Lent suicide d’une Europe de la bêtise façonnée par les populismes

Economie de la connaissance ou société de la bêtise ? L’Europe ne va pas très bien. Les Etats-Unis non plus. L’Europe paraît souffrir de pathologies liées non seulement à l’économie mais aussi à sa politique et sa bureaucratie. Les Etats-Unis paraissent touchés par un mal dont l’épicentre serait la finance. Quant aux pathologies politiques américaines, elles sont liées à la politique étrangère depuis des décennies, avec des impacts sur la planète, alors qu’à l’intérieur du pays, elles s’affirment régulièrement et se confirment récemment, épousant un tournant populiste guère étonnant dans ce pays façonné par les extrêmes. L’Europe aussi est gagnée par la « maladie populiste » ce qui n’étonne guère, au vu de l’histoire passée de ce continent qui a vu naître deux des régimes les plus abominables, le fascisme et le nazisme. En réalité, c’est tout l’Occident qui est malade de ces formes diversifiées de populisme, maladie dont on peut trouver les symptômes dans une sphère élargie aux pays de culture musulmane. Le populisme est universel et pourrait même devenir le genre humain après les déboires de l’internationale socialiste enterrée un soir de décembre 1989. Néanmoins, la notion de populisme mérite quelque réflexion. Comme du reste d’autres notions vagues comme peuple ou société. Voir le populisme comme un allié dans la plupart des régimes tend à dissoudre le sens de cette notion. Le fascisme et le nazisme sont issus du populisme sans s’y identifier. Les démocraties contemporaines sont traversées par des mouvances populistes dont on dira qu’elles altèrent fortement l’idéal républicain et démocratique.
En vérité, le populisme est un ressort puissant d’un régime, ou alors un ingrédient, une composante servant d’instrument complémentaire pour l’exercice du pouvoir. Le populisme ne peut à lui seul servir de puissance gouvernante. L’armée représente la puissance physique permettant la stabilité du régime. Le populisme constitue pour ainsi dire le complément de puissance dont l’impact est le psychisme. L’armée suscite la crainte. Le populisme cible les émotions, s’adressant aux niveaux infra-raisonnables du psychisme, flattant les plus bas instincts. Par exemple, le sentiment nationaliste bâti en négatif, en désignant l’ennemi, le juif pour les nazis, l’occidental pour le régime iranien et réciproquement, l’islam pour le nationalisme européen. L’Argentine péroniste était gouvernée grâce à un ingrédient populiste, comme du reste le Portugal avant la rupture de 1974 et bon nombre de régimes dictatoriaux passés ou présents.
Jouer sur la fibre populiste s’avère constituer un outil de plus en plus pratiqué en Occident. Rien qu’en France, on voit poindre les tendances populistes qui n’ont jamais quitté le pays, sauf peut-être pendant cette période presque euphorique à la fin des Trente glorieuses, entre la nouvelle société de Chaban et le « changer la vie » de Mitterrand. C’est au moment où la France a pris conscience que la vie ne pouvait être changée par la politique que le plus emblématique des mouvements populistes, celui de Jean-Marie Le Pen, est arrivé sur la scène médiatique, pesant plus de dix points dans les urnes tout en gagnant la sympathie d’un tiers des Français. Quand l’avenir est ou bien noyé, barré, absent, ou bien confisqué par un système, le populisme gagne du terrain, servant d’exutoire et d’emplâtre psychique pour satisfaire le mécontentement. Le populisme sert à renforcer la gouvernance d’un système perçu comme impuissant par les populations. Le populisme est à la politique ce que la publicité est à une marque. Dans le premier cas, l’électorat est renforcé, dans le second, c’est la part de marché. La publicité donne souvent l’impression d’un plaisir renforcé par la consommation d’un produit. Le populisme laisse accroire que le citoyen est entendu et écouté par le pouvoir, moyennant quelques décisions et autres déclarations sans importance mais portées au pinacle de l’hystérie médiatique. Un coup de Woerth et un coup de MAM, pour promouvoir l’opposition. Quant à Sarkozy, il ne déroge pas à la règle, loin s’en faut. Un coup contre les journalistes, un autre contre les juges, les racailles, une invective contre les banques, les paradis fiscaux, un médicament offert au lynchage, voilà des ingrédients s’adressant aux bas instincts du peuple pour masquer l’impuissance du pouvoir et surtout, l’essentiel, à savoir un Etat servant les intérêts des classes supérieures et les rentes accumulées depuis deux décennies. La publicité comme le populisme s’adresse au vide de la pensée.
Nous pouvons maintenant mieux cerner le populisme à travers son contraire, qui est l’opinion éclairée et le citoyen doué de la faculté de raisonner. Les lumières de la raison participent à l’édification d’une civilisation, au foisonnement des arts et de la haute culture, à la pratique de la discussion et de la réflexion, au fonctionnement vertueux des institutions républicaines, à l’équité économique, à l’instruction. Le populisme sert la décadence et les intérêts particuliers dévoyés par la vénalité. D’un côté, il faut flatter les bas instincts du peuple, semer la colère, pratiquer le lynchage, punir, châtier, venger, avec un président qui confond sanction et vengeance. Le populisme n’est pas inscrit dans les textes républicains mais repose sur une sorte de charia laïque et non écrite, le plus souvent improvisée au gré des événements et autres faits divers. Quand le populisme est pratiqué dans une société, il fonctionne de pair avec la promotion des goûts médiocres, favorisant la propagation d’une sous-culture dont on voit les nombreuses figures dans le monde du cinéma, du journalisme, de la chanson, de l’art contemporain, de la littérature et des humoristes. Que de prétendus artistes médiocres mais pourtant si populaires. La culture est, comme la politique, minée par le populisme. Elle a ses émissions dédiées, de chabada au bureau des plaintes, lieux voués au bavardages inutiles et autres prestations insipides chantées ou parlées, permettant à de médiocres rentiers du spectacle de s’en mettre plein les poches, eux et leurs producteurs.
Le citoyen ciblé par le populisme manque d’éducation, de goût, d’intelligence. Le populisme est l’adversaire des lumières et de la civilisation, du progrès et de l’art de vivre républicain ; il est engendré par la facilité et constitue l’un des artifices permettant aux intérêts privés et autres rentes de situation de prospérer, de capter les richesses, d’asservir les populations en les aliénant, en les coupant des progrès de la conscience et de la raison. Le populisme est un obstacle à l’avenir ; il s’oppose aux espérances. Il est pratiqué le plus souvent par les conservateurs. Ce qui est logique, le conservatisme étant l’allié objectif dans la défense des rentes de situation ou alors dans le maintien des normes sociales éculées mais sécurisantes, quitte à confisquer l’avenir pour les générations futures. Le lecteur l’aura compris, je ne conçois pas le populisme dans son acception héritée de la vulgate politicienne, autrement dit comme une doctrine réductrice spécifiant une idéologie montant le peuple contre de soi-disant élites. Le populisme est plus vaste et plus profond. Il a pour ressort la sollicitude dévoyée envers les bas instincts et plus généralement, l’instrumentalisation de l’ignorance populaire au service d’une manipulation des individus par d’habiles propagandistes soignant au plus près leurs intérêts. Cette ignorance étant du reste entretenue et même renforcée en jouant de la passivité complice de l’ignorance et du plaisir généré par les productions médiocres s’adressant à la facilité, occultant de ce fait l’usage des savoirs, des connaissances, des arts nécessitant quelque expérience pour être appréciés. Quelle hypocrisie que cette société qui se targue de vouloir éduquer sa jeunesse pour ensuite cultiver le désapprentissage et la déséducation d’un peuple guidé sur les voies de l’ignorance. Le progrès fut autant matériel que spirituel. Actuellement, la technologie arrive en fin de course et nous devrions songer à un progrès par la culture, l’éducation, la pratique des arts et des connaissances, non sans rappeler quelque idéal de vie contemplative qu’un Aristote avait envisagé dans son Ethique.
Le populisme s’adresse à la bêtise, à l’internationale du genre sous-humain, aux masses émotives, mais cessons d’attaquer stérilement puisque contrairement au nazisme, l’ennemi populiste de la civilisation n’a pas un uniforme mais est diffus, incertain, tel un virus affectif et simpliste se propageant par des voies médiatiques tellement déployées qu’on ne sait plus qui est responsable de ce marasme. Le populisme est différent du fascisme mais ses effets sont comparables. La civilisation s’éteint, non pas dans la brutalité mais dans la porosité des âmes humaines vouées à perdre le sens de la raison, l’aptitude aux vertus et autres horizons d’un bien-être social et culturel. La jeunesse est privée de son destin. Elle a su inventer un monde dans les années 1960 ; elle s’efface du monde en 2011, au lieu de mordre dans l’avenir et de prendre sa part d’existence que les pays européens lui refusent. Un malade psychotique, producteur d’émissions naturalistes, se prépare à être candidat écolo en 2012. Tel est l’un des signes de ce populisme contemporain dont le résultat sera d’en finir avec la culture européenne et d’installer le lent suicide de la civilisation avec un style non politique, pas brutal comme fut le nazisme, mais tout en douceur, en flattant la bêtise humaine, en abaissant les valeurs supérieures, en dégradant les repères transcendantaux. Nul n’a décrété que la civilisation doive perdurer. Une société gagnée par le populisme est parfaitement viable, comme peut-être une ruche ou une fourmilière. Il faut juste détruire la conscience du passé et les idéaux supérieurs. Les médias s’en chargent très bien et facilitent l’avènement de cette civilisation asservie à la finance et aux machines. Le pacte de compétitivité en est un signe. Peu d’artistes se suicident ces temps-ci. Ou bien le populisme est acceptable, ou bien il n’y a plus d’artistes. En tous cas, une société populiste n’incite pas les artistes à créer et ne suscite pas les meilleurs billets.
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