Lettre ouverte aux signataires de l’appel « Éthique scientifique et sciences du climat »
Mesdames et messieurs les directeurs de centres de recherches,
Chers collègues,
Vous êtes à présent environ cinq cents à avoir signé cette pétition dont l’objet est d’obtenir une mise à l’index des livres de Claude Allègre et Vincent Courtillot de la part de vos ministres et organismes de tutelle. Vous invoquez pour cela le « pacte moral » qui lie les scientifiques à la société, et vous vous indignez d’accusations d’impostures, qui constituent pour vous une insulte à votre intégrité.
Le débat qui nous agite autour du climat est un débat fondamental, car de la manière dont la société décidera de le trancher pourrait découler une modification profonde de notre organisation sociale. La rigueur scientifique y est donc plus que jamais indispensable, et vous avez raison de parler de pacte moral entre la science et la société. L’un des éléments les plus essentiels de ce pacte est la stricte séparation entre le travail scientifique et la parole politique. Comme l’histoire des sciences le montre aisément, et comme l’avait déjà compris Max Weber, le mélange entre science et politique conduit immanquablement à un affaiblissement de la première. Personne parmi vous, sans doute, ne souhaite voir se répéter les errements auxquels a parfois conduit un tel mélange.
C’est pourtant à cela que, de manière sûrement involontaire, votre initiative conduit inévitablement. Votre pétition, en effet, demande expressément une réaction des structures référentes de la recherche publique. Qui donc, parmi vous, pense que l’honneur des scientifiques repose dans une prise de position que pourrait prendre un ministre sur la théorie scientifique que vous défendez ? À l’évidence, tout appui que vous pourriez recevoir sera logiquement interprété comme étant de nature partisane, ne faisant que refléter la réalité de jeux de pouvoir qui vous échappent. Où est donc la science dans tout cela ?
La forme de votre initiative est donc une double méprise. La première méprise consiste à demander au pouvoir politique de prendre parti contre des personnes ayant publié des livres. Cela s’apparente fort à une tentative d’entrave à la liberté d’expression. Plus grave encore, cette velléité de censure qui ne dit pas son nom s’appuie sur une invocation du « filtre standard des publications scientifiques », rapprochant ainsi de façon coupable les procédés de revue par les pairs d’une censure légale.
Comment a-t-il pu vous échapper que les éditions Plon, qui publient le livre de Claude Allègre, aussi bien que les éditions Odile Jacob, qui publient celui de Vincent Courtillot, ne sont pas, n’ont jamais été, et n’ont pas à être soumis au processus de revue par les pairs ? Ces deux éditeurs ont leur propre politique éditoriale, qu’ils délimitent de la manière qu’ils veulent. Ils n’ont en aucune manière à rendre des comptes au CNRS, au ministère de la Recherche, ou à n’importe quelle autre structure institutionnelle. Ces dernières n’ont pas davantage à donner leur avis dessus, sollicité ou non.
Bien sûr, la liberté d’expression n’est pas absolue, et un cadre existe pour en délimiter les contours. C’est cela qui amène à votre seconde méprise : avoir ignoré le rôle de la justice. Celui qui estime être l’objet d’une diffamation peut demander réparation à la justice, seule habilitée à trancher ce type de litige. Si celle-ci n’a certes pas pour rôle de trancher un débat scientifique, elle a en revanche celui de déterminer si telle ou telle déclaration a un caractère infâmant. Il existe des cadres pour régler certains différents ou infractions à la loi, des espaces pour débattre (les médias) mais il n’existe heureusement plus un quelconque « droit divin » en vertu duquel on pourrait sanctionner pour délit d’opinion.
En dévoyant le sens du processus de relecture par les pairs, aussi bien qu’en soumettant votre travail à l’imprimatur de structures politiques, vous ne réalisez sans doute pas la portée de votre geste. Votre assaut dérisoire se fait au prix d’un précédent extrêmement dangereux, qui fragilise la science dans son ensemble et va contribuer à affaiblir plus particulièrement la climatologie. Nous touchons là à des idées qui vont bien au-delà du seul débat sur le climat : la place de la science, la liberté d’opinion.
Ainsi, vous avez fait un pas de trop. S’il est parfaitement légitime de votre part de vouloir défendre la justesse de votre cause et la rigueur de vos travaux, en aucun cas tout cela ne peut justifier un appel à la censure et à l’arbitraire. Il n’y a pas de science officielle dans ce pays, fut-elle publique. En invoquer une ne peut qu’accroître le doute et la confusion. La légitimité des travaux menés en climatologie passe par d’autres voies que la désignation à la vindicte de boucs émissaires, et il nous revient à tous de faire en sorte que ne s’éteigne pas une certaine idée de la science.
Benoît Rittaud.
Pour mémoire, revoici l’appel dans son intégralité, disponible ici :
Deuxième version, 29 mars 2010.
Destinataires :
Mme la Ministre de la Recherche
M. le Directeur de la Recherche
M. le Président de l’Académie des Sciences
Mmes et MM. les Directeurs des acteurs de la recherche publique regroupés au sein de l’Alliance thématique AllEnvi (BRGM, CEA, CEMAGREF, CIRAD, CNRS, CPU, IFREMER, INRA, IRD, LCPC, Météo France, MNHN)
M. le Président de l’Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur
M. le Président du Comité d’Éthique du CNRS
Éthique scientifique et sciences du climat : lettre ouverte
Nous, scientifiques du climat, attachés au devoir de rigueur scientifique, interpellons les structures référentes de la recherche scientifique française, face aux accusations mensongères lancées à l’encontre de notre communauté.
Un pacte moral relie les scientifiques et la société. Rémunérés principalement par les crédits publics, les scientifiques doivent déployer une rigueur maximale, pour la conception, la réalisation, la publication de leurs travaux. Leurs pairs sont les arbitres de cette rigueur, à travers les processus critiques de relecture, de vérification, de publication des résultats. Les hautes instances scientifiques sont les garants de cette rigueur. C’est sur cette éthique scientifique que repose la confiance que la société peut accorder à ses chercheurs.
Reconnaître ses erreurs fait également partie de l’éthique scientifique. Lorsqu’on identifie, après la publication d’un texte, des erreurs qui ont échappé aux processus de relecture, il est d’usage de les reconnaître, et de les corriger, en publiant un correctif. Ainsi, des glaciologues ont mis en évidence une erreur dans le tome 2 du 4ème rapport du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (« Impacts, Adaptation et Vulnérabilité, chapitre 10 : Asie ») concernant le devenir des glaciers de l’Himalaya. En l’absence de procédure formelle d’« erratum », le GIEC a publié son « mea culpa » ( http://www.ipcc.ch/pdf/presentations/himalaya-statement-20january2010.pdf), reconnaissant l’erreur, et soulignant que les processus de relecture du rapport n’avaient pas fonctionné pour ce paragraphe. En cela, le GIEC a respecté la déontologie scientifique.
Depuis plusieurs mois, des scientifiques reconnus dans leurs domaines respectifs dénigrent les sciences du climat et l’organisation de l’expertise internationale, criant à l’imposture scientifique - comme le fait Claude Allègre dans L’Imposture climatique ou la fausse écologie (Plon, 2010), pointant les prétendues « erreurs du GIEC », comme le fait Vincent Courtillot dans Nouveau voyage au centre de la Terre (Odile Jacob, 2009) et dans des séminaires académiques. Ces accusations ou affirmations péremptoires ne passent pas par le filtre standard des publications scientifiques. Ces documents, publiés sous couvert d’expertise scientifique, ne sont pas relus par les pairs, et échappent de ce fait aux vertus du débat contradictoire.
Ces ouvrages n’auraient pu être publiés si on leur avait simplement demandé la même exigence de rigueur qu’à un manuscrit scientifique professionnel. De nombreuses erreurs de forme, de citations, de données, de graphiques ont été identifiées. Plus grave, à ces erreurs de forme s’ajoutent des erreurs de fond majeures sur la description du fonctionnement du système climatique. Leurs auteurs oublient les principes de base de l’éthique scientifique, rompant le pacte moral qui lie chaque scientifique avec la société.
Ces attaques mettent en cause la qualité et la solidité de nos travaux de recherche, de nos observations, études de processus, outils de modélisation, qui contribuent à une expertise nécessairement internationale.
Vous constituez les structures référentes de la recherche scientifique française. Les accusations publiques sur l’intégrité des scientifiques du climat sortent des cadres déontologiques et scientifiques au sein desquels nous souhaitons demeurer. Nous pensons que ces accusations demandent une réaction de votre part, et l’expression publique de votre confiance vis-à-vis de notre intégrité et du sérieux de nos travaux. Au vu des défis scientifiques posés par le changement climatique, nous sommes demandeurs d’un vrai débat scientifique serein et approfondi.
Liste des premiers signataires
Valérie Masson-Delmotte (LSCE)- Edouard Bard (Collège de France / CEREGE)- François-Marie Bréon (LSCE)- Christophe Cassou (CERFACS)- Jérôme Chappellaz (LGGE)- Georg Hoffmann (LSCE)- Catherine Jeandel (LEGOS)- Jean Jouzel (LSCE)- Bernard Legras (LMD)- Hervé Le Treut (IPSL)- Bernard Pouyaud (IRD)- Dominique Raynaud (LGGE)- Philippe Rogel (CERFACS)
17 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON