Le trident, la victime et Coluche
Racisme, xénophobie, antisémitisme, islamophobie, calomnie, ségrégation, complots... Si l’on triait nos déchets ?
Les a priori envers tel ou tel groupe, les phénomènes de rejet et de discrimination, voire les actes racistes caractérisés ont toujours inspiré des réactions bienveillantes, des groupes militants, des lois. Mais la nature, l’origine de la discrimination n’est pas si uniforme, et ses différents fronts ne s’abordent pas de la même façon. Au point que certaines actions ou certains discours sont contre-productifs.
Ce billet tente d’y apporter un éclairage.
-1- Mon beauf
Quand on parle de racisme, le premier personnage qui vient à l’esprit, c’est le beauf, le gros con, le bas du front. Il en est.
Raciste au premier degré, il fonctionne par simple généralisation : un arabe vole, donc les arabes sont voleurs, les noirs feignants, etc. Son opinion, il la forge sur son incapacité à interpréter des choses complexes. C’est un con objectif.
Personnage emblématique, caricature repoussoir, le beauf est le meilleur allié de la lutte contre la beaufitude. C’est lui qui inspire le fameux "je suis pas raciste", parce qu’on ne veut pas lui ressembler.
Mieux, être en conflit avec un beauf est valorisant, peut-être pénible, mais jamais destructeur.
Au fond, le beauf est utile, à condition qu’il n’ait pas de pouvoir de nuisance ; et justement, ses limites sont aussi celles qui l’empêchent d’accéder aux plus hautes sphères. Il sera tout au plus Maire d’un village de 50 habitants...
Bref, la "beaufosphère" se maîtrise facilement, tant qu’elle n’est pas décomplexée, ce qui suppose un minimum de vertu de la part du pouvoir politique en place. Car le beauf électeur est facile à manipuler, et la tentation du candidat est grande de caresser dans le sens du poil celui ou celle qui donnera sa voix contre un mot, un sous-entendu bien inspiré.
Le danger n’est donc pas le beauf, mais le politique, surtout celui qui rame pour rassembler des voix.
Faust, version 2010... les bulletins de vote trop facilement acquis finiront pas se transformer en sable, du moins je l’espère.
-2- Phobos, la lune dans le caniveau
Mais la bêtise n’est pas seule responsable des expressions du racisme. Les faiblesses psychologiques, et nous en avons tous, font aussi des dégâts. Ce qui alimente les peurs, les phobies, les fantasmes, ne tient pas du manque d’intelligence, hélas.
On a vu des gens brillants s’adonner à l’antisémitisme, à l’homophobie, et aujourd’hui l’islamophobie fait des émules parmi les intellectuels. D’autres propagent irrésistiblement des rumeurs, se vautrent dans telle ou telle théorie du complot tout en dénonçant les théories opposées, qui rivalisent d’irrationnel.
L’angoisse croissante de cette impuissance à améliorer les choses, à garder le contrôle de notre propre existence, nous pousse à chercher des ennemis surpuissants responsables de notre condition. Alors, notre échec devient relatif, justifié, et nous troquons notre armure inconfortable de chevalier vaincu contre le pyjama si douillet de la victime.
Ah, c’est si bon d’être une victime. Victime de quoi ? On ne sait plus, on trouvera bien, il y a tant à extraire de la mémoire de nos frustrations. Et puis les modes évoluent. Reste que cette profusion de victimes autoproclamées est plus subversive qu’une soirée pyjamas, car elle engendre de vraies victimes.
-3- Racisme secondaire - le pire
La forme la plus vicieuse du racisme, et celle qui fait probablement le plus de mal, est le racisme secondaire. Contrairement à "mon beauf", le raciste secondaire n’est pas raciste, et il le dit haut et fort. D’ailleurs, il a des amis noirs, arabes, juifs, gays. Voire, il est lui-même issu d’une minorité visible. Bref, il est "cool".
Seulement il a des responsabilités, lui. Il fait le tri parmi les locataires potentiels d’un appartement, il embauche un commercial, il sélectionne les happy few qui rentreront dans un club privé, il choisit le présentateur du 13H, il auditionne lors d’un casting, il mise sur un scénario de série ou de film...
Et s’il n’est pas raciste, il sait mieux que tout le monde que les autres le sont. En tout cas, il agit comme si, a priori, et bien-malgré-lui-vous-pensez-bien, il se faisait le représentant de l’opinion.
Il représente donc une opinion virtuelle, celle qu’il s’imagine être, et cette opinion est raciste. Mais pas lui, hein...
Alors le candidat de 50 ans est évincé, le "djeune" du Blanc-Mesnil aussi, l’arabe ne sera pas commercial, rapport aux clients.
Alors les trois noirs ne rentreront pas en boîte, pas par racisme (le videur est noir), mais les habitués préfèrent, sûrement.
Un arabe au 13H, c’est une fois tous les 30 ans, sinon, l’audimat vous imaginez ?
Quant aux propriétaires de l’appartement qui ne verront jamais leurs locataires, ils préfèrent sûrement des blancs, parce que l’immeuble sera mieux coté, parce que les gens qui achètent sont racistes. Mais ni l’agent immobilier, ni les propriétaires ne le sont, attention hein...
Ce qui est particulièrement ignoble, lorsqu’on est évincé injustement, qu’on est discriminé - selon l’expression légale - c’est qu’on a presque toujours en face de soi quelqu’un de sympa, ouvert, pas raciste. Même pas cette petite compensation d’être confronté à un beauf, quelqu’un qui nous rassurerait par sa bêtise, en quelque sorte.
Cette perception brouillée de la société, ce plafond de verre, ce message en forme d’injonction paradoxale, n’aide sûrement pas à se construire. On regretterait presque le raciste de base. Les banlieues en crèvent de ce racisme secondaire là.
Comment lutter ?
Un phénomène vient s’ajouter à ce trident raciste : En dénonçant régulièrement le racisme, et montant en épingle les réflexions "borderline" (et plus) de personnages politiques comme on l’a vu récemment, on renvoie de la France une image raciste, ce qui ne fait que renforcer le racisme secondaire. C’est ce qu’on appelle un cercle vicieux. Sans compter la victimisation des jeunes issus de l’immigration, qui incite au statu quo, à la cessation de tout effort ou de remise en question de son propre comportement.
Il y a quelques décennies, on a vu naître deux mouvements, en apparence indissociables, mais fondamentalement différents :
- Le premier s’établit autour du slogan "touche pas à mon pote". Joyeux, déterminé, bien défendu - par Coluche, entre autres, ce qui avait de la gueule - il n’était pas un mouvement de victimes. Et il renvoyait une contre-image de l’hexagone, il détachait l’étiquette raciste de ce pays.
- Le second est l’association "SOS Racisme" proprement dite, pourtant auteur du slogan précédent. Lui était fondamentalement plus victimaire, plus instrumentalisé aussi, et est devenu progressivement "bisounours" au point d’être rejeté par les beurs. Et chaque communication de ce groupe nous rappelait aux sentiments racistes qui perdurent en France, lui recollait son étiquette.
Clairement, on voit là deux exemples de ce qu’il faut respectivement faire et ne pas faire. Et si la lutte contre les discriminations doit faire l’objet de lois, de surveillance, de manière discrète - ce qui exclut les statistiques ethniques - et déterminée par la HALDE, c’est aussi à travers un vaste mouvement populaire d’expression de la tolérance et de l’absence de racisme qu’on fera avancer les choses. Un mouvement joyeux et bruyant qui couvre le martèlement islamophobe, l’antisémitisme new-age et toutes ces formes décomplexées de néo-pétainisme.
Coluche, tu nous manques.
62 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON