Lettre ouverte au NPA et à LO
J’ai reçu d’une association de défense de la langue française nommée Courriel le message suivant : « Nous vous avions informé de notre envoi à tous les partis de gauche d’un lettre leur demandant une rencontre ainsi qu’une prise de position ferme en faveur de la langue française à l’occasion. A ce jour, deux mouvements nous ont répondu : le Nouveau Parti Anticapitaliste ainsi que Lutte Ouvrière. Le premier a clairement rejeté notre demande en la considérant comme l’expression d’un nationalisme étroit. La réponse du second a été moins hostile mais ne se traduit par aucune prise de position véritable. Nous regrettons pour le moment que l'ensemble des partis qui se revendiquent de la gauche, que ce soit par son absence de réponse ou le contenu de celles-ci, néglige l’un des fondements essentiels de la République. »
Voir les partis de gauche et d’extrême gauche prendre position en faveur du tout anglais, c’est-à-dire en faveur de la langue de communication du grand capital mondialisé, est pour le moins surprenant. Rejeter la défense de la langue française en la considérant comme l’expression d’un nationalisme étroit est faire une grave erreur. Car il ne s’agit pas de défendre le français en tant que tel, il s’agit de défendre toutes les langues contre l’hégémonie d’une seule et par conséquent il ne s’agit pas de nationalisme étroit.
Jusqu'au milieu de XXe siècle le monde occidental était divisé en États-nations chacun dirigé par une bourgeoisie barricadée derrière ses barrières douanières. Ces États-nations étaient le plus souvent à base linguistique. La gauche a toujours considéré que la culture était la culture de la classe dominante. Que les œuvres de Stendhal, Balzac ou Apollinaire aient été l’expression de la pensée bourgeoise dominatrice et oppressive je n’en suis pas sûr. Et encore moins Rabelais et encore moins Homère et Virgile.
La gauche a aussi toujours considéré que la culture était un obstacle à la promotion sociale des classes défavorisées. Ainsi peut-on lire dans Le Monde Magazine du 05.12.08, dans une interview d’André Chervel "Réformer l'ortografe pour l'enseigner" :
« (…) le fossé, au XIXe siècle, entre ceux qui connaissaient le latin et les autres. C'était une discipline de "luxe", qui avait une fonction de discrimination sociale. Au concours d'entrée des grandes écoles scientifiques comme Polytechnique, il y avait une version latine dont le seul rôle était de contrôler l'origine sociale des postulants, ou au moins leur volonté d'adaptation aux règles de la société bourgeoise. »
En d’autres termes les fils d’ouvriers sont capables de calculer des dérivées partielles du second ordre mais ne seront jamais fichus de traduire un texte de Tacite. Donc on met du latin pour les éliminer. En disant cela on croit peut-être défendre les ouvriers, en réalité on leur crache du mépris à la figure. Car on ne voit pourquoi ils seraient incapables de parvenir à traduire du latin. Quoiqu’il en soit c’est avec des arguments pareils que la gauche s’est attaquée aux humanités classiques après mai 68 et a finalement obtenu gain de cause. Le grec a disparu et le latin est devenu portion congrue. Et c’est fou ce que le nombre d’enfants issus de milieux modestes a augmenté dans les universités et les grandes écoles depuis cette époque !
En réalité ce mépris de la culture rejoint l’idéologie du grand capital mondialisé. Les multinationales ont besoin d’ingénieurs et pas de latinistes. Et comme elles sont transnationales elles ont besoin d’utiliser une langue de communication unique. Si le lien entre les œuvres de Stendhal, Balzac ou Apollinaire et les intérêts de la bourgeoisie nationale sont discutables, en tout cas pas évidents, ceux entre le remplacement des langues et cultures nationales par un anglais globish, qui n’est même pas la langue de Shakespeare, et le grand capital mondialisé sont évidents.
Il suffit de voir le fonctionnement des États-Unis pays ou la culture générale n’a pas grande valeur, les langues étrangères non plus et les humanités classiques encore moins. Cette société est-elle pour autant plus mobile ? Y a-t-il plus de fils d’ouvriers qui grimpent dans l’échelle sociale là-bas qu’ailleurs ? Mais le grand capital qui domine les USA dépasse désormais largement les frontières en même temps qu’il impose sa langue au monde entier.
Patrick Kaplanian
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