Les visiteurs médicaux et l’autorisation de venir jouer le jeu du marché
Dans les articles précédemment consacrés à l’univers du médicament, dont le premier se trouve ici :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-societe-occidentale-serait-elle-170606
nous avons peu à peu découvert le rôle prééminent de la Commission d’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché).
Pour l’essentiel, l’importance de celle-ci provient du fait qu’elle est le lieu de la rencontre plus ou moins conflictuelle entre les Autorités sanitaires et le marché. Cette situation adverse peut se transformer en son contraire : une entente réelle doit aussi pouvoir s’y nouer, dans un système d’intérêts réciproques bien compris. Comme son nom l’indique, l’AMM, l’autorisation de mise sur le marché, c’est d’abord et avant tout une "autorisation". En face d’elle, le marché ne peut d’abord qu’offrir ses services. Pour quelle raison les propose-t-il ? Pour cette raison qu’il est le lieu où les échanges de produits se font contre rémunération.
Dans le domaine du médicament, c’est un conglomérat d’entreprises de dimension et d’origine variables qui intervient. Cela se retrouve pour bien d’autres produits. La différence essentielle, c’est que, dans le cas du médicament, les décisions de la Commission d’AMM engagent assez directement le financement des produits par la Sécurité sociale et les assurances complémentaires. Outre la pénétration du marché, l’autorisation délivrée débouche sur une garantie du financement des opérations d’achat, sous des conditions qui appartiennent, par ailleurs, à l’univers de la concurrence acharnée entre les laboratoires.
Ce mélange des genres peut avoir des conséquences redoutables puisque, par exemple, comme l’indique Pierre-Louis Bras, ancien directeur de la Sécurité sociale, pour une part importante de sa raison d’être,
« la visite médicale [c'est-à-dire la démarche de commercialisation auprès du médecin] n’est qu’une dépense de rivalité entre les laboratoires : au sein d’une même classe thérapeutique, essayer de déplacer la prescription du médicament A vers le médicament B. Dans ces cas-là, ça n’a pas d’effet sanitaire majeur. Simplement, c’est une déperdition de temps et d’argent pour la collectivité puisque, ce qui est fondamental, c’est que c’est nous qui payons la visite médicale. »
Certes, mais une fois l’autorisation de mise sur le marché obtenue, le produit pharmaceutique n’est-il pas un produit comme un autre ? Dans l’ouvrage "Le marketing du médicament en question(s)" coordonné par Alain Ollivier et Claude Hurteloup, Daniel Boissaye souligne le caractère exceptionnel de la rentabilité opérationnelle du secteur :
« […] c’est la plus forte de treize secteurs industriels étudiés en 2000 (devant l’industrie pétrolière et les industries de haute technologie : informatique et télécommunications) […]. »
Ce qui laisse à penser qu’en termes purement économiques, le médicament est tellement comparable aux autres produits qu’il devrait être, pour eux, un modèle… Or, il possède sur les autres un avantage/désavantage qui le dynamise tout particulièrement : il emporte dans son prix une rente temporaire qui vire peu à peu à la peau de chagrin. En effet, comme l’écrit le même auteur :
« […] l’innovation thérapeutique, la durée d’exploitation sous brevet restreinte par l’allongement des délais de R&D [recherche et développement] et d’enregistrement, ont un impact limitant la durée du cycle de vie, les médicaments les plus importants voyant la commercialisation de leur(s) générique(s) parfois le jour même de l’expiration du brevet ! »
Et c’est encore Daniel Boissaye qui conclut, de ces conditions d’existence particulières du médicament, à la nécessité dans laquelle se trouvent les laboratoires pharmaceutiques d’être de vrais champions dans la grande bagarre de la concurrence :
« […] compte tenu de ce qui précède, on comprend qu’il est vital d’obtenir la plus grande part de marché et ce, le plus vite possible, et sur le plus grand nombre de marchés possible. D’où la concentration des dépenses au moment des premières années de lancement et l’importance du pré-marketing. »
La pilule, c’est bien le patient qui l’avalera au plus vite…
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