Le combat contre l’opacité financière des entreprises multinationales
Afin de mettre un terme à l’évasion fiscale à grande échelle des multinationales, on assiste depuis peu à une prise de conscience des États membres de l'OCDE et du G20 visant à récupérer des sommes colossales qui échappent à l’impôt. Ce sont les grandes entreprises qui tirent le plus parti d'une course effrénée à la concurrence fiscale des pays du monde entier et parmi les plus importantes d'entre elles, neuf sur dix sont présentes dans un paradis fiscal.

Les pays qualifiés de Paradis fiscaux sont bâtis sur deux piliers
L'usage dévoyé de la notion juridique de personne morale :
L'opacité fiscale y est organisée au sein d'entités juridico-financières que sont les fiducies, les trusts et autres sociétés écrans permettant de rendre anonymes les détenteurs de capitaux, les opérations y étant réalisées pour le compte de personnes non résidentes. Les règles fiscales, issues du début du 20ème siècle, sont devenues obsolètes.
La vitesse et le volume de déplacement des capitaux d'origine frauduleuse en circulation dans le monde, favorisée par les NTCI ( nouvelles technologies de la communication et de l'information ) et le développement de l'économie numérique.
Les flux financiers illicites qui transitent par les Paradis fiscaux sont considérables et révèlent une faille dans l'économie mondiale à un moment de notre histoire où les gouvernements manquent cruellement de ressources de par la situation préoccupante de leur finances publiques. Ceci prive les États de milliards d'Euros de ressources essentielles pour d'une part réaliser des investissements et d'autre part combattre les inégalités. Selon une étude réalisée par le FMI, l'évasion fiscale des multinationales représente pour les États des pays développés une perte équivalente à 1% de leur PIB, et pour les États des Pays en développement pour lesquels l’impôt sur les Sociétés représente une part très importante des recettes fiscales, 100 Milliards de dollars par an. D'où la taille de l'enjeu pour les gouvernements engagés à garantir de nouvelles règles du jeu fiscales plus équitables.
Le rôle moteur de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)
Face à ces préoccupations, le projet BEPS, d'une grande technicité, mené très activement depuis l'année 2013 par l'OCDE est destiné à réformer en profondeur les règles de la fiscalité des entreprises internationales réalisant au moins 750 milliards d'Euros de chiffre d'affaires et à promouvoir des politiques fiscales favorisant investissements et emplois. L'OCDE estime que le manque à gagner mondial dû au transfert de bénéfices vers des pays à fiscalité très faible ou nulle se situe entre 100 et 240 milliards de dollars chaque année, soit l'équivalent de 4 à 10% des recettes tirées de l'IS dans le monde. Pour Pascal Saint Amans, directeur et architecte du projet, « Son principal but, c'est de faire en sorte que les entreprises payent leurs impôts là où elles ont des activités. », et non pas là où les profits ont été transférés pour y échapper. Ce plan d'action, ébauche d'une véritable révolution fiscale réunit à ce jour plus de 85 pays et juridictions au travers de groupes de travail. La prochaine réunion plénière aura lieu à Paris les 26 et 27 Janvier 2017.
Les pays membres de l'OCDE en relation avec le G20 ont identifié de nombreux stratagèmes utilisés par les entreprises pour échapper au fisc. Parmi ceux-ci, le transfert des bénéfices vers des juridictions à faible fiscalité ( Pays-bas, Irlande, Luxembourg...) ou à fiscalité nulle ( Bahamas, Bermudes, Jersey...) L'application de « prix de transfert » artificiels ou transactions fictives entre filiales d'un même groupe de sociétés, l'utilisation abusive des conventions fiscales de non double imposition au travers de la création d'établissements stables, ou succursales, leur permettant d’échapper à l’impôt à l'encontre des règles fiscales internationales.
Mais la lutte contre les paradis fiscaux ne dépend pas des seules bonnes intentions portées par l'OCDE.
Elle requiert une action qui conduirait à mettre fin en amont à des pratiques du droit des affaires relayées par de grandes banques, conseillées par les cabinets d'avocats fiscalistes, permettant à des mandataires à agir sans que jamais ne puisse être dévoilée l'identité de leurs mandants. Et l'ingéniosité des avocats à multiplier les cascades de sociétés écrans et de prête-noms est sans fin.
Elle requiert aussi de véritables sanctions juridiques et financières à l'encontre des pays pouvant être qualifiés d’États pirates.
Face à la multiplication de récents scandales d'évasion fiscale largement relayés par les médias (Luxleaks, Panama papers), la Commission européenne a lancé un signal fort en infligeant une amende de 13 Milliards d'Euros au géant américain Apple, décision déjà contestée par la firme à la pomme. Cette dernière est accusée d'avoir bénéficié d'aides d’État illégales de la part de l'Irlande. Au mois de Décembre 2016, le ministère des finances irlandais a estimé que la commission a outrepassé ses pouvoirs et violé la souveraineté du pays en matière de politique fiscale. Nous développerons cette argumentation, dans le cadre de l'espace européen, dans un second volet.
La société civile, par l'intermédiaire des ONG, des journalistes d'investigation, des lanceurs d'alertes, entre dans un processus de dénonciation et constitue peu à peu un contre-pouvoir de plus en plus nécessaire. Mais elle ne peut pas se substituer à l'incertaine volonté de la plupart des Etats et des institutions internationales à mettre en place de nouvelles normes comptables et fiscales. Et seule une application stricte de sanctions commerciales, financières et même pénales des firmes des pays et des juridictions concernées permettraient de sortir d'un climat d'opacité et d'impunité en vigueur depuis la création des groupes de sociétés internationaux. C'est encore l'avènement des "Euros dollars "à l'issue de la nationalisation du Canal de Suez en 1956 qui a donné une impulsion considérable aux activités et aux centres offshores.
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