Le « suicide » de Michel Onfray et la fin d’une époque

Pas de panique, surtout pour les fans de l’anti-philosophe, Michel Onfray n’est pas décédé, il n’est pas mort non plus. Que s’est-il passé au juste ? En fait, le dernier livre publié par Michel Onfray constitue une sorte de suicide philosophique. L’homme se dévoilant comme un « narcissique de haut vol intellectuel ». Rendre la raison populaire, un titre plein de bonnes intentions mais si l’on parcourt les quelques lignes, on comprend qu’un autre titre aurait été plus approprié. Rendre Onfray populaire, par exemple, quoique, ce philosophe étant déjà très médiatisé, il faudrait titrer, Rendre Onfray encore plus populaire, ou même mieux, Gloire à Onfray pour avoir fondé l’université populaire. Je n’ai pas acheté le livre. 12 euros pour moins de 100 pages écrites en caractères pour presbytes, bref, guère plus de matière textuelle que le fameux opus de Stéphane Hessel dont le prix de 3 euros est tout de même plus populaire. Certes, je sais bien que l’on ne vend pas les livres au poids et que quelques courts écrits valent mieux que de longue logorrhées roboratives. Sauf que dans le dernier livre d’Onfray, on ne trouve pas une pensée très stratosphérique, pour autant que cet auteur ait su nous élever vers les cimes de la pensée philosophique. Rien ne tout ça mais beaucoup de pages au service d’une autosatisfaction. Car dans ce court essai, Onfray parle de sa vie, de ses anecdotes, de sa ville natale et surtout trace un éloge de l’université populaire frisant le panégyrique. Etrange sentiment que celui de découvrir le vrai Onfray, celui qu’on devinait en filigrane dans ses textes et ses interventions et qui apparaît sans masque dans ce petit livre, un Onfray terriblement narcissique.
Quelque chose m’a interpellé, livrant un puissant indice de la personnalité de l’auteur. C’est ce court chapitre où il se plait à dénigrer et même enfoncer Marc Sautet, moquant les cabinets et les cafés philosophiques. Le procédé est déplaisant, surtout que son confrère féru lui aussi de philosophie populaire n’est plus là pour répondre puisqu’il est décédé depuis une décennie. Quel besoin de flinguer un de ses confrères à qui on ne peut ni jeter la pierre, ni ranger dans la classe des parvenus et autres carriéristes rayant le parquet avec leur crocs, parfois de boucher. De quoi ce dénigrement de Sautet est-il le nom ? Eh bien du narcissisme et même d’un type de « perversion narcissique ». J’entends quelques oreilles avisées s’offusquer. Et quelques honnêtes lecteurs demander en chœur, des preuves, des précisions, des faits ! Et ils ont diantrement raison, car invoquer la perversion narcissique n’a rien d’anodin pour qui connaît la signification clinique de ce trait psychologique. En vérité, si « perversion narcissique » il y a, celle-ci est sublimée en quelque sorte. Michel Onfray, c’est le narcissisme élevé à la puissance de la philosophie. Un culte de la personnalité si bien assumé, notamment dans la présentation de son livre paru dans la collection Université populaires qu’il dirige aux éditions Autrement et dont il vient de préfacer un autre opus plus roboratif, avec nombres d’intervenants mais Monsieur Onfray ayant jugé que sa prose était plus fournie, a jugé qu’il devait s’approprier un espace éditorial personnalisé.
Précisons ce que l’on entend par narcissisme. Comme aurait Desproges, un narcissique, c’est quelqu’un qui ne veut pas m’admirer. Le narcissisme est une déviation du thymos aurait pensé Platon, lui qui voyait bien les formes profondes de l’âme humaine et les effets de surface, distinguant par la gymnastique de la toilette. Le thymos est un système d’échange social visant à reconnaître une personne pour ses qualités et à lui accorder une estime. Le système de la reconnaissance est un objet très philosophique parcouru par un héritier de l’école de Frankfort, Axel Honneth. Ce qu’on peut penser, c’est que l’estime de soi est une forme « droite » de la personnalité et que le narcissisme est une forme déviée. Il est toujours question de réalités intersubjectives et sociales, incarnée par cette formule de Fichte, on n’est homme que parmi les hommes, sur laquelle s’appuie Honneth pour exposer son programme. Les jeux de reconnaissance sont aussi des jeux de séduction et c’est ici qu’intervient la perversion narcissique, trait de caractère que certaines femmes auraient souhaité ne pas connaître. Le pervers narcissique est un type très intelligent, séducteur, qui une fois sa proie captée, s’en sert peu à peu pour asseoir un pouvoir perverti en détruisant lentement celle qu’il a séduite. Ce jeu de séduction est perverti par la rupture de la réciprocité. L’autre n’est pas considéré comme une personne mais un objet. Dans la séduction « droite » la reconnaissance et l’admiration se jouent comme un tango relationnel. Un pas vers l’autre et réciproquement. Chacun se met tour à tour en retrait.
En quoi cette réflexion aide-t-elle à comprendre le personnage Onfray ? Eh bien c’est cette réciprocité et cette manière d’user d’auteurs connus ou moins au service de son rayonnement. J’ai toujours pensé qu’Onfray ne parlait pas vraiment des auteurs qu’il citait mais pratiquait avec cet art subtil et délicat de parler de soi en parlant des autres. Ce jeu de miroir joué à un haut niveau d’intellectualité finit pas se voir. Pour se glorifier, Onfray ne prend pas de gants et s’en prend avec une férocité inouïe à Freud, alors qu’il use d’une délicatesse virant à la flagornerie philosophique pour élever une stèle à un Camus idéalisé en libertaire pour mieux servir les desseins de l’hédoniste autoproclamé qu’est Onfray. La démarche philosophique vire pratiquement au manichéisme intellectuel. Il y a deux types de philosophes, ceux qui sont prisé par Onfray et les autres, les matérialistes, authentiques penseur de la vraie vie et les transcendantalistes et autres phénoménologues qu’Onfray n’aime point d’autant plus qu’ils font l’objet d’enseignements savants et érudits au sein d’une Université qu’il honnit mais sans laquelle il n’aurait jamais eu son Capes pour enseigner puis lancer sa carrière. Onfray n’aime pas cette philosophie qui cherche le Bien, le Beau, le Vrai, celle de Platon, saint Thomas ou Hegel, celle qui essaye de connaître l’univers et dont les textes énigmatiques sont hors de portée d’un Onfray qui n’accédant pas à la compréhension de ces écrits, préfère dévaluer leur auteurs, comme il dévalue la figure du Christ tout en poursuivant son œuvre d’anti-théologie en discréditant le religieux et le théologique des docteurs de l’Eglise.
Onfray est tout autant narcissique qu’un Johnny prétendant tout donner à ses fans et ne comprenant pas le procès médiatique à propos de son exil fiscal. Johnny oublie que c’est grâce à la docile complicité des médias et au labeur des travailleurs qu’il doit sa fortune. Onfray joue les désintéressé, se campant en chevalier blanc du bénévolat, taisant les revenus qu’il tire en éditant avec la complicité de France Inter ses conférences, ou alors le salaire qu’il reçoit d’un éditeur pour publier un ouvrage l’an qui sera vendu parce que l’auteur est devenu une référence et qu’aucun média ne refuse une invitation. Alors Onfray en saint François de la philosophie populaire, non, le personnage n’est plus crédible mais il est emblématique de cette fin d’époque marquée par le matérialisme et le narcissisme. Les gens qui réussissent ne sont pas dans une société du spectacle, ils sont les hommes-spectacles, offerts aux rampes médiatiques et traquant le regard complice des admirateurs, jusque dans les milieux professionnels. Le narcissisme est même devenu un trait dominant dans la profession de journaliste et d’animateur télé. Utiliser un autre assez connu pour accroître sa notoriété jusqu’au culte de soi. Un journaliste connu tenait en son temps un blog. Je me souviens que pendant les crimes atroces perpétrés par Merah, ce journaliste n’avait pas écrit une ligne sur ce fait tragique mais s’était appliqué à causer d’un piège que lui aurait tendu un stagiaire venu le questionner pour ensuite donner son reportage à Pierre Carles. Epoque médiocre que celle où le religieux et le sens public s’estompe au profit du culte de soi. Le meilleur élève d’Onfray ne serait-il pas Jean-François Copé, qui au lieu de choisir Freud se plaît à démolir François Hollande, ou alors Nadine Morano ? No comment !
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Je pense qu’il ne faut pas accabler Michel Onfray plus que de raison impopulaire. Ce personnage très médiatique est emblématique d’une époque, tout comme Harry Potter ou Nicolas Sarkozy. Nous avons tous péchés un jour ou l’autre par excès de narcissisme, ce trait trop humain qui habite également quelques grands patrons et bien des célébrités. Un désir de se faire admirer, un excès du souci de plaire, les deux se conjuguant pour propulser cette époque vers un crépuscule où les fondamentaux sont voilés par le brouillard narcissique et toutes les procédures visant à soigner, voire truquer son image, comme on a pu le voir dans ce piètre opus du philosophe populaire noyé dans l’autosatisfaction béate. C’est la fin d’une époque, ou plutôt le signe d’une époque finie. Le narcissisme aboutissant à un jeu de miroirs entropiques où l’uniforme et le standard règnent. Epoque finie et dévoyée. L’art conceptuel a dévoyé le Beau, l’associatif et l’humanitaire ont dévoyé le Bien, le bavardage philosophique et l’émotionnel de l’opinion ont dévoyé la Vérité, l’argent a dévoyé l’honnêteté et surtout, le narcissisme a dévoyé le Système de reconnaissance. Adieux transcendantaux de la vieille civilisation. Le médiocosme étant devenu le milieu « naturel » de l’homme, il est logique que l’homo narcissus en soit l’espèce la mieux adaptée. Mais rien ne s’oppose à une évolution humaine, amen. Dommage de devoir achever ce billet. J’aurais bien aimé écrire un petit livre sur ce sujet crucial.
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