« Les amours inclusives », ou le bordel dans la langue
Il y a tant de grâce dans la féminisation du mot amour au pluriel ! Cependant le singulier est du genre masculin : doit-on comprendre que les hommes sont exclusifs dans leurs amours – un amour à la fois ? Et les femmes libertines, pratiquant plusieurs relations simultanées ?
Fluidité
Cela n’a de sens que si l’on confond les genres grammaticaux et les sexes. Mais personne ne les confond. Si ? Ah oui : les féministes radicales. Les Gorgones. Dès lors elles poussent à la manipulation linguistique et sèment la confusion là où il n’y en avait pas. Une manière comme une autre de ressasser à l’infini une supposée oppression systémique. C’est un fond de commerce.
Il paraît donc que la règle est ainsi libellée : le masculin l’emporte sur le féminin. Ce qu’elles traduisent par : l’homme l’emporte sur la femme. Bienvenue en Absurdistan. En fait le français n’a pas développé de manière habituelle le genre neutre ; c’est la forme masculinisée qui en fait office. Personne n’est exclu dans cet exemple : des hommes et des femmes beaux. Le mot homme lui-même représente soit l’individu mâle, comme dans l’exemple, soit l’espèce humaine toute entière. Personne ne confond les deux termes quand le contexte de la phrase est explicite, même si cet exemple particulier souffre d’une esthétique approximative.
On a beaucoup écrit sur la laideur des formes inclusives avec signe graphique médian. Par exemple : tou-te-s les participant-e-s. Tout y a passé : parenthèses, tirets, majuscules, et point médian. Ces formes compliquent la lecture et la langue.
Or, d’une part on doit pouvoir lire un texte de manière fluide, sauf si l’on veut dégoûter les derniers amateurs de littérature. D’autre part la langue orale ne peut exprimer ces signes. Elle doit donc formuler vocalement quelque chose qui n’est pas écrit afin d’être compréhensible. Quel bordel !
Recommandation
Enfin, aucune de ces formes n’est réellement inclusive. Dans tous les cas, le féminin suit le masculin ou en est un appendice, quand il n’est pas mis entre parenthèses. Un comble ! Et une manière implicite d’exclure par séparation des sexes, sous prétexte d’inclusivité.
Cette langue dite épicène, chère à son altesse Madame la Maire (heu, pas la mère…) de Genève, n’est qu’une manière de politiser la langue et donc de détourner à des fins partisanes par exemple les textes officiels. Ce qui est contraire à l’esprit de la démocratie.
Autre aspect de cette volonté inclusive : l’accord des adjectifs au pluriel quand ils concernent les deux genres. Le masculin l’emporte ? J’ai cherché cette formulation dans des sites de grammaire, sans succès (j’aimerais être éclairé sur ce point). À part la mention d’un grammairien du passé affirmant que le masculin l’emporte parce qu’il est plus noble, déclaration idiote ou humoristique qui n’engage que lui-même), les formules sont :
– les groupes “mixtes” ont un accord masculin ;
– l’adjectif se met au masculin pluriel, si l’un des noms qu’il qualifie est au masculin ;
Ici on recommande cependant une formulation harmonieuse, que j’approuve : « Le portail et la porte sont fermés - Mon père et ma mère sont grands. (Il est souhaitable dans ce cas de placer le nom masculin au plus près de l’adjectif : la porte et le portail sont neufs sera plus harmonieux que le portail et la porte sont neufs). »
Racine
J’écris ainsi depuis longtemps. De même j’écris volontiers : « les participants et participantes », plutôt qu’appliquer un neutre à forme masculine. Cela rallonge légèrement le propos mais évite l’écueil du genre unique. Selon le cas je choisis des termes ou formulations qui contournent l’écueil. Je varie donc mes formulations pour autant que le sens, la précision et la fluidité de l’écrit et de la pensée demeurent.
– l’adjectif qui se rapporte à plusieurs noms coordonnés par une conjonction telle que et, ou se met au pluriel. Il est au masculin si l’un au moins des termes est au masculin.
Aujourd’hui il est proposé de reprendre l’accord avec le terme le plus proche. Il a été en usage il y a quelques siècles. Le célèbre auteur Jean Racine est souvent cité à ce propos. Cet article le rappelle :
« On lui doit le fameux vers, tiré de son œuvre Athalie, Consacrer trois jours et trois nuits entières. C’est oublier bien vite que le poète a avant tout cherché à faire rimer le mot entières avec prières situé au précédent vers. En effet, l’art autorise, encourage même, ce genre de libertés. »
C’est bien par l’art, sur un temps long et par la répétition, que l’usage peut évoluer, et non par une décision politique partisane.
Cependant, dans le même article, un exemple illustre le risque de confusion induit par l’accord avec le plus proche : « Comment distinguer les cas où l’adjectif ne concerne qu’un seul des noms ? L’énoncé il a mis ses gants et ses chaussettes vertes, signifie-t-il que, tout comme ses chaussettes, ses gants sont verts ? Ou bien que ses chaussettes sont vertes mais que la couleur de ses gants n’est pas précisée ? »
Aveuglement
On peut aussi gloser sur la féminisation et la sonorité malheureuse du mot écrivaine. Écrit-vaine : voilà bien une consonance de mauvais aloi. Ensuite, parler des plus grandes écrivaines françaisesn’impliquerait que les écrivains femmes en excluant les hommes, alors que dire : les plus grands écrivains inclut tout le monde. C’est pourquoi on trouve en général la formule : les écrivains femmes, plus souple et précise.
Cela laisse toutefois entendre que c’est la fonction d’écrivain qui prime, et non la féminisation du métier. Pourquoi dès lors féminiser certaines fonctions et pas d’autres ? Uniquement pour éviter des consonances malheureuses ? On gagne en complication et on perd en cohérence.
On peut encore s’amuser, heureusement. Une grenouille est-elle mâle ou femelle ? C’est un nom générique donc non marqué sexuellement, « neutre » socialement en quelque sorte, bien que de genre grammatical féminin. On dira donc une grenouille mâle, ou une grenouille femelle, ou un papa grenouille, si l’on veut en préciser le sexe. Pour rappel le crapaud n’est définitivement pas le mâle de la grenouille. Sa femelle est la crapaude.
L’accord avec le plus proche crée d’autres exceptions. Par exemple : vingt-et-un chevaux s’accorde non pas avec un, pourtant le plus proche, sans quoi on écrirait : vingt-et-un cheval. Le mot chevaux est au pluriel non pour une raison de règle de grammaire mais à cause d’une locution exprimant un nombre.
La langue devient donc le lieu d’une bataille politique et idéologique. Pourtant personne ne peut démontrer que l’usage courant prédispose à une subordination des femmes aux hommes. Le penser est faire preuve d’aveuglement.
Altesse
Malheureusement l’endoctrinement des jeunes filles bat son plein, comme le montre cette remarque pêchée sur un forum :
« Le jour où la maîtresse nous a expliqué que le masculin l’emporte, toutes les filles de ma classe se sont insurgées. On ne comprenait pas pourquoi cette règle existait. » Que cherche cette enseignante ? Cette formulation est inexacte et ne correspond pas à l’esprit de la grammaire. L’enseignante fait subrepticement de la politique partisane et de l’endoctrinement idéologique en cours de français. Quant aux élèves filles, elles sont prêtes à se ressentir victimes universelles de la société.
La confusion délibérée – et corruptrice – entre le genre grammatical et le sexe n’est pas innocente, comme le souligne un autre commentaire lu sur le forum Agoravox :
« Laissez les grammairiens tranquilles, ils n’ont rien à voir là-dedans. Cette agitation hystérique est la manifestation et la traduction du manque de formation des instituteurs qui confondent grammaire normative et linguistique d’une part, et d’autre part de la montée en puissance du lobby LGBT-MLF qui semble avoir reçu des fonds pour financer des campagnes dont le résultat (mais peut-être le but) est de tenir un maximum de place sur la scènes médiatique, ce qui en laisse d’autant moins à d’autres questions autrement importantes. »
Dans Le Devoir, média canadien, le chroniqueur Christian Rioux écrit également sur le sujet :
« En français, il n’y a pas d’équivalence entre le genre grammatical et le sexe. Pour le dire autrement, une femme peut être un prophète, un homme une personne, le roi une altesse et la reine un assassin. Au lieu de s’en désoler, on devrait se réjouir de ce jeu délicat et éminemment contemporain entre les genres.
Perlimpinpin
Ceux qui croient qu’une langue « non sexiste » peut réduire les inégalités devraient savoir que le farsi et le turc n’ont ni masculin ni féminin. Pas sûr que dans les pays qui les parlent la condition des femmes soit si enviable. »
Je termine avec cet extrait qui rétablit la dignité des femmes du passé, si victimisées, donc dénigrées, par les Gorgones du présent. Une dignité que les féministes radicales foulent aux pieds, toutes affairées à fabriquer des victimes pour gagner des subventions sur leur dos :
« Petit rappel sur le XVIIe siècle au passage : à lire tous ceux qui s’expriment sur la question (et qui en sont donc des spécialistes, certainement), on visualise un carcan enserrant les femmes et la pensée. Alors non. Les femmes tenaient les salons littéraires. Etaient considérées comme de beaux esprits à égalité avec les hommes. »
Il y a 35 ans Julien Clerc chantait Femmes je vous aime. Aujourd’hui il serait peut-être hué par les adeptes d’Oser le féminisme et stigmatisé pour sexisme, harcèlement et paternalisme. N’est-il pas sexiste de généraliser, potentiellement harceleur de les aimer toutes, et grave paternaliste d’aimer même celles d’entre elles qui ne ressemblent qu’aux connes, comme le chantait Jacques Brel ?
L’inclusivité, nouvelle marotte progressiste, n’est autre chose que de la poudre de perlimpinpin. Et si la langue au service d’une idéologie est l’arme des Gorgones, l’intelligence sera la nôtre.
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