Lorsque le courage ne suffit pas. Karen contre Atos
“Get up, stand up. Stand up for your rights. Get up, stand up. Don’t give up the fight”…… Bob Marley ou la dernière bataille de Karen contre Atos et le système
On me dira que j’ai déjà traité le sujet. Pas tout à fait, parce qu’il y a une différence entre conceptualiser une tragédie et la décrire dans ses moindres détails.
Il s’agit de l’histoire de Karen, http://www.newstatesman.com/blogs/voices/2012/06/disability-karen-sherlock-sue-marsh et elle vous dira dans ses propres termes ce qu’ont été les derniers jours de sa vie. Karen Sherlock qui est morte le 8 juin 2012 à l’âge de 50 ans après avoir été jugée apte à suivre une réinsertion professionnelle par Atos, la société française qui a été contractée par le gouvernement anglais pour dégraisser de 20 % le budget des allocations handicapées. Atos qui avec son questionnaire informatisé qui lui sert à évaluer les aptitudes des personnes malades et handicapées à se réinsérer professionnellement, et son personnel médical, composé de médecins souvent étrangers maitrisant mal l’anglais, d’infirmières et de kinésithérapeutes suivant en moyenne 17 à 21 jours de formation est parvenu à trouver que des cancéreux en phase terminale, un homme qui avait subi 14 crises cardiaques et 4 greffes avec rejet http://www.heraldscotland.com/news/health/father-who-suffered-14-heart-attacks-fit-for-work.17741760 et aussi Karen parmi elles n’étaient pas suffisamment malades pour être exemptées de suivre une réinsertion professionnelle, et donc de se présenter à des entretiens d’embauche http://www.rue89.com/rue89-eco/2012/03/20/grande-bretagne-un-logiciel-decrie-pour-evaluer-les-personnes-handicapees. Ces recommandations ne sont pas innocentes, puisque c’est sur elles que repose la décision d’accorder ou non le montant maximum des prestations, et dans beaucoup de cas de les supprimer, prestations qui dans le cas de Karen ont été réduites et de surcroit limitées à un an, avec effet rétroactif, ce qui veut dire que pour certains dont Karen, ces allocations avaient déjà été supprimées ou tiraient à leur fin. Le seul recours qu’il leur reste est de s’inscrire au chômage, mais elles sont en général trop malades pour se présenter régulièrement aux entretiens, et elles sont sanctionnées par la suppression de leurs allocations chômage.
L’histoire de Karen qui est tragique illustre la stupidité et l’inhumanité d’une réforme qui est avant tout idéologique, car les économies réalisées en reclassifiant les personnes handicapées dans des groupes bénéficiant d’un montant réduit de prestation, sont à mettre en balance avec le contrat de 100 millions de livres sterling par an passés avec Atos www.parliament.uk/briefing-papers/SN05850.pdf , les multiples recours en justice contre les décisions basées sur les recommandations d’Atos qui s’élevaient en 2010 à 22.5 millions de livres de sterling http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201012/cmselect/cmworpen/1015/101508.htm (publication du parlement britannique) dont 40% sans représentation juridique et jusqu’à 70% avec sont annulées par un tribunal, et le coût humain, comme la mort de Karen et de beaucoup d’autres personnes malades et handicapées (34 personnes décédées par semaine selon les informations fournies par le gouvernement dans le cadre de la loi sur la liberté de l’information au Royaume-Uni dans les 6 mois suivant un examen médical d’Atos jugeant qu’elles pouvaient retrouver un travail : http://blogs.mirror.co.uk/investigations/2012/04/32-die-a-week-after-failing-in.html ), les plus de 100 personnes poussées au suicide à ce jour par ce traitement inhumain comme en témoigne le Daily Mail qui n’a pas toujours été le dernier à traiter de fraudeurs les personnes handicapées : http://www.dailymail.co.uk/debate/article-2117718/British-people-committing-suicide-escape-poverty-Is-State-wants.html , et la détresse dans laquelle sont plongés les personnes gravement malades et handicapées qui non seulement doivent gérer leur maladie au jour le jour mais qui redoutent par ailleurs la suppression de leurs allocations annoncée par une petite enveloppe marron, sans parler des personnes souffrant de maladies mentales qui replongent dans la dépression, comme cette jeune femme, souffrant de troubles mentaux qui a menacé de se trancher la gorge dans la salle où elle devait subir un examen médical ou cet homme qui s’est coupé les veines dans un bureau d’Atos il y a 3 semaines. Les exemples sont légion et il existe maintenant une liste Callum List qui répertorie tous les suicides directement ou partiellement attribuables au retrait des allocations handicapées http://calumslist.org/ . Sans parler de ce qu’il va advenir à toutes ces personnes privées d’assistance et de soutien financier. Il y a quelques jours, un message était lancé sur Twitter pour aider une personne handicapée qui était expulsée de son logement, parce qu’elle ne pouvait plus payer son loyer, ses prestations ayant été supprimées sur la base des recommandations d’Atos qui avait jugé qu’elle avait un potentiel de réinsertion professionnelle. Les médecins généralistes écossais et anglais viennent d’ailleurs juste de voter à leur convention annuelle en faveur de l’arrêt immédiat de ces examens médicaux http://bma.org.uk/news-views-analysis/news/2012/june/welfare-reform-pain-but-no-gain.
Mais revenons à Karen. Voici ce qu’elle écrit sur un blog lorsqu’elle décrit son état :
Je souffre de neuropathie diabétique (gastrique, ce qui provoque des diarrhées soudaines et sévères), de gastroparésie (provoquant des vomissements soudains et sévères), de rétinopathie diabétique avec perte de vision (perte de vision périphérique dans les deux yeux conjuguée à une perte de vision centrale dans l’œil gauche), de troubles cardiaques, de troubles rénaux chroniques, de déficiences en Vit B12 , d’hypertension, d’hypercholestérolémie, d’hypothyroïdie, de fatigue chronique due à l’association de toutes ces affections et je suis asthmatique.
Ce que tous ces mots savants recouvrent est une réalité beaucoup plus prosaïque. Karen est devenue diabétique à l’âge de 3 ans, mais son état s’est radicalement dégradé il y a cinq ans, et elle est devenue depuis incontinente, du fait de diarrhées répétées dues à la neuropathie diabétique, malvoyante du fait de 3 hémorragies pour lesquelles elle a dû subir plusieurs opérations, et qui ont aussi provoqué une cécité nocturne, ses reins avaient cessé de fonctionner, comme son pancréas et elle était sur une liste d’attente pour une greffe du rein et du foie. Lorsque Karen est morte d’un arrêt cardiaque au matin du 8 juin, la première opération qu’elle aurait dû subir pour « relever » une veine difficilement accessible dans son bras pour se faire dialyser avait été annulée au dernier moment du fait des coupes budgétaires et des compressions de personnel dans le service national de santé, devenu incapable de faire face à une demande croissante, et aux mesures d’austérité drastiques imposées par le gouvernement britannique.
Karen a travaillé jusqu’à ce qu’il ne soit plus rentable pour son employeur de la garder et il l’a licenciée pour raisons de santé sur les recommandations d’un médecin du travail employé par Atos qui l’a jugé inapte au travail. Ce même Atos qui cette fois n’étant plus au service de son employeur mais du gouvernement anglais ne la trouvera pas suffisamment inapte au travail pour lui octroyer le montant maximum d’allocations handicapées, la condamnant en conséquence à une réduction de plus de 20% de ses prestations, et de la durée de ce droit, désormais ramené à un an, mais cette réforme ayant un effet rétroactif, les allocations de Karen avaient été supprimées, et elle venait juste, quelques jours avant sa mort, de gagner son recours au tribunal contre la décision de DWP (le ministère du travail et des retraites) basée sur les recommandations d’Atos, c’est-à-dire qu’elle s’était battue tout ce temps pour 96 livres sterling par semaine, l'équivalent de 119 euros.
Je ne peux m’empêcher de me demander comment ont-ils pu me faire ça. Que va-t-il nous arriver financièrement, et quelles sont nos options ? La réponse est que je ne sais pas. Je n’ai droit à rien parce que mon mari travaille toutes les heures qu’il peut travailler et gagne trop par conséquent (le plafond étant de 7500 livres par an. Au-dessus de ce salaire, il n’y a aucun droit à des allocations ndt). Je suis inquiète et j’ai peur. Je ne comprends pas pourquoi ils me suppriment cette allocation……
..Je ne comprends comment ils peuvent placer quelqu’un qui va être dialysé et hospitalisé 3 jours par semaine avec entre-temps plusieurs jours de récupération dans un groupe autre que le Groupe de Soutien (celui qui reçoit le montant maximum d’allocations handicapées, c'est-à-dire 90 livres par semaine sans limite de temps, mais avec réévaluation annuelle ndt). Je ne sais pas comment je pourrai travailler ou suivre une réinsertion professionnelle même si je le voulais.
….ce que le gouvernement est en train de faire dépasse l’imagination. Spolier les plus vulnérables de la protection sociale dont ils ont besoin. Sans réfléchir aux conséquences. Ils nous jettent au rebus. Sans se préoccuper si nous sommes capables ou non de nous alimenter tout seul, si nous avons les moyens ou non de chauffer notre logement, ou de payer un taxi lorsque c’est le seul moyen de se déplacer. Mais ils s’en moquent parce que pour eux nous sommes juste des sangsues qui profitent de la société.
Mais ce n’est pas vrai. Nous avons besoin de cet argent pour jouir d’une certaine qualité de vie, et pour ne pas avoir à calculer et à combiner pour nous en sortir d’un mois à l’autre, sans être punis pour quelque chose que nous n’avons pas fait.
Personne n’a jamais choisi d’être handicapé ou malade, parce que c’est horrible. Tellement horrible de se sentir si malade le matin qu’on ne peut même pas se faire une tasse de thé, ou se lever, ou simplement prendre plaisir au monde qui nous entoure.
Relisez les mots de Bob Marley et gravez-les dans votre mémoire.
Nous devons défendre nos droits avec passion, et si nous faisons suffisamment de bruit, et si suffisamment de gens nous entendent, nous pouvons inverser ces changements inhumains imposés par ce gouvernement parasite. Faute de mieux, nous avons l’espoir et le droit de notre côté.
La mort de Karen a envoyé une onde de choc dans la communauté des personnes handicapées au Royaume-Uni. Elle écrivait régulièrement sur Twitter et avait participé à la rédaction d’une pièce, les Monologues, qui est actuellement en tournée en Grande-Bretagne. http://atosstories.blogspot.co.uk . Cette page des monologues parle de la mort de @pusscat01 qui était le nom de Karen sur Twitter.
Bientôt, les jeux paralympiques vont commencer. Les personnes malades et handicapées qui comptent sur la société pour leur survie après avoir pour la majorité d’entre elles cotisé toute leur vie, ont l’intention de saisir cet événement qui comble de l’ironie est sponsorisé par Atos pour attirer l’attention sur les agissements d’un gouvernement conservateur et d’une multinationale française, qui ne pourrait jamais s’en tirer en France avec le traitement inhumain qu’elle fait subir aux plus vulnérables de la société britannique, l’un par idéologie, l’autre par amour de l’argent.
Ici un hommage rendu par une autre activiste à Karen et à son courage. http://diaryofabenefitscrounger.blogspot.co.uk/2012/06/rip-karen-sherlock.html
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