Le vote blanc, pour quoi faire ?
Le vote blanc reste marginal en France. S'il peut paraître inutile au premier abord, il se révèle opportun pour qui prend la peine de réfléchir à la question électorale dans ce pays. Il représente en effet une solution alternative à l'abstention. Comme elle, il a une valeur. Comme elle, il exprime quelque chose. En effet, ne pas choisir parmi ce qui est proposé, c'est avoir un avis, et c'est l'exprimer que de s’abstenir. Or, le vote blanc le fait tout autant mais à une différence près et de taille : l'électeur s'est déplacé pour le dire. Il a émargé et figure donc sur les registres du scrutin. Il marque ainsi sans contestation possible son attachement au suffrage universel, ce qui lui donne un poids supplémentaire. Or ce n'est pas aussi simple avec les abstentionnistes. Comment faire la part des choses avec eux ? Loin d'être exclusivement un plaidoyer pour le vote blanc, cet article se veut explicatif, et s'il pouvait aider l'électeur lambda quand précisément il ne sait pas pour qui voter, il aurait atteint son but.
Envisageons une élection fictive : imaginez l’auteur de cet article se présentant au scrutin municipal d'une circonscription de cent électeurs inscrits. On sait que ce type de scrutin est un scrutin de liste. Peu importe, restons simple. Il se présente donc devant les électeurs de sa commune mais, chose importante, il est le seul candidat, et ce jour-là tout le monde va voter. Tous les électeurs se déplacent et votent « blanc ». Sauf moi, le candidat, car je me donne ma voix. Pas fou quand même !
Quels seront les résultats du scrutin ?
À ce stade, quand on pose la question suivante sous forme d'une devinette — et je l’ai vérifié des dizaines de fois : « le candidat est-il élu ? » — la réponse est toujours affirmative. Bien. Mais l’idée que se font les Français du pourcentage de voix obtenu par ce candidat est fausse. Neuf fois sur dix, la réponse est « un pour cent », les autres répondent « dix pour cent » ou ne savent pas. La bonne réponse n’étant donnée que par un nombre infinitésimal des personnes à qui j’ai posé la question.
Eh bien, amusez-vous à votre tour à présenter ce cas et à poser ensuite la question autour de vous et vous constaterez que la réponse 1% revient quasiment à chaque fois.
Puisqu’il s’agit d’une devinette, continuons à jouer et donnons la bonne réponse, mais dans le cadre de ce que serait la proclamation officielle des résultats :
Nombre d’électeurs inscrits : 100
Nombre de votants : 100
Nombre de votes blancs ou nuls : 99
Nombre de suffrages exprimés : 1
Abstentions : 0
Le candidat est élu avec … ? — et c’est là que c’est intéressant : avec cent pour cent des voix. C’est-à-dire cent pour cent des seuls suffrages considérés comme exprimés. 100 % de un faisant une voix : c’est donc la mienne qui prévaut.
Inutile de dire que mon mandat commencerait très mal et que ma mission d’administrer une commune dans de telles conditions serait évidemment impossible et je devrais démissionner aussitôt, ce qui provoquerait une nouvelle élection.
Cet exemple illustre parfaitement ce que je voulais démontrer : il n’y a pas besoin d’attendre une reconnaissance du vote blanc pour en prouver toute sa valeur et son importance. Le vote blanc est un vote conséquent en lui-même, au sens français du terme, c’est-à-dire qui a une cohérence, par esprit de suite. Un électorat conscient de l’impact de ses suffrages peut faire pression pour peu qu’il ait compris la force du nombre et surtout sa force symbolique. Or c’est précisément le premier argument qui est opposé par les sceptiques : « ça ne sert à rien de voter blanc car ce n’est pas comptabilisé comme vote exprimé ». Mais je viens de montrer le contraire pour peu qu’une masse critique soit atteinte. Sans attendre les 100% ou la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé, on peut raisonnablement avancer qu’un score à deux chiffres créerait une dynamique nouvelle permettant à l’électorat d’évoluer et d’envisager d’autres perspectives. Or, sous la Cinquième République le record est de 6%, atteint au second tour de l'élection de 1995. Je ne parle ici que de la présidentielle.
Ajoutons que, les choses étant ce qu’elles sont actuellement, s’imaginer qu’un jour les hommes politiques pourraient reconnaître la validité du vote blanc relève de l'angélisme. Autant leur demander de voter une diminution de leur indemnité parlementaire. Allons, un peu de bon sens, S.V.P. ! En outre, l’abstention ne les empêche absolument pas d’être élus. Certes, tel un chœur de pleureuses ils affectent une mine contrite lors des soirées électorales ou expriment dans quelque article de presse qu'ils sont affligés par cette abstention. Mais tout cela, c’est de la comédie. Ils sont néanmoins élus, et c'est bien cela le problème — pour nous, les électeurs, cela va de soi. Donc, rien n'avance.
Autre exemple montrant que nos responsables politiques ne veulent surtout pas faire évoluer le système électoral. Nous sommes au soir du 21 avril 2002. Une fois remis du coup reçu sur la tête, que proposèrent les responsables du Parti socialiste ? De voter Chirac. Et pourquoi donc ? Officiellement, c’était pour barrer la route à Le Pen. Certes, en appelant les électeurs de gauche à voter Chirac, cela permettait déjà de réduire le score de Le Pen au second tour. Ce qui fut le cas avec un score inférieur à 20%. 17% exactement. Fort bien. Mais y avait-il d’autres solutions ? Oui. Appeler les électeurs de gauche à s’abstenir comme le PS l’avait déjà fait, par exemple lors du référendum de 1972 organisé par Pompidou sur l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, comme on disait à l’époque. On sait que de Gaulle s’y est toujours opposé. On sait également que le poids des abstentions rendit cette approbation quelque peu mitigée aux yeux des observateurs.
Pour en revenir à la réélection de Chirac en 2002, le résultat aurait été rigoureusement le même en ce qui concerne le pourcentage des voix obtenu par chacun des deux candidats…
Et si le P.S. avait demandé à ses électeurs de voter blanc ? Même chose, mais à une différence près. L’opinion aurait pris conscience du caractère inique du code électoral : les quelque vingt millions de votes blancs étant déclarés nuls, parce que considérés comme non exprimés. On peut avancer, sans craindre d’être démenti, que cela aurait quelque peu défrayé la chronique et fait parler dans les chaumières. Bref, cela aurait « réveillé » l’électorat. Mais élever la conscience de l’électeur, est-ce bien ce que souhaitent nos politiques, bien à l’aise dans une société basée sur la communication où une contre-vérité répétée cent fois devient une vérité et où ce dont on ne parle pas n’existe pas ? Un électorat de gauche sensibilisé à cet état de fait n’aurait-il pas fait pression pour que les choses changent aussi dans ce domaine ? Le plus simple, c’était donc d’appeler à voter Chirac et même, pour certains, de faire de la mise en scène : de conseiller de se « pincer le nez » ou « d’enfiler des gants » en rentrant dans l’isoloir… Souvenirs, souvenirs !
Le résultat, je le répète aurait été le même en ce qui concerne les pourcentages (83% pour Chirac et 17% pour Le Pen) mais à deux différences près : un score des votes blancs considérable (une vingtaine de millions) et un sacré message adressé au monde entier. En effet, quelle belle image la démocratie française aurait donnée d’elle-même !
Pour ceux qui ne seraient toujours pas convaincus que nos politiques ne prendront jamais la décision de reconnaître le vote blanc, je m’en vais démontrer que la raison réside dans le fait que cela bloquerait le système, ce qu'ils ne veulent pas. Évidemment.
N.B. : Je précise que je n'ai pas vérifié si dans le projet de Sixième République développé par Arnaud Montebourg la reconnaissance du vote blanc figure ou pas. Mais cela n’a aucune importance ici.
Revenons donc à l’élection présidentielle. Il nous faut remonter à 1995 pour bien comprendre ce qui se serait passé si le vote blanc était reconnu.
Au second tour Jacques Chirac obtint 52,64% des voix et Lionel Jospin 47, 36% (j’arrondis ici les chiffres recueillis sur Wikipédia). Or, cette année-là le vote blanc atteignit le chiffre record de 6%. Ce qui aurait entrainé de fait, s’il était reconnu, la réduction du pourcentage de chacun de 3%. On aurait donc assisté à la chose suivante : M. Alain Dumas, Président du Conseil constitutionnel, annonçant devant micros et caméras :
(…) ont obtenu au second tour de scrutin : M. Jacques Chirac 14 811 953 voix, soit 49,65% des suffrages, et M. Lionel Jospin 13 149 570 voix soit 44,35% des suffrages. La majorité absolue des voix étant requise au second tour, le Conseil constitutionnel déclare que M. Jacques Chirac n’est pas élu Président de la République et qu’en conséquence il y a lieu d’organiser un troisième tour de scrutin (…)
Arrêtons ici la fiction et mesurons simplement le poids qu’auraient eu les électeurs ayant voté blanc sur chacun des deux candidats amenés à repartir en campagne et à revoir leur copie…
J’en ai fini avec ce que je voulais démontrer. Voter blanc n'est donc pas une fin en soi, mais une solution qu’il convient de bien peser. Si les électeurs tentés par l'abstention acceptaient de jouer le jeu sans attendre sa reconnaissance, ils contribueraient, sans se renier, à accélérer la survenue de cette dernière.
Un dernier mot qui me semble important. En l’état actuel des choses, à quatre-vingt jours du premier tour, personne, moi le premier, ne sait ce que seront les résultats ce soir-là. Personnellement, je m’attends à une grosse surprise. Pas du type de celle de 2002, mais quelque chose du genre cinq candidats dans un mouchoir de poche. Ce quinté gagnant réunirait donc cinq candidats au coude à coude entre 20-22% et 14-15%. Et dans cette hypothèse, que dire de l’ordre d’arrivée et de la valeur de chaque voix ?
J’ai écrit cet article car « les déçus du sarkozysme » étant très nombreux, je crains qu'une forte proportion de ceux qui ont cru aux belles promesses et qui sont allés voter en 2007, soient tentés de rester à la maison lors de cette élection, par résignation ou par réaction, voire par la pauvreté du message politique. Que l’on se souvienne de la très forte participation de 2007, et aux files d'attente interminables pour aller voter. Comme cette fois-ci, tout le monde, à l'exclusion d'un seul, est d'accord pour nous proposer en gros la continuation de la même politique sur le plan économique et social, d'une part, que le corps électoral sent bien que tout lui échappe, d'autre part, ce jour-là les abstentionnistes potentiels pourraient faire autrement que de simplement rester à la maison. Pour ce qui me concerne, mon choix est fait. Je vous laisse deviner parmi les membres du quinté. Mais attention, pas de confusion, c’est bien pour un homme que je voterai, parce que mon candidat est républicain, lui.
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