Le concept de blasphème
Le concept de blasphème se définit normalement comme une offense verbale contre une religion ou l’un de ses dogmes. Si l’offense prend la forme d’un acte, par exemple brûler un Coran, on parle plutôt de sacrilège. Mais ces deux concepts se distinguent mal. Brûler le Coran est en même temps un reniement symbolique de l’enseignement de l’islam, et donc blasphématoire. Si toutes les religions doivent être ouvertes, sous peine de se figer, à une critique raisonnée, le blasphème n’est pas une simple critique. Il comporte une volonté d’outrage, il cherche à ridiculiser par la dérision. Il est rarement exempte de hargne et de mépris. La volonté de blasphémer peut s’expliquer par réaction de révolte contre l’incohérence entre la bonté prêtée à Dieu par la religion et l’expérience, souvent douloureuse, de la vie humaine. Il est une dénonciation violente contre l’arbitraire et l’injustice du malheur. Comme Stendhal disait : « La seule excuse de Dieu, c’est qu’il n’existe pas !« . Peut-on donc justifier le blasphème comme une réaction très humaine et compréhensible ? Si les lois de la République protègent la liberté de croyance, cela n’implique pas que les religions doivent être respectées, inaccessibles à la critique. C’est la personne du croyant qui doit être respectée, mais pas sa religion.
La liberté d’expression est la base de toute société démocratique. Le droit à l'expression ne peut pas avoir de limite, puisqu'elle repose sur le subjectivisme : par définition, l'usage, par les uns, de leur liberté d'expression déplaira aux autres, mais ce déplaisir, qui peut aller jusqu'à la souffrance morale, est le prix pour cette liberté pour tous. La liberté d'expression est un droit mais aussi un devoir : supporter celle des autres. Limiter cette liberté dans un esprit de "responsabilité" c'est la nier dans son principe. La loi sur l'islamophobie, en créant la confusion entre critique de la religion et haine des musulmans, constitue une atteinte à la liberté de l'expression. La liberté d'expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une autre fraction quelconque de la population. Le dicton souvent avancé : « la liberté s’arrête là où celle de l’autre commence » ne peut s’appliquer à la liberté de l’expression. La seule limite est l’injure, réprimée par la loi de1881. Le blasphème, peut-il alors être assimilé à l’injure ?
Le blasphème est une offense contre un symbole sacré. Insulter le personnage de Mohammed ou de Jésus est une expression de dérision et de mépris qui ne peut qu’inciter à la haine des croyants. Et puisqu’il y a une loi contre « l’incitation à la haine », le blasphème devrait être considéré comme un délit. D’ailleurs, si la mal nommée « islamophobie » est considéré comme une incitation à la haine, le blasphème, logiquement, doit l‘être aussi. Libre à chacun de critiquer (sans haine et dérision) les personnages sacrés. On peut dire que Mohammed était un guerrier, ou un djihadiste analphabète, puisque c’est un fait historique, mais le traiter de fou farfelu est une insulte. Il était abondement polygame, mais de l’accuser de pédophilie serait un blasphème. Libre à chacun de critiquer le christianisme et l’islam, mais profaner et blasphémer provoquent immanquablement une réaction de haine, et pour cette raison se justifient difficilement, d’autant plus que ces blasphèmes, le plus souvent, ne sont que provocations de la part des « artistes » contemporains cherchant à attirer l’attention des médias. Utiliser le blasphème pour créer une notoriété me semble méprisable.
Ceci dit, les œuvres en question ne sont pas toujours indiscutablement blasphématoires. La caricature Charia Hebdo en est un exemple. Pour moi, elle n’est nullement blasphématoire. On y voit un imam faisant une blague (pourquoi y voit-on Mohammed ?). Je la trouve plus bête que drôle, mais pas du tout blasphématoire. La pièce de Roméro Castellucci « Sur le concept du visage du fils de Dieu » en est un autre exemple. La scène est troublante, dérangeante ; elle joue sur l’outrance et frôle le blasphème, mais c’est une pièce sérieuse et pas vraiment blasphématoire. Je ne dirais pas autant pour la pièce de Rodrigo Garcia, « Galgota Picnic », où le Christ est appelé « le putain du diable » et comparé à un terroriste. Le christianisme est une cible privilégié des « artistes » contemporains. Parmi toutes les religions il a le droit, pour ainsi dire, à un traitement de faveur. La christianophobie ne cours aucun risque de poursuites judiciaires et attire toujours l’attention des médias, profitable pour l‘auteur. On peut se demander ce qui se passerait si l’on montait une pièce comparable à celle de Castellucci sur l’islam, avec un portrait de Mohammed à l‘arrière fond. Mais voilà que le courage de nos artistes contemporains iconoclastes s’effondre devant l’islam. Ricardo Garcia traite le Christ de « putain du diable » et aucune plainte n’est posée. C‘est que, dans un monde où le sentiment du sacré est affaibli, le statut de « l’artiste » a acquis une sacralisation jamais vu auparavant. L’artiste est sacré, et jouit de l’immunité diplomatique. Tout ce que l’artiste fait est de « l’art« , et par conséquent, sacré, intouchable.
Pour ceux qui se considèrent un tant soit peu chrétiens, le deuxième commandement condamne clairement le blasphème : « Tu ne prononceras pas le nom du Seigneur à faux ». Et encore Matthieu 5.33-34 « Il a été dit aux anciens Tu ne parjureras pas. Eh bien, moi je vous dis de ne pas jurer du tout. ». La recommandation me semble bonne - même pour les athées ! Si certains athées militants applaudissent joyeusement le blasphème, ils se trompent dans la mesure où le blasphème est contre-productif : il renforce plutôt que d’affaiblir la foi des croyants. Et provoque des réactions de violence.
On objectera, avec raison, que ce n’est pas toujours claire qu’il s’agit d’un blasphème, mais dans le cas où il est claire et volontaire, le blasphème délibéré est une bêtise qui nuit à la paix et la cohésion sociales. Les caricatures sont un cas à part. Elles sont par nature exagérées et désobligeantes. Le blasphème humoristique ne devrait pas offenser. La raillerie ou remarque ironique non plus. Le quolibet de Dieudonné « Toutes les religions sont con mais l’islam est la plus con de toutes » est si caricatural, si excessif qu’il aurait dû être acceptée avec le petit sourire qu’il mérite. Ce qui est scandaleux n’est pas la phrase elle-même mais la sévère condamnation par le tribunal. Néanmoins, étant donné que l’enseignement de l’islam interdit les images de l’être humain, un portrait de Mohammed, caricaturé ou pas, est déjà un blasphème. L’hypersensibilité des musulmans à cet égard est parfaitement compréhensible, et doit être respectée, à moins que l’on considère, qu’en tant que civilisation chrétienne, nous ne sommes pas tenus de respecter les dogmes islamiques, d’autant plus que nos propres dogmes et sensibilités ne sont guère respectés en pays musulman. Mais c’est un autre débat. Si l’on se plaît à considérer la République comme une société ouverte et accueillante, le blasphème est à proscrire. Tant qu’il y a une loi contre « l’incitation à la haine » (loi Pleven de 1972), dont, d’ailleurs, les possibilités de libre interprétation la rend assez liberticide, le blasphème tombe logiquement là-dessous.
Pour un article approfondi sur le concept de blasphème voir :
Catherine Segurane : http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/qu-est-ce-que-le-blaspheme-105250
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