommé (les petits revenus n’épargnant par la force des choses que très peu). Cet afflux de consommation crée de l’activité, qui par rebond crée des emplois, et par rebond permet de faire rentrer plus d’impôts (dont via la TVA) pour financer cette solidarité sans trop plomber la dette.
Effet de bord, on démotive les seuls 50% qui paient les impôts et qui ont l’impression de travailler pour les autres (cf. notre chanteur belgo-franco-suisse qui va générer de l’activité ailleurs).
Il existerait donc bien une politique de droite et une politique de gauche ?
Pourtant, cet exemple sommaire de divergences profondes ne s’applique sans doute pas à la France :
- car la droite française n’applique que très peu ces thèses libérales qui ont toujours été remises en cause par les politiques interventionnistes, voire paternalistes, de de Gaulle via les grands programmes industriels, à Sarkozy sur le dossier Alstom.
- Quant à la gauche française, par son expérience du pouvoir, elle n’ose plus vraiment appliquer son modèle qui a été dévastateur pour les finances publiques de 1981 à 1984, et qui s’est soldé par une fuite massive de capitaux, le départ de Mauroy et un virage remarqué au centre gauche.
Bref, naturellement, la droite et la gauche qui assument les charges gouvernementales depuis vingt ans sont forcées de mener des politiques proches.
D’autre part, la globalisation des échanges et l’intégration européenne interdisent aujourd’hui plus qu’hier encore de mener une politique nationale décorrélée de la politique de nos voisins, tant les économies sont interdépendantes, les citoyens, mobiles, et les capitaux, mouvants.
La réticence face au traité constitutionnel européen est sans doute liée à cette inquiétude d’une perte d’autonomie des Etats qui devront effectivement et inéluctablement harmoniser leurs politiques économiques, fiscales et sociales à l’avenir.
Ce constat, couplé au fait que le modèle européen est plutôt porté par des valeurs économiques d’inspirations libérales, embarrasse plus particulièrement la gauche qui renie ce modèle, tout en étant, par idéologie, favorable à une plus grande intégration européenne.
Là encore, cette concurrence internationale impose des politiques économiques pragmatiques, quelle que soit la ligne politique.
On peut aussi se souvenir du constat amer et impuissant des politiques (dont Jospin) à raisonner les multinationales qui délocalisent leur activité.
Que penser également du positionnement de la Banque centrale européenne, qui régulièrement fait part de son souci d’autonomie... mettant un terme aux dernières illusions des politiques de peser sur l’économie.
Bref, tout cela me pousse à penser qu’inexorablement, les grands courants politiques, de droite comme de gauche, appelés à gouverner à l’avenir, vont être obligés de mener le même genre de politique qui se trouve être la même que nos voisins.
Le plus difficile sera sans doute de faire avaler la couleuvre à gauche, où la doctrine officielle est de plus en plus en décalage avec les possibilités d’action effectives.
Pourtant, si on assumait pragmatiquement ce verdict, on pourrait très probablement arriver à de nombreux consensus (comme l’Allemagne a su le faire) :
- sur la politique extérieure
- sur l’éducation
- sur la laïcité
- sur le niveau d’endettement du pays
- sur l’équilibre des budgets
- sur la sécurité
- sur l’immigration
- sur l’écologie
- sur la plupart des débats de société
- sur les retraites
- voire sur les contrats de travail et sur la fiscalité...
Bayrou tente de s’imposer sur ce créneau inédit et assumé : ni droite ni gauche. En solitaire, il est sans doute voué à l’échec.
La démarche d’Hulot est également intéressante, le sujet écologique doit pouvoir transcender les lignes partisanes.
Hélas, nos politiques ne semblent pas prêts à assumer officiellement ce consensus inévitable, alors qu’une majorité de citoyens l’est, sans doute.
Pourtant, donner une telle visibilité sur les chantiers à venir et sur la garantie d’un cadre réglementaire maîtrisé favoriserait largement l’attractivité de notre pays et la mise en œuvre des inévitables réformes.
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