Le sabre et les Rafales. Ou de Voltaire à Voltaire
Je reçois d’un ami ces réflexions lucides que je vous transmets avec grand plaisir :
« De vos souvenirs d'écolier et lycéen, ceux des manuels d'Histoire de France de votre enfance, il vous reste probablement encore en mémoire le récit des supplices cruels que les puissants de l'Eglise et de l'Etat d'il y a plusieurs siècles infligeaient à ceux qui avait osé enfreindre la loi de Dieu ou attenté au corps du Roi.
Jeanne au bûcher, l'écartèlement de Ravaillac régicide d'Henri IV, le supplice de Damien qui avait porté le couteau sur la personne de Louis XV, la mort sur la roue de Jean Calas, les membres brisés, puis étranglé, toutes ces figures ont inscrit dans nos esprits la marque, qu'en ces temps-là, l'on ne pouvait impunément offenser Dieu ou le Roi.
Cruauté communément admise et acceptée alors, puisqu'elle apparaissait comme la sanction de l'atteinte au Divin. Admise, mais aussi entretenue, car, par la terreur qu'elle était censée inspirer, elle maintenait les consciences dans, plus que l'obligation, la fatalité de l'obéissance.
Face à cette immanence, des voix commencèrent cependant à s'élever, signe qu'une autre appréhension du monde était en cours.
Deux ans après la mort de Jean Calas, Voltaire (François Marie Arouet, dit Voltaire), dénonciateur du fanatisme religieux et de la monarchie absolue, réfugié en Suisse, s'adressait à l'opinion de toute l'Europe, en 1763, dans un ouvrage de rupture, Essai sur la Tolérance. Dans ses libelles, ses contes philosophiques, Voltaire dénonçait les conditions du procès de Jean Calas et obtenait enfin de Louis XV la tenue d'un nouveau procès qui aboutira à la reconnaissance de son innocence.
Il n'est jamais trop tard.
A la même époque, en 1766, un jeune noble de 20 ans, François-Jean Lefebvre, Chevalier de La Barre, était condamné selon les termes du tribunal d'Abbeville, pour « blasphèmes et sacrilèges exécrables et abominables », un crucifix brisé et des immondices répandues. Torturé, les jambes brisées, après que le bourreau eut renoncé à lui arracher la langue, il était décapité à la hache et son corps brûlé. Signe qui ne trompait pas, accompagné d'un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire.
14 Juillet 1789. La prise de la Bastille.
Mais la modernité était en route et rien ne l'arrêterait. 30 ans plus tard, la Révolution Française accouchait dans la douleur et les convulsions d'une nouvelle représentation du Monde : rien de moins que le changement de Souverain, non plus le corps terrestre mais pourtant divin du Roi, représentation tri-millénaire depuis Gilgamesh à Sumer, depuis les Pharaons d'Égypte, l'Inca où les
Empereurs de Chine, mais, dorénavant, le Peuple lui-même dans sa généralité. Étaient ainsi jetées les bases de la Souveraineté Populaire et de la Laïcité. Et ce tournant,même s'il s'est produit en France, a valu pour le Monde entier.
Signe des temps nouveaux : le Chevalier de La Barre était réhabilité par décret de la Convention le 15
Novembre 1793 (25 Brumaire de l'an II).
Il est encore pourtant une région du monde où le vent de la modernité n'a pas encore soufflé. Par modernité, nous n'entendons pas moteur à combustion, avions supersoniques ou robotique et micro-informatique, mais Laïcité et Souveraineté du peuple. Voilà pour la modernité.
Par région du monde, nous ne parlons pas des contrées du Croissant fertile où sévissent aujourd'hui les bandes fanatisées de Daech ou d'Al Qaïda. Ces bandes sont illégitimes, illégales et combattues à merci par la coalition générale des Nations Unies.
Non, nous parlons d'un État internationalement reconnu, siégeant aux Nations Unies, entretenant avec le reste du monde les relations économiques, culturelles et scientifiques les plus normales, et qui plus est, pour la France, militaires et stratégiques les plus avancées. Notre Président y siégeait au mois de Mai dernier, comme invité d'honneur, à la réunion du Conseil de Coopération du Golfe.
Un État que ni les Présidents Bush et Obama n'ont qualifié de voyou ou accusé de faire parti de l'Axe du Mal.
Un État dont l'ambassadeur aux Nations Unies occupe un poste important au sein du Conseil des Droits de l'Homme de cette instance internationale. Selon un décompte effectué par l'organisation Human Rigths Watch, plus de 170 exécutions publiques ont eu lieu dans ce pays depuis le début de l'année.
Arrêtons là le descriptif. Vous avez reconnu notre partenaire privilégié économique, politique, stratégique et militaire, l'Arabie Saoudite.
Le châtiment suprême y attend aujourd'hui Ali Mohamed al-Nimr, 20 ans, originaire de Qatif, ville du Hasa, région majoritairement chiite de l'Est du royaume saoudien. Pour avoir contesté la monarchie féodale et son wahhabisme, il a été condamné à mort et doit être décapité, son dernier recours ayant été rejeté. Sa dépouille sera ensuite exposée en croix, jusqu'à son pourrissement. Décapitation et crucifixion.
Qu'a fait ou qu'a dit la France, à l'annonce de l'imminence de l'exécution ? Fait, rien. Peut-être trop d'enjeux. Dit ? Mutisme au Ministère des Affaires Étrangères fort occupé à la préparation de la COP 21.
Mutisme du Premier Ministre. La Présidence, elle, s'est exprimée : - Communiqué du Secrétariat de la Présidence de la République Française, en date du 23 Septembre : « La France fait les plus extrêmes réserves et demande aux autorités saoudiennes de surseoir à l'exécution ». - Correction de tir, le lendemain 24 : « Le Président de la République Française demande à l'Arabie Saoudite de renoncer à l'exécution du jeune Ali al-Nimr, au nom du principe essentiel que la peine de mort doit être abolie ».
Pour conclusion, ces quelques éléments lexicologiques concernant ces trois termes :
- surseoir : remettre à plus tard ; différer (en langage d'huissier, on parle de sursis à exécution),
- demander : solliciter d'une autorité,
- renoncer : cessez d'envisager de recourir à une chose à laquelle on est en droit de prétendre.
Espérons que cette sollicitation ne reste pas lettre morte. Tragique ironie de l'histoire, elle est formulée par un ancien élève de la promotion Voltaire de l'ENA, celle de 1980. L'erreur en la matière remonte à bien loin : l'Arabie Saoudite telle qu'elle fut et telle qu'elle est,n'aurait jamais dû devenir le partenaire privilégié qu'elle est. »
Jean Casanova
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