Le Transhumanisme : l’idéologie dominante
Les travaux de Lucien Cerise ont permis de manifester l'émergence de cette nouvelle synthèse de la philosophie moderne qu'est le "Transhumanisme". S'il s'agissait de nouveaux développements purement intellectuels du positivisme, son intérêt serait mineure, mais cette théorie unifiante habite l'esprit de nombreux décideurs influents qui n'hésitent pas à envisager une redéfinition de l'homme dans un proche avenir.
LE TRANSHUMANISME
« Qui nous fera voir le bonheur ? » (Psaume 4, 7)
Idéologie de l’homme transhumanisé
La technicisation de notre quotidien par ce qu’on appelle les technosciences (outils numériques, sciences de l’information, sciences neurocognitives, nanotechnologies) constitue une sorte de tsunami qui progresse inexorablement.
Ce progrès technique impressionne par son efficacité et sa rapidité. Il est d’autant plus accepté que l’homme contemporain refuse de plus en plus ses limites et ses faiblesses naturelles. Il acquière une légitimité quand il promet une « meilleure qualité de vie ».
Ces innovations technologiques sont les produits du travail de certains chercheurs qui envisagent une amélioration de l’humain, et donc une optimisation du donné de la nature, mais également la transformation de ce donné – le trans-humanisme – et ceci jusqu’à son dépassement ultime : le post-humanisme. Nos enfants sont concernés par ces choix idéologiques. Les politiques, en effet, prennent comme principes de gouvernement toutes ces découvertes techniques sensées rendre l’homme meilleur et transformer notre vie terrestre en paradis.
Il convient donc de discerner le possible, le probable et ce qui relève de la science-fiction.
A. Le Transhumanisme : éléments de définition
Le terme « transhumanisme » (symbole h+) n’apparaît qu’en 1957. Ce mouvement techno-philosophique qui envisage l’augmentation de l’humain débute son argumentaire dans les années 80.
Sur le plan technique, les transhumanistes constatent ce qu’ils appellent la « grande convergence » : plusieurs technologies en effet peuvent se compléter pour maîtriser le Vivant. Des programmes sont ainsi financés par certaines grandes puissances occidentales : principalement Etats-Unis et Grande-Bretagne.
Ces programmes de recherche développent et combinent les technosciences : les « NBIC[1] » (Nanotechnologies[2], Biotechnologies, sciences de l’Information, technologies du Cerveau).
Sur le plan philosophique, le mouvement transhumaniste s’est constitué en association mondiale[3] et a rédigé une déclaration en 1999 (Transhumanist Declaration). Il s’agit d’un manifeste qui proclame « le droit naturel, pour ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie ».
On trouve également des formules comme celles-ci : « Nous souhaitons nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles ».
B. Des possibilités réelles
Assiste-t-on réellement à une tentative de mutation de l’humanité par les technosciences ? On peut estimer que ce transhumanisme est actuellement la « théorie unifiante ». En effet, elle semble réussir là où les approches seulement idéologiques ont échoué.
Les bilans de ces « philosophies » sont négatifs. Le marxisme a produit des massacres massifs, des lavages de cerveau à grande échelle. La psychanalyse n’offre pas de solutions crédibles aux malaises des sociétés occidentales. Après l’effet de mode, l’écran de fumée d’estompe et on constate que le socle anthropologique demeure malgré tout. Les nouvelles biotechnologies semblent par contre modifier profondément ce fondement.
« Nous en aurons définitivement terminé avec l’histoire humaine, parce que nous aurons aboli les êtres humains en tant que tels. Alors, commencera une nouvelle histoire, au-delà de l’humain ».
FUKUYAMA, La fin de l’homme.
Ces technosciences en effet transgressent les repères habituels de la vie humaine. Elles ne sont pas contraintes par les frontières et participent efficacement à la mondialisation des échanges. Elles évoluent à grande rapidité et dépassent le cadre de la maturation humaine. Ces domaines de recherche s’affranchissent des conditions de la matière et se développent dans le virtuel.
Bien plus, c’est la définition traditionnelle de la personne humaine qui est malmenée. Dans cet univers transhumaniste, dont on reconnaît les grands traits chez les apprentis-scientifiques à tous les niveaux, la synthèse unifiante de l’humain disparait[4]. Le généticien fait une lecture chimique de l’éthique humaine. Le biologiste moléculaire réduit le vivant à des combinaisons physico-chimiques. Le neuroscientifique, titre très recherché actuellement, analyse mécaniquement le fonctionnement cérébral. Le chercheur en sciences cognitives compare les schémas neuronaux et informatiques…
Un des techno-prophètes, Raymond Kurtzweil[5], utilise l’expression d’intelligence artificielle et promet un monde sans maladies, sans vieillissement, sans mort… Exactement dans le sillage du projet cartésien. Les mots changent : on ne parle plus de « mécanisme » mais d’ingénierie génétique et de nanotechnologies.
Les innovations techniques accompagnent l’humanité depuis longtemps… Mais ce qui est nouveau ici, c’est justement cette « grande convergence » : les interconnexions et synergies entre les quatre grandes technosciences contemporaines : biotechnologie, nanotechnologie, informatique et neurosciences. Le projet : modification des limites de l’humain et de ses caractères (hybridation homme/animal, homme/machine, etc).
Quels sont les innovations possibles ?
- Implanter dans notre cerveau des extensions de mémoire
- Reprogrammer nos cellules afin d’éviter certains maladies
- Allonger l’espérance de vie
- Transformer les identités sexuelles
- Transformer les modes de génération (in vitro mais aussi en l’absence de fusion mâle/femelle)
Ce qui caractérise par exemple les nanotechnologies, c’est que leurs manipulations opèrent dans des conditions différentes de l’échelle humaine habituelle, disons le cours habituel des choses ici-bas. On habitue ainsi progressivement les esprits à argumenter en dehors de l’humain prosaïque. On habitue les esprits à sortir des arguments issus du fin fonds de certains laboratoires et on les habitue à échanger sur des situations qui sont en dehors de l’univers humain normal.
Des applications techniques concrètes de ces recherches sont certes envisageables. Elles touchent à l’utile, au confort de vie. Pneus qui ne s’usent plus, textiles pouvant passer du chaud au froid, peintures empêchant le dépôt de poussière, vitres autonettoyantes, kits de diagnostics médicaux portatifs. En général, les champs d’applications sont multiples : électronique, médecine, aéronautique, agriculture…
Les interrogations issues de ces expérimentations ne manquent pas : quelles limites entre l’inerte et le vivant ? entre le naturel et l’artificiel ?
Certains bio-hackers bricolent ainsi l’ADN de nouveaux organismes vivants[6] : rendre un animal fluorescent, transférer les odeurs d’un fruit à un autre, etc.
Comme l’avait pressenti Descartes, ce sont les retombées médicales qui sont les plus visées : construction d’organes artificiels, perfectionnement des diagnostics (« puces à ADN »), prévention (nano capteurs mesurant certaines données), choix du médicament, etc. C’est évidemment ce domaine des nano médecines qui est la meilleure vitrine du Transhumanisme.
Le but est de faire converger ces innovations techniques pour changer le vivant humain : amélioration, augmentation des capacités, obtention d’un être aux performances accrues selon le rapport de 2002 mentionné plus haut. L’objectif est bien la promotion d’un bonheur hédoniste et matérialiste avec l’outil technologique.
Si la perspective anglo-saxonne est ambitieuse, les documents européens sont plus timorés quant à l’objectif de « transformer l’humain ». Les instances européennes insistent plutôt sur les applications médicales, l’alimentation, le confort de vie.
Mais le « noyau dur » du Transhumanisme va plus loin, comme Jean-Michel Truong qui prophétise la transformation radicale de nos corps en version 2.0 : de nano robots selon lui « détruiront les agents pathogènes, corrigeront les erreurs de notre ADN, élimineront les toxines et effectueront toutes sortes d’autres tâches pour améliorer notre bien-être physique[7] ».
Cette nouvelle humanité de cyborgs est annoncée pour 2030-2050. Truong prend l’exemple de l’évolution de l’usage des ordinateurs. « Les ordinateurs étaient des machines très grossières et distantes, dans des pièces climatisées où travaillaient des techniciens en blouse blanche. Ils sont ensuite arrivés sur nos bureaux, puis sous nos bras et maintenant dans nos poches. Bientôt, nous[8] n’hésiterons pas à les mettre dans notre corps ou dans notre cerveau ».
L’attachement au corps deviendra-t-il secondaire dans une sorte de platonisme désincarné ? Il faut savoir que Kurtzweil envisage l’avènement d’un corps 3.0. Des mini robots dans le corps qui suppléent aux déficiences naturelles de l’humanité.
C. Vers une humanité augmentée
Ne voyons-nous pas ici l’aboutissement en une théorie unifiante de la logique positiviste ? Certains mettent leur notoriété médiatique au service de cette direction :
« L’homme du futur sera le résultat d’une complémentarité, et il faut l’espérer, d’une symbiose, entre un être vivant biologique et ce micro-organisme hybride (électronique, mécanique, biologique) qui se développe à une vitesse extraordinaire sur la terre et qui va déterminer, en partie, son avenir ». Joël de Rosnay[9].
Car ce scientifique écouté avec sérieux envisage trois étapes majeures dans l’évolution prochaine de l’humanité.
1° L’homme « réparé » : de plus en plus de personnes seront les bénéficiaires de greffes et autres prothèses. L’athlète Oscar Pistorius est devenu l’emblème de ce progrès.
2° L’homme « transformé » sera dans un second temps remplis de puces électroniques diverses qui évalueront ses mesures métaboliques. Il aura éventuellement le cerveau couplé avec des disques durs et ne sera plus dés lors qu’un seul neurone intégré dans un système plus vaste que son seul système nerveux. Des essais ont ainsi permis à des singes de faire bouger des bras articulés à partir d’influx nerveux à plus de 1000 kms de distance via internet.
3° Ultime étape de ce processus améliorant : l’homme « augmenté ». Il sera fait de pièces détachées afin de perfectionner ses capacités naturelles (mémoire augmentée par des disques durs, etc). Nous serons alors dans le « meilleur des mondes » de Aldous Huxley.
Le but de la confection de ce cyborg de demain est d’améliorer la santé et ses performances physiques et sportives. On nous dit que cet homme « transhumanisé » sera capable de rester 15 mn en apnée, qu’il pourra aussi veiller plusieurs jours de suite… Bien entendu, il n’aura plus de défaut génétique[10] et sera : plus intelligent, plus mémorant, plus percevant, bref, meilleur élève.
Mourra-t-il ? On semble en douter.
Et l’induction[11] ? Ce mode naturel de connaître et de définir qui transforme les informations sensibles en concepts intelligibles universels et nécessaires ? Il continuera à être malmené[12]. Selon le roboticien Hans Moravec, en effet, nos sens naturels sont devenus inutiles et désuets :
« Les sens se sont développés quand le monde était sauvage, ils permettaient à nos ancêtres de détecter les opportunités et les dangers[13]. Les sens sont moins utiles dans monde domestiqué, où nos interactions deviennent des échanges d’information de plus en plus simple ».
Car l’ambition ici est d’optimiser, d’augmenter, nos sens naturels par des nano robots-détecteurs-de-stimuli. Ces informations sensorielles sont en effet un enjeu majeur chez le post-humain.
Il s’agit donc ici de contourner les processus naturels et même d’en créer de nouveaux… « Sentir une couleur » ou encore « goûter un son » sera alors possible de même que « sentir » une image distante. Bien entendu, ces « nouveaux sens » seront virtuels mais opératifs.
Mais tout n’est pas si simple et la nature a ses exigences : on sait qu’un homme sans contact sensoriel avec son environnement immédiat présente des hallucinations au bout de quelques heures. Cet enracinement de l’homme dans le sensible pose problème pour Hans Moravec[14] : comment va-t-on faire avec ces futurs « esprits humains » transplantés dans un corps robotisé ou un ordinateur ? Rien n’arrêtera l’assurance de notre roboticien : ces sens nerveux devront être impérativement stimulés. Il explique : « Pour demeurer sain, un esprit transplanté requerra une image sensorielle cohérente tirée d’un corps ou d’une simulation. Des esprits humains transplantés seront souvent sans corps physique, mais rarement sans l’illusion d’en avoir un ».
Voilà qui rassurera les futurs candidats. Et nous le serons encore plus quand on saura que le projet transhumaniste tient à s’occuper particulièrement de nos « capacités émotionnelles » pour enfin atteindre dés ici-bas la « félicité perpétuelle » aussi appelée « paradise engineering ».
Dans la bible du transhumanisme que constitue le rapport de 2002 cité plus haut, il est question de construire un modèle informationnel de l’esprit humain. Ce modèle « fournirait de nouveaux indices concernant la maladie mentale, la dépression, la douleur ainsi que les bases physiques de la perception, de la connaissance et du comportement ». On constate de nouveau que la caution médicale permet de faire avaler pas mal de pilules. Mais ce n’est pas tout, ce modèle mental nous donnerait l’occasion de « comprendre et décrire les intentions, les croyances, les désirs, les sentiments et les motivations en termes de processus informationnels ». L’intérêt étant en outre de les reprogrammer.
Il s’agit donc ici d’améliorer nos états d’âme. Ici se conjugueront les techniques des neurosciences mais aussi de la pharmacologie et de la génétique, signe de la « grande convergence ».
Pearce annonce ainsi pour bientôt une ère de « bonheur sublime et envahissant ». Car pour le moment, notre psychisme est encore à un stade primitif. Il faut donc l’améliorer si on veut envisager un bonheur sur terre : « Les états posthumains de joie magique seront biologiquement affinés, multipliés, intensifiés et ce, indéfiniment ».
D. Vers une coexistence humains/robots
Dans certains pays asiatiques (Corée du Sud, Japon), la population est déjà habituée à vivre avec des robots-aides qui sont sensés améliorer leur qualité de vie. En occident, ce fait sociologique tend à se généraliser.
La science et son corolaire l’ingénierie montre la voie : en août 2013, un androïde à capacité relationnelle élaborée a rejoint le spationaute isolé dans la station internationale. Ce fonctionnaire de l’espace devait se prêter à une étude sur l’impact de cette visite sur son moral. A-t-il dû afficher son sourire pour la photo officielle ? Ce robot tentait par ses programmes de singer l’humain. Raja Chatila[15], directeur de recherche au CNRS reconnaît avec une certaine honnêteté qu’on projette facilement sur les robots des réalités seulement humaines : « On dit alors de lui : il est gentil. Tout d’un coup, on lui attribue une âme, alors que ce ne sont que des paramètres numériques ajustés ».
Bien entendu, la sexualité « humaine » va aussi connaître ses bouleversements. Des rapports avec des robots sont en effet envisagés par certains et l’industrie du sexe aperçoit déjà quelques avantages en nature. Une série tv diffusée sur Arte, Real humans (du suédois Lars Lundstrom[16]) propose ce scénario.
E. De quel humanisme parle-t-on ?
Le Transhumanisme se définit comme l’ultime humanisme. Il s’agit en effet d’une philosophie de l’homme qui s’appuie sur une logique interne. Mais c’est une philosophie « technicienne » qui vise l’amélioration des caractéristiques physiques et mentales de l’être humain.
Pourquoi « Trans » ?
Etymologie : passage, usage au-delà de.
L’ensemble des techniques du transhumanisme portent l’homme au-delà de lui-même : au-delà de sa nature. Un homme nouveau, supérieur.
Humanisme : acceptions diverses selon la définition de l’homme. L’Humanisme dit de la Renaissance était surtout un refus de l’alliance de la culture gréco-romaine et de la révélation biblique. Cet Humanisme était déjà un positivisme et un individualisme, bien que certains, comme par exemple Thomas More, tentaient de résister à ce raz-de-marée en argumentant à partir d’Aristote[17]et du bon sens.
Il s’agissait en effet d’éliminer de la vie humaine les références transcendantes en focalisant toutes les recherches sur l’homme comme individu. Le Transhumanisme prétend continuer cette « œuvre » pour aboutir au posthumanisme.
Il est évidemment essentiellement progressiste puisque son outil principal, la technique, continue son développement dans le temps. Le Transhumanisme perpétue la tradition cartésienne de l’homme « maître et possesseur de la nature ». Et particulièrement du donné humain en éliminant de sa vie les défauts indésirables comme la tristesse et la mort et en optimisant les potentialités jugées bonnes comme la joie et le plaisir.
« s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher. Il est vrai que celle qui est maintenant en usage contient peu de choses dont l'utilité soit si remarquable : mais, sans que j'aie aucun dessein de la mépriser, je m'assure qu'il n'y a personne, même de ceux qui en font profession, qui n'avoue que tout ce qu'on y sait n'est presque rien à comparaison de ce qui reste à y savoir ; et qu'on se pourrait exempter d'une infinité de maladies tant du corps que de l'esprit, et même aussi peut-être de l'affaiblissement de la vieillesse, si on avait assez de connaissance de leurs causes et de tous les remèdes dont la nature nous a pourvus… » Descartes (Discours de la Méthode, VI)
Ses principes fondamentaux sont relativistes et donc profondément libéraux : droit à toute investigation sans contrainte. Les Transhumanistes de l’Association Internationale sont des libéraux convaincus. La philosophie est dite avoir échoué : la science technicienne va sauver l’humanité.
Le désir d’amortalité est ici présent : l’homme nouveau tel que le définissent les élites transhumanistes se voudra demain auto-créateur de lui-même. N’est-ce pas là l’idéal narcissique issu de la Renaissance, mais maintenant aidé par la technique ? Jean-Pierre Dupuy[18], ingénieur et épistémologue, parfait représentant de ce que donne l’idéologie dominante actuelle, précise que le Transhumanisme, en lequel il a identifié la pensée à la mode, et qui veut en être, oriente la pensée humaine vers un dépassement de l’imparfaite espèce humaine. La cyberhumanité tente ainsi de substituer l’artificiel au naturel…
F. La volonté transhumaniste
Des idéologues qui croient en leur réussite. Et ils s’organisent en conséquence. Nous avons parlé de l’Association Internationale de Transhumanisme (WTA). Son président est Nick Böstrom[19] (Suédois né en 1973), considéré comme un philosophe, il dirige un département de l’Université d’Oxford (Institut pour le Futur de l’Humanité…). Il s’est fait connaître par sa thèse de la simulation informatique : et si l’humanité actuelle était le fruit d’une simulation informatique... Pour Böstrom, cette situation est dite « probable ».
Mais tant que ces Transhumanistes n’occupent que des chairs de philosophie, on peut à la rigueur les laisser échafauder leurs utopies.
Mais certains d’entre eux ont réussi à occuper des postes plus influents. Tel des dirigeants du DARPA (Agence des projets en recherche avancée pour la défense, créée en 1958) qui travaille pour le Département de la Défense des Etats-Unis. Ses chercheurs ont été à l’origine de l’internet, de l’interface graphique et du GPS. Les recherches actuelles de la DARPA sont :
- le X-37 : navette spatiale sans équipage, 3 vols orbitaux dont le dernier en décembre 2012.
- Interface neuronale directe : dispositif de liaison entre un cerveau humain et un ordinateur externe. Les directions de recherche sont multiples : reproduction de certains mouvements par l’analyse des ondes cérébrales. « Grâce aux récentes avancées effectuées ces derniers temps, une IND permet non seulement de restaurer des facultés perdues (comme l'ouïe, la vue ou même les mouvements), mais est capable de plus d'étendre ces facultés, bien au-delà des capacités naturelles (comme le contrôle du curseur d'un PC à une vitesse et une précision impossibles à atteindre avec une simple souris, des jeux en ligne et même des membres robotisés). » (Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Interface_neuronale_directe)
- XOS : exosquelette motorisé militaire de l’armée américaine (https://www.youtube.com/watch?v=V87lSB5XWVs)
- BigDog : sorte de mulet robotisé géré par un ordinateur interne, testé en Afghanistan en 2009.
- Cheetah : robot quadrupède qui atteint 45,5 km/h. Les chercheurs espèrent 80 km/h/
Mais d’autres adeptes travaillent pour la Fondation Nationale des Sciences (créée en 1950) dont la mission est de « promouvoir le progrès des sciences ; d'améliorer la santé, la prospérité, et le bien-être nationaux ; et d'assurer la défense nationale » (http://www.nsf.gov/). En 2005, le gouvernement français créée l’Agence Nationale de la Rercherche sur ce modèle américain.
Aux Etats-Unis, les adeptes du TransHumanisme gravitent autour de l’Université de Stanford (Californie) et de Google.
Ainsi, en 2008, Larry Page (né en 1973), un des fondateurs de Google, créée la Singularity University (en lien avec la NASA). "Singularity University est l'occasion de rassembler les gens de tous les horizons imaginables de la vie avec des gens qui partagent une aspiration commune qui est de faire mieux, d'être mieux, et d'avoir un impact positif sur la vie des gens." (http://singularityu.org/). Nous conseillons au lecteur de visiter ce site pour apercevoir l’organigramme et le genre de manifestations « scientifiques » organisées.
G. Le TransHumanisme : idéologie des désespérés
L’argument ultime qui donne du crédit à ces recherches « Frankenstein » est l’amélioration de la santé. On l’aura remarqué à travers les déclarations citées plus haut. Le projet cartésien avance bien : le bonheur sur terre ici et maintenant.
Le TransHumanisme est la théorie unifiante ultime de la philosophie moderne et contemporaine : une nouvelle religion au service de la matière corporelle, mais ultimement au service de groupes privés.
Car c’est l’imperfection de la nature humaine, et son cortège de contraintes physiques, via son corps, que tente de corriger le TransHumanisme. Le but est une autonomie totale : la perfection sans la relation aux autres, sans les relations de dépendance. Les conséquences sont multiples : les hommes expérimentent de moins en moins tôt leur vulnérabilité, leurs faiblesses, leurs limites. Impossibilité de rencontrer l’altération mais soumission aveugle à l’ordre social existant, aliénant, puisque je n’ai plus rien à apprendre. Et finalement déshumanisation globale malgré l’injonction à la positivité très « mode ».
Face à la dictature grandissante, la problématique du salut de l’âme deviendra urgente.
La religion technologique nous affranchit du lent apprentissage de la sagesse. Elle impose son dogme « scientifique » et force l’humanité à se soumettre aux découvertes techniques qui, une fois mise au point, doivent être utilisées.
Mais au lieu de renforcer l’humain, ce TransHumanisme l’affaiblit et le rend docile aux injonctions sophistiques. Car cette idéologie est :
- Perte de l’expérimentation naturelle du monde, de notre discernement, de notre jugement, de notre capacité à argumenter objectivement en fonction du bon sens
- De notre environnement naturel
- De notre appartenance viscérale à une famille et à des relations de proximité
- De notre appartenance à une culture humanisante
- De notre liberté
- De notre sens de la dépendance et du service
- De notre sens de la beauté
- De notre intériorité
- Du sens de notre humanité
Le Transhumanisme est maintenant une question politique sérieuse. Imaginons-nous un François Hollande capable d’argumenter autour de ces thèmes ? Quand on voit la servilité de nos élites à tout ce qui provient d’Outre-Atlantique… L’aboutissement de la loi maçonnique en effet est la négation de la loi naturelle, de la définition de Dieu comme créateur de cette loi, l’exaltation prométhéenne de l’homme mesure de toute chose. L’argent au service de la technique mais aussi la technique au service de l’argent : abolition de la juste mesure et du juste prix.
« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure » Georges Bernanos (La France contre les robots, 1944).
[1] En 2002, l’American National Science Foundation a rédigé un rapport au titre évocateur : « Technologies convergentes pour l’amélioration des performances humaines : NBIC ». L’objectif annoncé est « d’assurer le bien-être matériel est spirituel universel, l’interaction pacifique et mutuellement profitable entre les humains et les machines intelligentes ».
[2] Le terme date de 1974 et a été diffusé à partir de 1986 : manipulation de l’infiniment petit.
[4] Et donc la sagesse…
[5] Né à New York en 1948, il est élevé dans l’église unitarienne bien que ses parents soient des juifs ayant quittés l’Europe juste avant la Seconde Guerre Mondiale. Il est au départ informaticien. Intégré dans l’équipe Google depuis décembre 2012.
[6] Des concours internationaux existent organisés par l’IGEM (International Genetically Engineered Machine) ou encore la revue io9.
[7] Totalement inhumaine, Les Empêcheurs de penser en rond, 2001, p. 32.
[8] Nous pouvons légitimement nous interroger sur l’emploi de ce « nous »…
[9] http://www.carrefour-du-futur.com/interviews/l-homme-en-pi%C3%A8ces-d%C3%A9tach%C3%A9es-est-il-toujours-humain/
[10] Les trisomiques n’ont qu’à bien se tenir !
[11] Clé de voûte de la philosophie réaliste, l’induction, que l’on peut aussi nommée abstraction, est analysée par Aristote dans ses Analytiques, un des traités de l’Organon. On est intelligent avec ses yeux et ses oreilles : c’est ainsi en effet qu’on passe de la paille des mots au grain des choses.
[12] Le primat déductiviste post-cartésien des mathématiques altère l’intelligence des jeunes élèves et les empêche de progresser vers la sagesse humaine. Aristote (qui luttait contre cette perspective mathématisante déjà présente chez Platon) et Thomas d’Aquin son fidèle interprète rappellent cette vérité incontournable et constatable : les déductions mathématiques s’appuient sur l’imagination et la mémoire, et ne développent point notre intelligence réelle. Au contraire, Thomas d’Aquin, dans un passage délicieux, rappelle que les mathématiciens ont « une intelligence débile ».
[13] Hans Moravec réduit ici le rôle des sens à la cogitative, comme les philosophes anglo-saxons.
[14][14] Né en 1948.
[15] Docteur en automatique, Raja Chatila est directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir) et directeur adjoint scientifique de l’Institut INS2I du CNRS. Il coordonne le Labex « Smart » portant sur les interactions humains - machine dans le monde numérique.
[16] « J’ai rencontré quelques spécialistes, mais les avancées actuelles en robotique n’ont vraiment rien à voir avec ce que nous montrons à l’écran dans Real Humans. Ils sont encore tellement loin du degré de sophistication des hubots, je ne sais pas s’ils seront un jour capable de faire des robots aussi perfectionnés.
Peut-être que les avancées scientifiques nous le permettront un jour, j’espère ! - Vous l’espérez, vraiment ? -
Cela serait passionnant ! Si nous prenons en main correctement leur développement, de façon responsable, je suis persuadé que cela pourrait être très bénéfique dans beaucoup de secteurs ». http://www.arte.tv/fr/lars-lundstroem-createur-de-real-humans-un-miroir-pour-nos-propres-existences/7364810,CmC=7369880.html
[17] Nous renvoyons ici à la Lettre à Dorp
[18] Né en 1941, polytechnicien et ingénieur des mines, il est professeur de français et chercheur au Centre d'Étude du Langage et de l'Information (C.S.L.I.) de l'université Stanford, en Californie. Il a aussi enseigné la philosophie sociale et politique et l'éthique des sciences et techniques jusqu'en 2006 à l'École polytechnique.
Il est membre de l'Académie des technologies et de l'Académie catholique de France. Il admire les valeurs du christianisme, mais n'est cependant pas croyant…
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