Nicolas Dupont-Aignan et Debout la France : les impasses prévisibles d’une stratégie solitaire
Si l'on en croit la version officielle, Nicolas Dupont-Aignan se présente à l'élection présidentielle pour gagner.
Le maire de Yerres (Essonne), président de Debout la France, a réaffirmé ses ambitions lors de sa rentrée du 4 septembre dernier :
Les Français ne veulent ni des extrêmes (Mélenchon et le FN), ni des partis de gouvernement (PS et ex UMP). Il y a place pour l'émergence d'un candidat patriote raisonnable, qui peut rassembler autour de lui une majorité de Français. Il peut être cet homme. Parti de rien en 2007 (il n'avait pas obtenu les 500 signatures d'élus nécessaires pour se présenter), il a obtenu 1,79 % des voix en 2012 et les sondages lui donnent actuellement entre 5 et 8 % des intentions de votes.
Si cette hausse se poursuit, et imaginant que les sondages le minorent, la mayonnaise pourrait prendre, de là le propulser au second tour, où il l'emporterait.
Sans vouloir paraître rabat-joie, cette hypothèse (très) optimiste doit être confrontée aux faits. Et le moins que l'on puisse dire c'est que ceux-ci s'avèrent assez cruels. Ce qui rend d'autant moins crédible cette parole officielle.
Une réelle augmentation depuis 2012...à relativiser quand même
Si l'on en reste aux résultats des élections nationales depuis 2012, on a :
643 907 voix (soit 1,79 % des suffrages exprimés) pour Dupont-Aignan aux présidentielles de 2012.
724 441 voix cumulées pour les listes Debout la France aux européennes de 2015.
827 211 voix cumulées pour les listes Debout la France aux régionales de 2016.
Soit + 12 % entre 2012 et 2015 et + 28 % entre 2012 et 2016.
En se basant sur le pourcentage d'exprimés, on peut voir le verre à moitié plein et dire qu'on est parti de 1,79 % en 2012 pour arriver à 5 % voire plus dans certaines régions (Grand Est, Île de France, Bourgogne Franche-Comté) en 2015. Toutefois les mathématiques sont implacables :
Quand on part de pas grand chose, on a beau augmenter de 28 %, on demeure...petit.
De plus, la progression relative est d'autant plus forte que l'abstention est élevée : même si les pourcentages d'exprimés ont presque triplé, le nombre de voix n'a augmenté « que » d'un tiers.
Rien de surprenant au fond : vote après vote, les forces politiques, telles les plaques qui composent la croûte terrestre, bougent, mais insensiblement.
Sauf à ce qu'une masse d'électeurs fasse mouvement d'un candidat à l'autre, tel Mélenchon siphonnant en 2012 les candidats trotskistes habituels (pour un résultat cumulé identique, entre 10 et 15% pour la « gauche de la gauche »), ou Bayrou et Sarkozy asséchant Le Pen en 2007.
Une marge de progression à priori limitée
Depuis sa création en 2007, Debout la République, devenu Debout la France, s'est fait une modeste place qui n'a rien de déshonorante. Logiquement, les petits ruisseaux - un peu du centre, un peu de la gauche souverainiste, un peu du FN, un peu de villiéristes, un peu de droite classique - n'ont pas fait un fleuve impétueux mais une sage rivière.
Au reste, pourquoi les appareils partisans existants, et leurs électeurs, se détourneraient en masse vers DLF ?
En pleine dynamique, à la veille de revenir au pouvoir, pourquoi les Républicains (ou les cadres du FN) feraient exploser leur instrument ? Pourquoi les électeurs de la droite classique se détourneraient-ils vers un vote marginal, et pourquoi les électeurs marginaux du FN se détourneraient-ils vers un autre marginal, qui se considère comme « moins extrême » ?
Ceci sans parler de la gauche post-nationale qui n'a objectivement aucune raison de se détourner de sa brillante trajectoire.
La marge de progression apparaît à priori des plus limitée et DLF, comme tous les partis « émergents », cherche à capitaliser du côté des abstentionnistes.
Le mirage des abstentionnistes
Le sujet de l'abstention mériterait d'être analysé plus longuement mais ce n'est pas le propos ici.
Constatons donc en passant que toutes les élections « intermédiaires », où l'abstention atteint maintenant régulièrement les 50 % (hors municipales), sont caractérisées par une hausse de la participation aux 2e tours. Ce qui indique en négatif qu'il n'y a pas d'appétence particulière pour les petites formations auto proclamées du renouveau, le plus souvent absentes des 2e tours.
Rappelons aussi que l'abstention recouvre quantité d'attitudes et qu'il est pour le moins périlleux d'interpréter les volontés profondes de...celui qui ne dit rien. Les partis émergents y voient généralement le fait de braves citoyens de bonne volonté écœurés par le cynisme des politiques. C'est une version optimiste qui fait bon marché des faits contradictoires.
Revenons par exemple au 2e tour des régionales, où la hausse de la participation a été corrélée avec une remontée spectaculaire des candidats « de front républicain », pourtant en mauvaise posture à l'issue du 1er tour.
L'exemple de la commune de Pont-à-Mousson (54) est révélateur (presque trop) :
Le candidat de l'union de la droite est passé de 973 à 2476 voix entre les deux tours, avec une abstention qui a reculé de 5500 à 4400 inscrits. L'analyse manque sans doute de finesse, mais il semble qu' 1/5e des abstentionnistes du 1er tour se soient reportés comme un seul homme sur le candidat conservateur.
L'abstention n'est donc pas forcément, pas exclusivement, défiance envers un système politicien, dont Richert est la synthèse parfaite, mais acquiescement implicite.
Pourquoi ne pas voir qu'elle peut, aussi, être le résultat d'un calcul égoïste, qui consiste à refuser de participer à une chose publique vue comme abstraite, dès lors que nos intérêts personnels ne sont pas concernés ? Une convergence entre la vie végétative des abonnés aux minimas sociaux et la vie mondaine de la jet-set mondialisée qui se moque des contingences de ce bas monde ? Une sécession soft, mais une sécession quand même.
En conclusion, l'abstention peut très bien se marier avec la post démocratie telle qu'elle est en place, avec son gouvernement des sondages, ses primaires citoyennes, et autres « votes utiles ». Vouloir baser son action sur la mobilisation des abstentionnistes laisse donc songeur…
D'autant que, si le nombre absolu des voix qui se portent sur les « grands partis » est à la baisse ou stagne, les « petits » ne réussissent pas plus à capter l'abstention.
Sur qui ou sur quoi s'appuyer alors ?
Le point aveugle du FN
La problématique a beau sauter aux yeux, elle n'a jamais trouvé de réponse claire.
Que fait-on avec le Front national, qui capitalise jusqu'à présent les votes (et il y a peu de raison pour que la tendance s'inverse) sur des thématiques à 90 % semblables ?
Ni alliance, ni combat frontal, la ligne officielle est plutôt l'indifférence teintée d'hostilité, comme l'atteste la pantalonnade qui s'est déroulée entre les deux tours des régionales.
Après s'être donné le temps de la réflexion, DLF a finalement estimé qu'il était urgent de botter en touche et...de ne rien dire :
« Nous n'avons pas à donner de "consignes de votes" à nos électeurs, qui sont suffisamment avertis pour faire leurs choix en conscience ». Cette lapalissade (qui prétend encore contrôler « ses » électeurs jusque dans le secret des isoloirs ??) a été complétée par le rappel de ce qui semble constituer la colonne vertébrale stratégique du parti : « Ni système, ni extrême ». Et le constat de l'incapacité du FN à l'emporter seul contre tous.
Certes. Sauf que lorsque l'on creuse un peu la question, les arguments tombent facilement :
Sur les « extrêmes » opposés au « système », convenons que les cartes sont quelques peu brouillées : comment définir des partis de gouvernement qui font preuve d'un entêtement idéologique délirant, et qui définissent eux-mêmes leurs dissidents comme « extrémistes » ? D'ailleurs, si DLF n'est pas catalogué comme extrémiste, est-ce en raison de ses qualités intrinsèques, ou parce que son audience est trop faible, et que le mouvement a une capacité de nuisance limitée ?
Rappelons pour être tout à fait complet que même Mélenchon s'est fait traiter de nationaliste à l'automne 2011, lorsque sa candidature a pris son envol, et a dû ramer ensuite pour retrouver une « crédibilité » aux yeux de ses accusateurs.
Enfin, on peut faire remarquer que le FN, « mariniste » et « philippiste », a tout de même évolué depuis ses débuts, au point qu'un clivage public y est apparu entre « identitaires » libéral-compatibles (voir les déclarations de Robert Ménard à propos du débat sur l'euro, qu'il juge urgent d'enterrer) et « souverainistes ». Un faux clivage fait pour amuser la galerie ? Une absence totale de crédibilité et de fond ? Une continuité dans la nullité ? Peut-être.
Mais évacuer ces évolutions d'emblée n'est pas plus convaincant.
Sur l'incapacité du FN à rassembler, admettons qu'on n'est pas loin du raisonnement circulaire, venant d'une formation qui pourrait, elle aussi, de son initiative, impulser une dynamique de rassemblement. On n'est pas loin non plus de la lapalissade puisque personne, même De Gaulle en 1965, n'a pu gagner seul contre tous.
Il est d'ailleurs très surprenant de voir des gens qui se réclament du gaullisme ignorer superbement le principe de l'élection présidentielle à deux tours majoritaires, qui permet l'expression de la diversité des opinions au premier tour, et la formation d' une coalition majoritaire dans le pays au second tour.
À moins de nager dans une abondance de voix "patriotes", qui permettrait de séparer l'ivraie des « extrémistes » du bon grain des « raisonnables », ce qui est d'évidence très loin d'être le cas, toute coalition devra forcément compter avec le FN.
Et faire partie d'une coalition n'a jamais délégitimé une candidature au premier tour : les Verts se posent-ils la question ?
Conclusion
Tout ceci dégage une furieuse impression d'amateurisme, d’irénisme, voire de je m'en foutisme, assez étrange pour des politiciens professionnels habitués des élections et si préoccupés de l'avenir du pays.
Après tout, on pourrait comprendre qu'aucune alliance ne puisse avoir lieu, pour toutes sortes de raisons, avec le FN...Si au moins on avait envisagé l'hypothèse !
À force de réfléchir, de poser des questions et de s'en poser, on finit par échouer sur une vérité assez navrante :
la vrai clivage entre DLF et le FN n'a rien d'idéologique mais tient au fait que le FN, héritage d'années de dissidence, n'est pas envisagé comme « convenable ».
Comme De Villiers en 1995 qui estimait « horrible » tout parallèle entre lui et Le Pen, et appelait à voter Chirac en 2002 … sauf que DLF a aussi largué les amarres avec l'ex UMP.
« Voyons, Marie-Chantaaal, nous n'allons tout de même pas prendre langue avec ces malotrus ! ». Sur ce prétexte insignifiant, peut-on se permettre de ne rien tenter pour accéder au pouvoir, et ainsi laisser la voie libre aux mêmes, pour 5 nouvelles années d'étouffoir ?
L'histoire ne repasse pas les plats, et lorsque le monde aura trop pris l'habitude de ne plus nous entendre et de ne plus nous voir (je parle d'une France indépendante et non de nos piètres partis politiques), il sera un peu tard...
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