Le temps de l’anarchie
L'Anarchie, sans dieux, ni maîtres, ne fut qu'une idée sans réalité, si ce n'est le désordre. Internet et les réseaux de neurones peuvent-ils permettre de la réaliser ?
Jacques-Robert SIMON
La plupart des actions nécessitent la coalition d’une multitude de forces individuelles. Rassembler implique une hiérarchie pour obtenir la cohérence nécessaire. Aux temps des règnes du plus fort ou du bien né a succédé le capitalisme qui permet l’obtention de structures pyramidales adaptées à une prise de décision efficace. L’accumulation du capital permet d’obtenir les leaders peut-être les plus talentueux mais certainement les plus intéressés. La monnaie permet aussi de créer une échelle universelle des valeurs permettant aisément d’échanger travail et capital, clé d’une domination acceptée.
Le refus de toute tutelle, qu’elle soit divine ou terrestre, ne peut que conduire au chaos, à moins de trouver une autre force cohésive que celle apportée par le capitalisme et la propriété privée. Le seul ciment envisageable d’une société anarchique serait la fraternité et le respect d’autrui. Le capitalisme ne fait pas ce pari qui lui semble hasardeux.
La dissymétrie de nature entre le capital et le travail engendre donc un incontournable assujettissement. Changer cet état des choses revient à muter vers une société inconnue à ce jour. Les avancées technologiques récentes le permettent-elles ?
Un cerveau humain comporte de l’ordre de 100 milliards de neurones. Des molécules chimiques, les neurotransmetteurs, permettent de relier les neurones les uns aux autres. Les dendrites sont les portes d’entrée des neurones, il y en a de l’ordre de 7000 par neurone. En aval, il y a l’axone permettant la sortie de l’information vers d’autres neurones. La terminaison de l’axone est très ramifiée ce qui permet de contacter de l’ordre de 10 000 autres neurones avec une même information. Nous avons ainsi, très schématiquement, le plan d’un système « intelligent » non hiérarchisé. La connectique est le point le plus important pour qu’il puisse développer son « intelligence ».
Les sociétés n’ont jamais suivi un modèle neuronal pour prospérer. Les 7,1 milliards d’individus qui peuplent aujourd’hui la planète ont tous adoptés un système d’organisation pyramidale, tant pour la production économique que pour les organisations sociale, politique, syndicale. L’anarchie (étymologiquement sans hiérarchie) peut-elle émergée grâce à une structure calquée sur les réseaux de neurones ? Les nouvelles possibilités d’échange et de connexion offertes par Internet peuvent-elles donner accès à un nouveau type de société ? Peut-on dans cette société mettre en avant le fait que « Seule la force de travail a la faculté d’être une marchandise, qui, lorsqu’on la consomme, réalise du travail … » Il s’agit de faire émerger un ensemble individus qui pourraient collaborer sans hiérarchie ni des Hommes, ni de la nature de leurs activités.
Considérons un réseau d’internautes dont chacun peut être assimilé à un neurone. Les capacités de traitement de l’information des neurones biologiques sont incomparablement plus faibles que celles d’un internaute. Face à un problème, l’internaute déploie le talent et l’énergie qu’il juge bon pour résoudre une fraction de la problématique posée. Il est important que le temps consacré à ce travail, mesuré par le temps de connexion, soit soigneusement consigné avec l’identification complète de l’intéressé et l’adresse IP de son ordinateur. Sa contribution étant achevée, il va adresser à ses contacts le résultat de ses recherches en les segmentant de telle façon que l’on puisse soit accepter soit refuser ses propositions. L’unité de compte du réseau intelligent projeté est le temps de travail, sans exception possible. Toute domination, ou du moins toute domination excessive et injustifiée, est ainsi évitée entre les membres du réseau.
Il faut maintenant considérer les échanges du réseau avec « l’extérieur ». Un « bien » se construit qui appartient à ceux qui le construisent en fonction du temps qu’ils y ont consacré, ce temps constitue les « parts » du contributeur. Chacun peut céder ses parts contre une quelconque rétribution à une personne externe au réseau. Des parts du même projet, au même moment, peut être vendu par un autre membre du réseau. Un historique des transactions est évidemment conservé. Voilà pour ce qui concerne les extrants. La « valeur » des intrants au réseau, des projets plus ou moins aboutis, sera estimée en (travail.temps) et proposée au réseau d’internautes qui l’accepte ou non selon le « prix » fixé par vendeur.
Les valeurs des intrants comme les activités au sein du réseau sont exprimées uniquement en travail-temps, les extrants (les ventes) peuvent se faire en convertissant les unités propres du réseau en une quelconque unité de compte y compris en monnaie. Par ce processus, il est possible de travailler « ensemble » et non pas en groupe.
Certains réseaux, comme ceux dérivés de Wiki, fonctionnent, sûrement déjà selon des principes proches. Si seulement ces réseaux pouvaient devenir naturellement populaires pour que l’on puisse encore croire à cette humanité qui préfère aimer que compter.
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