Nous avons été arnaqués, ce monde n’est pas pour nous… tous

C’était mardi, je flânais place Gambetta lorsque l’envie me prit d’entrer une dernière fois dans le magasin Virgin que j’avais fréquenté pendant plus de deux décennies. A l’intérieur, le vide presque sidéral et moi sidéré, plus rien sur les rayonnages exceptés deux ou trois objets sauvés de la horde qui dévalisa les stocks lors de la grande braderie. Hélas, cette braderie a aussi concerné le personnel. Encore présent mais plus personne sauf aux caisses, quelques jeunes employées visiblement enjouées mais ces rires n’étaient que de vains sarcasmes pour évacuer le stress d’un magasin vidé de ses clients, offrant l’impression glaciale d’un vieux manoir avec quelques corbeaux croassant pour effrayer les passants. Une fois au premier étage, même sentiment. J’avais froid. Non pas physiquement mais dans mon esprit.
Je vis dans mes souvenirs ces long couloirs chargés de clients et de CD, une vie culturelle, peut-être factice dans son contenu mais tout de même une vie, une agitation, de la musique, des rayons remplis, des vendeurs déambulant et aux caisses parfois la queue. Le contraste était flagrant et ce magasin vide et silencieux offrait une ambiance de cimetière, quoique, on puise se sentir serein dans un cimetière, les morts nous enveloppant de leur cortège invisible de souvenirs. Ici dans ce magasin, plutôt l’impression de désolation, comme dans un film de Tarkovski. On dirait qu’un cataclysme était passé par là. Et effectivement, cette catastrophe symbolise bien cette crise qui comme le climat, affiche un dérèglement du système et ne touche que quelques lieux. Continental, Mittal à Fleurange, les mégastores de chez Virgin mais aussi dans les villes de province avec ses boutiques de centre-ville qui ferment. Pendant ce temps, les prix des villas flambent sur la Côte d’Azur ou bien le bassin d’Arcachon. Les bateaux de plaisance envahissent le long des plages où ils sont amarrés alors que de l’autre côté de l’Atlantique, les choses sont réalisées en plus grand et ce sont des quartiers entiers, comme à Détroit, que le dérèglement économique réduit à un champ de ruines.
Je ressens à nouveau ce froid venu d’un improbable ciel des Idées sombres, à l’instar des émotions racontées par Dante lorsqu’il traversa les enfers. Et je me dis que le contrat d’avenir signé il y quarante ou cinquante ans au nom de la société nouvelle, du progrès et de l’espérance politique et culturelle, est devenu un contrat de dupes. A l’image de ces documents qu’on signe en allant chez le banquier ou le vendeur. En tout petit, précédé d’un astérisque, les fameuses clauses. C’était donc ça, le rêve des sixties et seventies. Il y avait des clauses cachées mais elles n’étaient pas écrites et donc illisibles. Ce n’est que maintenant que l’on découvre la vérité. Nous qui étions jeunes, dans les sixties, écoutant sur un Teppaz les Beatles, les yéyés et le psyché, ou dans les seventies, copiant sur les cassettes les riffs de Deep Purple, Led Zep et Jethro Tull, nous rêvions de liberté, de progrès, d’un monde plus juste. Et puis, tout c’est gâté, le choc pétrolier, l’état de crise, les TUC et le RMI, la gestion étatique du chômage de masse et maintenant, on s’aperçoit que le compte n’y est pas, du moins pas pour tous.
2000 euros par mois, c’est le tarif pour une maison de retraite et pour le dire exactement, hors de portée pour plus de la moitié des vieux au vu du montant des pensions. Si je livre ce détail, c’est parce que l’état des retraites s’aggrave et que finalement, toute cette médecine et cette illusion de l’espérance de vie s’avère être une arnaque. Les gens vivent vieux mais ils vivent mal et le système de santé maintient les gens dans une existence perfusée. Le problème, c’est que tout un système a intérêt à entretenir les existences maladives pour faire du profit. La technique nous a enfumés. Tout ça coûte cher et ne rend pas forcément plus heureux. Les normes renchérissent les choses et les revenus les plus maigres servent à survivre plus qu’à être bien. Finalement, la vie contemporaine est une arnaque. Les puissants font ce qu’ils veulent. Les masses sont enfumées. Et la guerre fluide se poursuit alors que la guerre sur le terrain risque de s’étendre.
Toujours ce froid glacial parcourant mes veines alors que d’évanescentes images de ruines semblent jouer avec ma conscience. Juste une association d’idées. Je tente de raisonner. Finalement, même si la société tangue et que les existences vacillent, l’Etat est ce qui reste pour préserver la société du naufrage. L’Etat est cette structure à géométrie variable qui a duré plus de trois siècles alors que le pays a été secoué par plusieurs révolutions, famines, crises, par la Commune, la Grande Guerre, la défaite de 39 et la fronde de mai 68. L’Etat, c’est du solide. Enfin, tout dépend où. Car vu de Grèce, l’Etat semble bien bancal. La société grecque s’effrite rapidement. D’autres pays vont-ils suivre ?
En 2013, le sentiment que quelque chose a basculé, que l’empire industriel est achevé, même s’il a encore des progrès technologiques en vue. Que cet achèvement marque aussi la fin d’un monde, la fin des espérances, l’avènement d’un monde agité mais figé dans les espaces numériques avec des fluctuations cycliques, sorte de pendant artificiel au cosmos pensé par les Grecs. Un technocosme de l’information surveillé par la puissance surdimensionné des services de renseignement américain dont les dispositifs ont été construit depuis une décennie par le général Alexander. Comme son prédécesseur Alexandre qui vainquit les Perses il y a plus de deux millénaires, le général empereur du numérique aurait vaincu les centrifugeuses iraniennes en balançant un virus dans les systèmes informatiques.
Drôle de guerre fluide et puis, la télévision coupée en Grèce, symbole éprouvant pour une population. J’ai entendu une commentatrice dire que c’est pire que sous la dictature. Cette remarque en dit long sur la dépendance des gens à l’égard de l’information. Finalement, les masses planétaires sont enfumées et les gouvernants sont parfois irresponsables pour ne pas dire fous. Le carnage se dessine si l’Occident intervient en Syrie. Les politiciens sont obsessionnels. Côté crise, pareil. L’entêtement financier nous plonge définitivement dans le marasme social. Il y aurait bien une solution, que j’ai livrée ici dans l’indifférence. Ce qui montre bien que le système se prépare au sacrifice, mais très inégal. Chacun tente de récupérer ses avantages. Il n’y a plus de morale.
Finalement, il y a ceux qui ont « réussi » un parcours conformément aux standards existentiels moyens puis de part et d’autres l’hyper classe et les recalés auxquels s’ajoutent les exploités. Avez-vous remarqué, on ne les voit que rarement, ces catégories dites « inférieures ». Les recalés ne parlent pas. Sinon ils diraient, ce monde n’est pas pour nous. On croyait à l’intégration, au partage, à la république, mais depuis quelques décennies, rien n’a été fait pour bâtir une société ouverte et équitable pour tous. La politique depuis les années Mitterrand a consisté à préserver les acquis pour les uns, proposer des leviers pour les autres et laisser le reste en rade avec quelques aides pour survivre. Vive le socialisme clamait-on en 1981 mais en 2013, c’est vivre du socialisme et tant pis pour les recalés.
Nous avons été arnaqués autant que nous nous sommes arnaqués nous-mêmes, nourrissant des illusions sur une société à visage humain. Ce n’est pas pire qu’avant, au temps des cavernes ou du Moyen Age. C’est même mieux. Vivons-nous heureux pour autant ? S’il y a bien un domaine ou les hommes sont inégaux, c’est le bonheur. Il y a ceux qui ont profité et d’autres qui n’ont rien vu passer, il y a ceux qui ont bien travaillé et d’autres ont été licenciés et si ça continue, je retourne ma veste et fait une chanson pour Dutronc. Bref, le lecteur n’aura lu dans ces quelques lignes aucune analyse. Juste une confession par un témoin de l’époque qui ne cherche même pas à rivaliser avec Rousseau. Juste quelques clins d’œil pour ne pas se taire et ne pas ennuyer le lecteur avec des analyses qu’il ne lira pas. Les gens ne lisent plus. Ils ne peuvent pas savoir que la technologie n’est pas forcément un progrès, ils confondent égalité et justice, ils vivent dans une illusion de valeurs et d’idéologie.
Il a fait chaud aujourd’hui. Les estivaux sont coincés dans les bouchons du dimanche soir et l’empire planétaire est achevé comme Rome mais pour combien de temps et quel élan spirituel peut-on attendre ? Il n’y a jamais de réponses, rien que des questions. Et des visions… et pour l’instant, en 2013, je ne vois pas le monde s’améliorer.
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