Nous, les objecteurs de croissance
Le midi, j'en ai assez de n'avoir pour seul lieu de pique-nique qu'un petit bout d'herbe coincé entre une autoroute et une rivière charriant des détritus. Je voudrais entendre des oiseaux plutôt que des voitures, m'allonger entre des fleurs plutôt qu'entre des packs de bières, respirer un air pur plutôt que des relents de pots d'échappements.
Il y a des lois pour protéger ceux qui ce sont appropriés le monde ; par contre, la société est indifférente aux aspirations les plus profondes de ceux qui ne possèdent que leurs rêves.
L'Histoire nous a déjà prouvé à maintes reprises que la légitimité d'un principe ne réside ni dans son ancienneté ni dans son apparente admission par une opinion collective. Il est du devoir de chacun d'exercer son esprit critique, et de ne pas se laisser abrutir par la propagande capitaliste contemporaine. Face à certaines injustices, la paix est impuissante ; et il serait dangereux de croire que tout conflit est immoral. Rien ne peut justifier la violence, mais il ne faut jamais se résigner à exprimer sa révolte, à se battre par les mots.
Dans un monde où l'impératif économique prend progressivement le dessus sur l'impératif moral, le pouvoir politique du citoyen est menacé, nos choix de société se réduisent, et nos libertés les plus précieuses s'estompent. Peu à peu, les démocraties laissent place à des technocraties. Les Bourses prennent le pouvoir, et les citoyens n’ont plus le droit à la parole. Et aujourd’hui, pour préserver l’économie d’un pays, on n’hésite plus à détruire son système de santé, ses écoles, ses universités, son service public. Est-il acceptable que le coût de la croissance économique soit la régression sociale ?
La société ne tolère pas que l'on remette en cause certains principes auxquels sont attachés des acquis ; et ce, même si ces acquis sont illégitimes. La parole des hommes de pouvoir n'est pas guidée par la justice, mais par l'intérêt commercial ; et au nom d'un pragmatisme myope, aucune formation politique estampillée n'ose discuter de la légitimité du droit à la propriété privée ou encore du droit que s'octroie une génération d'êtres humains de s'accaparer l'ensemble des ressources terrestres.
Je crois en la capacité des hommes à partager les fruits d’une agriculture mondiale qui produit de quoi nourrir douze milliards de bouches, mais qui en dédaigne actuellement 854 millions. (1) La croissance est inutile, nous avons plus que nécessaire, ce qui fait défaut, c’est le partage ; ce qui nous met en danger, c’est l’avidité maladive du capitalisme.
Dans un système qui arrive à saturation, l’ascétisme pourrait être un travail ayant plus de sens que la production.
La très grande majorité des espèces vivantes habitent modestement la Terre sans se l'approprier. Les arbres naissent, se nourrissent d'eau et de soleil, puis meurent sans rien demander d'autre. Nous pourrions vivre de cueillettes et de soleil, de peu de choses, mais manquant de sagesse, il nous faut le reste, tout le reste et toujours plus.
La Terre est une petite chose rare et fragile que nous avons le devoir d'entretenir ; un bien commun, universel et indivisible ; en elle réside l’avenir de la vie ; et se l’approprier est un délit. A mon sens, la propriété est un délit, et la substituer par le partage serait un progrès.
D'où le propriétaire tire-t-il sa légitimité ? Est-il juste que certains hommes possèdent des milliers d'hectares, que d'autres possèdent cinquante mètres carrés et que d'autres n'aient nulle part où planter leur tente ? Au nom de quoi a-t-on le droit d'interdire à un être humain de franchir une barrière, une frontière, une ligne tracée arbitrairement par un homme ou un groupe d'hommes ? Au nom de quoi est-ce qu'un gisement de pétrole, une forêt ou une carrière de roches serait la propriété d'une firme multinationale plutôt que celle de l'ensemble des citoyens du monde ?
D'autres modèles de société ont existé, d'autres modèles de société sont possibles, mais les lois les plus justes sont bien faibles face aux lois des plus forts. C'est l'arme à feu, et non pas la vertu, qui a permis aux occidentaux de coloniser le monde ; et il serait illusoire de croire que les lois encadrant nos sociétés sont toutes légitimes. Ce qui est légal n'est pas systématiquement juste !
L’Etat donne des subventions à des marchands d’armes. La fracturation hydraulique met en péril de grands espaces sauvages. L'exploitation déraisonnée de l'eau douce menace des milliards de vies humaines. Les océans seront bientôt peuplés de bouteilles en plastique plutôt que de poissons. Des accidents nucléaires rayent de la carte du monde des territoires entiers. Les combustions du pétrole, du charbon et du gaz dérèglent le climat et érodent dangereusement la biodiversité. Et pourtant, rien d'illégal dans tous ces choix irresponsables que nos cœurs condamnent !
Face aux nuisances environnementales et sociales, aussi graves soient-elles, la propagande capitaliste répond qu'il n'y a aucune alternative, que vivre différemment serait irréaliste, qu'il n'y a pas de bonheur en dehors de la consommation frénétique des nouveautés technologiques. Accorder du crédit à un tel discours, c'est oublier qu'il y a cinq ans, personne n'extrayait de gaz de schiste ; qu'il y a vingt ans, les téléphones portables n'existaient pas ; qu'il y a soixante ans, aucune centrale nucléaire n'était construite ; qu'il y a cent cinquante ans, on ne soupçonnait même pas que le pétrole puisse être utile ; qu'il y a deux mille cinq cent ans, Diogène était heureux dans son tonneau ; et qu'aujourd'hui encore, la possession de quatre objets - un vêtement, un bol, un rasoir et une aiguille - suffit à la sérénité des moines bouddhistes.
La publicité nous agresse pour faire naître en nous des dépendances, la télévision est un dangereux opium qui nous donne une représentation partiale et erronée du monde. Pour se payer sa Croissance, comme un dealer sans scrupule, le capitalisme nous drogue, nous endort et nous exploite.
Les écologistes prônant la décroissance ne sont pas des utopistes marginaux, mais des réalistes marginalisés ; marginalisés par un système qui refuse de les écouter avec raison. Certes, l'expression est relativement libre en France, mais sa diffusion est contrôlée ; et parler est inutile s'il n'est pas possible d'être entendu. Actuellement, pour les médias les plus influents, ce qui fait la pertinence d'une parole, ce n'est pas la richesse de l'idée qu'elle véhicule, mais l'argent qu'il y a derrière. Chaque jour, on offre des millions d'oreilles aux marchands de lessives tout en ignorant les cris de révolte de milliards de pauvres.
Les capitalistes sont de "doux" rêveurs se nourrissant de dangereuses illusions. Ils croient que les richesses de la Terre abondent et abonderont toujours, qu’ils peuvent se les approprier et les exploiter à volonté. Aujourd’hui, leur utopie se confronte à la réalité, à la finitude du monde et pour que leur rêve perdure, ils sont contraints de se salir les mains, de saccager la nature et l’humanité qui va avec. Libre à nous de résister !
You may say I’m dreamer, but I’m not the only one…
23 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON