Nous, les humains de 2015
(Article initialement publié sur mon blog le 8 mars 2015)
Les revues scientifiques américaines Science et Nature ont publié cette semaine les caractéristiques d’une mandibule humaine vieille de 2,8 millions d’années trouvée récemment en Ethiopie dans la région de l’Afar. Cette découverte relance le débat sur l’âge du genre Homo et sur les raisons de son apparition sur la Terre.
Nous, les humains de 2015, sommes des Homo sapiens, unique espèce survivante du genre Homo, lequel caractérise toute la lignée humaine. L’étude de divers fossiles permet actuellement de situer notre apparition sur Terre en Afrique et de la faire remonter à 200 000 ans avant J. C. Un représentant célèbre des Homo sapiens est l’homme de Cro-Magnon, découvert en Dordogne en 1868. On lui attribue à peu près 35 000 ans. Ces datations sont bien sûr assez approximatives et dépendent des découvertes successives qui sont faites régulièrement par les chercheurs. En particulier, une équipe de paléontologues de l’université de Berkeley en Californie a annoncé en novembre 2013 avoir retrouvé sur un site de fouilles éthiopien des lances et des pointes en pierre vieilles de 280 000 ans. Ceci ouvre le champ à deux hypothèses non élucidées à ce jour : soit l’espèce Homo sapiens est plus ancienne qu’on ne le croit, soit les espèces antérieures étaient plus habiles qu’on ne le croit.
Quand je parle d’espèces antérieures, je fais référence aux différentes espèces qui font partie du genre Homo et dont l’espèce Homo sapiens est, comme je l’ai dit plus haut, l’unique survivante. Bien que là aussi, les dates et les classifications soient fluctuantes en fonction de l’évolution des recherches, on peut répertorier une douzaine d’espèces dans le genre Homo. Parmi les plus connues en plus de l’Homo sapiens, citons l’espèce Homo habilis dont les plus anciens fossiles disponibles ont été trouvés en Tanzanie et sont datés de 2,4 millions d’années, l’espèce Homo erectus datée de 1,8 millions d’années et l’espèce Homo neanderthalensis qui fut peu ou prou contemporaine de l’Homo sapiens mais qui connut une extinction totale il y a environ 28 000 ans.
Vous avez peut-être entendu dire que nous faisions partie de l’espèce Homo sapiens sapiens. Cette appellation n’a plus cours. Elle résultait de la division des Homo sapiens en Homo sapiens sapiens et en Homo neanderthalensis. Les paléontologues considèrent aujourd’hui que Homo sapiens et Homo neanderthalensis constituent deux espèces distinctes bien qu’un métissage ancien entre sapiens et néanderthal ne soit pas à exclure non plus.
Si l’on en croit ce qui précède, le genre Homo serait donc vieux d’environ 2,4 millions d’années et son représentant le plus ancien serait l’Homo habilis. Mais voilà, encore une fois une découverte essentielle vient de tout remettre en cause. On a en effet appris en milieu de semaine que des chercheurs de l’université d’Etat d’Arizona aux Etats-Unis avaient découvert en 2013 en Ethiopie un morceau de mâchoire fossile correspondant à la partie gauche de la mandibule d’un individu adulte comportant deux prémolaires et trois molaires, ainsi que le montre la photo ci-dessus.
Pour estimer l’âge de ce précieux fossile, des géologues ont étudié les roches volcaniques qui l’entouraient et ont abouti à la conclusion qu’il aurait environ 2,8 millions d’années, soit 400 000 ans de plus que l’Homo habilis. De leur côté, les paléontologues ont remarqué que cette mandibule présentait des caractéristiques propres au genre Homo telles que molaires fines et prémolaires symétriques, tandis que la forme fuyante du menton la rapprocherait plus de l’Australopithecus afarensis.
Je n’ai pas encore parlé des Australopithecus afarensis, mais tout le monde les connait grâce à leur plus célèbre représentante, Lucy, âgée de 3,2 millions d’années. Consistant en un squelette presque complet, elle fut découverte en 1974 en Ethiopie dans la même région (Afar, d’où afarensis) que la mandibule d’aujourd’hui, par une équipe internationale à laquelle participait le paléoanthropologue français Yves Coppens. Lucy est conservée au Musée national d’Ethiopie à Addis Abeba. Le quarantième anniversaire de sa découverte a donné lieu en décembre 2014 à une nouvelle exposition organisée avec la participation de chercheurs français.
Grâce à Lucy, on sait maintenant que les Australopithecus afarensis étaient des bipèdes qui possédaient encore des aptitudes arboricoles, c’est à dire qu’ils grimpaient et vivaient dans les arbres, comme le suggère la longueur importante de leurs bras. Cette lignée est considérée comme une sorte de cousine du genre Homo et se serait éteinte il y a 3 millions d’années.
Dès lors, question concernant la mandibule : s’agit-il d’une mâchoire d’un représentant du genre Homo, lequel serait donc plus ancien qu’on ne le pensait ? Ou bien appartient-elle à un individu de « transition » entre les Australopithecus afarensis et le genre Homo ? Le fait qu’elle possède des attributs que le genre Homo gardera tardivement la classe avec certitude dans cette dernière catégorie, mais pour l’instant, elle n’est pas rattachée à l’espèce Homo habilis. « Cette découverte fait remonter l’apparition de notre genre Homo à un moment très proche de celui auquel Lucy et son espèce Australopithecus afarensis se sont éteints, aux alentours de 3 millions d’années » explique Brian Villmoare, anthropologue de l’université du Nevada, à Sciences et Avenir.
Quelles explications peut-on avancer pour tenir compte de la fin des Australopithèques et de l’apparition pratiquement concomitante du genre Homo ? Des analyses de la faune et de la flore du site où fut trouvée la mandibule montrent que cet individu très ancien du genre Homo vivait dans un environnement plus aride et plus ouvert que l’Australopithecus afarensis qui, lui, avait besoin d’un environnement arboré pour se développer. D’où l’idée émise par certains chercheurs que « l’apparition du genre Homo pourrait être liée à une modification du climat (dans le sens d’un assèchement) tandis que les australopithèques, dont le genre était partiellement arboricole, pouvaient difficilement perdurer dans un environnement plus ouvert, avec de moins en moins d’arbres ».
Et voilà que de façon tout à fait latérale, on apprend que le climat peut se modifier sans l’aide du dioxyde de carbone émis par nos activités humaines polluantes. Il peut se modifier à un tel point que c’est la lignée humaine elle-même qui apparait et se transforme. Elle se transforme vers plus de bipédie, plus de volume crânien, plus d’activité sociale, c’est à dire vers le genre Homo qui se contemple encore aujourd’hui à travers les Homo sapiens que nous sommes, nous les humains de 2015.
Illustration de couverture : en l’honneur de la « Journée internationale de la femme » qui a lieu ce dimanche 8 mars, j’ai choisi d’illustrer cet article avec Lucy, à ce jour doyenne absolue de l’humanité par la branche de nos « cousins » Australopithèques. Il y a néanmoins un léger problème : si sa petite taille et la fragilité de ses membres ont tout d’abord fait penser aux chercheurs qu’ils avaient affaire à une femme, des études plus récentes de l’os pelvien tendraient à montrer qu’il s’agirait peut-être plutôt d’un homme… En tous cas, elle s’appelle toujours Lucy, du nom de la chanson des Beatles que les paléontologues écoutaient au moment de sa découverte : Lucy in the sky with diamonds.
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