« Mariage pour tous » et sens de l’Histoire
Le "mariage pour tous" est une bouée de sauvetage idéologique pour la gauche progressiste. Mais comment croire au Progrès sous un aspect particulier, quand plus personne ne croit au Progrès en général ?
Le débat houleux sur le "mariage pour tous" occulte les vrais problèmes de la France : montée du chômage, désindustrialisation, crise du logement, etc... François Hollande le savait bien, lorsqu'il l'inscrivit en toutes lettres dans son programme. Il savait déjà qu'il aurait de la peine à mener une vraie politique de gauche sur les sujets économiques de fond. En bon stratège, il avait anticipé ce problème. Aujourd'hui, avec le "mariage pour tous" il tient sa grande réforme sociétale, à défaut de grande politique sociale.
Cela se dit, et c'est vrai, mais il faut aller plus loin. Cette loi est, d'une certaine manière, historique. Quelle est en effet la raison d'être de la gauche française, depuis qu'elle existe, c'est à dire depuis 1789, lorsque les partisans des idées nouvelles se rangèrent à la gauche du représentant du Roi, aux États-généraux ?
Le boulot de la gauche consiste à mener le peuple sur la voie du Progrès. Mais attention, il ne s'agit pas de n'importe quel progrès, mais du Progrès avec un "P" majuscule. C'est à dire un mouvement historique général, universel et inéluctable, vers le mieux. La gauche, par construction, se doit d'être l'avant garde d'un tel mouvement. Saint-Just, Gambetta, Jules Ferry, Jaurès, Blum, Mendès-France, les meneurs de Mais 68 ne se contentaient pas de nous indiquer un avenir souhaitable, ils se considéraient comme "en avance sur leur temps". La gauche est progressiste, tandis que le centre est conservateur et la droite réactionnaire.
Le marxisme, qui inspire directement le PC et indirectement le PS depuis la Libération, durcit encore cette vision matérialiste du sens de l'Histoire. La classe ouvrière, éclairée par cette avant-garde, marche inexorablement vers les lendemains qui chantent et le paradis sur terre de la société sans classe.
On a encore entendu le chant du cygne de cette gauche, le 10 mai 1981, avec l'élection de François Mitterrand, saluée par Jack Lang comme "le passage de l'obscurité à la lumière". Puis le tournant de la rigueur, avec Laurent Fabius à Matignon, a enterré la gauche messianique.
Or, tout le problème de la gauche actuellement au pouvoir est le suivant : peut-elle décemment dire aux ouvriers d'Aulnay ou de Florange, comme à l'ensemble de la classe ouvrière, qu'ils sont en marche, de manière inéluctable, vers un avenir radieux ? Évidemment non. Même Jean-Luc Mélanchon n'oserait pas. Ce que fait la gauche (et on ne saurait la critiquer sur ce point) c'est de tenter de résister à un mouvement de mondialisation, de libéralisation, de financiarisation de l'économie et de destruction de tous les modèles sociaux que certains (à tort d'ailleurs) présentent comme inéluctable.
- Hollande au Louvre de Lens
- Le sens de l’Histoire au musée, les ouvriers désabusés.
La mission de la gauche, qui est d'être à l'avant garde d'un mouvement historique, tombe à l'eau. Elle n'est plus portée par l'inéluctable, elle doit au contraire lui résister, démontrer qu'il n'y a pas de fatalité. Elle a un besoin vital (au sens strict du terme) d'être progressiste, de qualifier le centre de conservateur et la droite de réactionnaire. Sinon, elle n'est plus rien.
D'où l'intérêt stratégique du mariage pour tous et de quelques autres sujets "sociétaux" comme l'euthanasie. Ils permettent de structurer, de cliver la vie politique française, comme autrefois. On retrouve donc la vision progressiste dans les élans messianiques de Christiane Taubira à l'Assemblée, saluée pour ses envolées lyriques, ses références historiques, sa mise en scène d'un véritable sens de l'Histoire orienté, inéluctablement vers le mieux :
Ce mariage, qui a été une institution d’exclusion, va enfin devenir, par l’inclusion des couples de même sexe, une institution universelle. Enfin, le mariage devient une institution universelle !
Vous pouvez continuer à refuser de voir, à refuser de regarder autour de vous, à refuser de tolérer la présence, y compris près de vous, y compris, peut-être, dans vos familles, de couples homosexuels.
Vous pouvez conserver le regard obstinément rivé sur le passé (...) Vous avez choisi de protester contre la reconnaissance des droits de ces couples ; c’est votre affaire. Nous, nous sommes fiers de ce que nous faisons.
Nous en sommes si fiers que je voudrais le définir par les mots du poète Léon-Gontran Damas : l’acte que nous allons accomplir est « beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales ». Il est « grand comme un besoin de changer d’air ». Il est « fort comme le cri aigu d’un accent dans la nuit longue ».
Plus anecdotique mais toute aussi révélatrice, est la vision prophétique de Jacques Attali dans Slate (29 janvier 2013) :
Nous allons inexorablement vers une humanité unisexe, sinon qu’une moitié aura des ovocytes et l’autre des spermatozoïdes, qu’ils mettront en commun pour faire naître des enfants, seul ou à plusieurs, sans relation physique, et sans même que nul ne les porte.
On retrouve aussi cet élan d'unité de la gauche intellectuelle, politique et médiatique, qui ressemble bien à un réflexe de survie, dans l'unanimité à dénoncer "l'homophobie". Comme toujours, la gauche n'est d'accord sur rien (la PMA, la GPA) fait de nombreuses erreurs techniques pendant le débat, mais sait se retrouver sur l'essentiel : stigmatiser à l'unisson les opposants comme "homophobes", c'est à dire comme fascistes et réactionnaires. Ce n'est pas là une conséquence de la loi, mais sa raison d'être : clouer au pilori ses adversaires.
Le "mariage pour tous" est une bouée de sauvetage idéologique pour une gauche progressiste qui se noie. Comment, en effet, imaginer que l'idée de Progrès, qui a fait naufrage tout au long du XXème siècle, pourrait survivre, de manière résiduelle, sur les moeurs, la famille, la sexualité ? Car la crise de l'idée de Progrès (ce mouvement inéluctable, général, universel, vers le mieux...), n'est pas franco-française. La mort du communisme, espoir d'émancipation de l'Humanité d'un côté, mais aussi le réchauffement climatique et la destruction des ressources fossiles de l'autre, mettent à mal cette idée, conçue par les Lumières, formalisée par Condorcet, à laquelle tout le XIXe siècle a cru, comme à une véritable religion.
Comment croire au Progrès sous un aspect particulier, quand plus personne ne croit au Progrès en général ? Pourquoi ce qui n'est plus valable pour les ouvriers et les classes laborieuses le serait encore pour les bobos du 5ème arrondissement et les gays branchés du Marais ?
Le "mariage pour tous" n'est pas une idée de gauche. C'est une idée absurde, contraire à la religion pour les croyants, et au simple bon sens pour les autres. Elle prive des enfants du droit élémentaire à un père et à une mère. Fruit d'une société déboussolée, elle augmente encore la perte de repères. Mais la gauche lui devra quelques années de survie, où elle pourra encore intimider ses adversaires en les traitant de réactionnaires. Elle masquera ainsi qu'elle n'est plus un parti, celui du mouvement et du Progrès, mais un simple syndicat d'intérêts. Celui de tous ceux qui veulent devenir ministres, députés, maires, conseillers généraux ou régionaux de gauche, sans croire un mot de ce que la gauche a raconté pendant des siècles.
Cette loi indigne est le dernier soupir de la gauche française, qui sort de l'Histoire en trahissant des enfants.
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