Nous sommes tous des receleurs
Le Parquet de Paris veut me faire mettre en examen pour recel d’abus de confiance. Rien n’est dû au hasard dans cette affaire Clearstream. Jamais. Cette annonce est le fruit d’une stratégie élaborée entre avocats, magistrats et hommes politiques...
Nous sommes tous des receleurs.
Donc, le Parquet de Paris veut me faire mettre en examen pour recel d’abus de confiance. Rien n’est dû au hasard dans cette affaire Clearstream. Jamais. J’ai constaté que cette annonce judiciaire et la pétition qui vient d’être lancée ont suscité de nombreuses réactions y compris sur AgoraVox. Tant mieux. Au cœur de ces débats, surnage cette idée selon laquelle il est peut être un peu tôt pour crier au loup. Demande de mise en examen ne serait pas mise en examen...
Le texte de la pétition est le fait d’amis qui ne m’ont pas vraiment consulté. Elle semble se propager à grande vitesse grâce au Net et je ne peux que m’en réjouir. Il est toujours très difficile pour moi d’endosser, ne serait-ce qu’une seconde, les oripeaux du martyr, voire de la victime. J’écris des livres, je fais des films qui sont difficiles et s’attaquent à des pouvoirs financiers puissants. Il est normal que ces derniers se défendent. Même si je suis victime ici de la connerie ambiante (je résume), je ne suis martyr de rien...
La réflexion doit se situer au-delà de ma personne. Je trouve inquiétant que le débat politique ne s’empare pas de ces questions -la finance, les médias, la justice- qui touchent directement l’avenir de nos démocraties. Je trouve grave, à l’instar de ceux qui ont signé ce texte, que des magistrats et des hommes politiques sains de corps et d’esprit aient pu lancer cette initiative judiciaire dont je voudrais restituer le contexte.
Clearstream et son armée de juristes et d’avocats avaient d’abord cru bon de se constituer partie civile dans le dossier du corbeau instruit par les juges d’Huy et Pons en invoquant « un vol et recel de vol de secret bancaire ». Ils se sont rendu compte, pour des raisons de prescription, que ce motif ne tenait pas... Ils ont donc dû se creuser la tête... Je dis « ils » car je mêle ici Clearstream et le Parquet de Paris... Les avocats de la banque des banques ont forcément consulté les magistrats. Des intérêts communs sont à l’évidence nés. Pour Clearstream, la question est toujours la même : comment coincer Denis Robert et son nouvel informateur, l’informaticien Florian Bourges ? Pour le Parquet, courroie de transmission de la Chancellerie et de Matignon, la question pourrait être : comment inventer de nouveaux rideaux de fumée dans cette affaire ?
Là intervient un nouvel acteur (cf. Libération du 30 octobre) qui, visiblement, ne demandait rien à personne : le cabinet d’audit Barbier Frinault. On est allé les chercher pour déposer plainte contre nous. L’histoire est particulièrement tordue. On constate que des magistrats, au Parquet de Paris et à la Chancellerie, se font ici les complices d’une stratégie agressive et très acrobatique à notre égard.
Florian Bourges était un de mes informateurs dans mon enquête sur Clearstream. Ecoeuré de voir que ses supérieurs chez Arthur Andersen ne prennent pas en compte ses rapports révélant des anomalies informatiques à répétition lors de l’audit effectué dans le cadre de sa mission à Clearstream, il me contacte. Et me remet des pièces compromettantes pour la multinationale. Entre autres, ces fameux listings qui font couler tellement d’encre aujourd’hui. Il me faut une fois de plus préciser qu’il n’y a jamais eu de motivations financières pour lui, comme pour moi, dans la publication de ces documents. Et que je n’aurais jamais divulgué son identité s’il n’avait pas été contraint de témoigner dans l’affaire dite du corbeau.
J’ai utilisé ces listings dans mon livre La boîte noire en 2002 et dans notre film L’affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo en 2003. Cette utilisation nous vaut aujourd’hui les demandes de sanction du Parquet de Paris. On marche sur la tête...
Ces listing répertorient 33 000 références de comptes ouverts à partir de la multinationale à Luxembourg sur toute la planète. Ils donnent une incroyable cartographie de la finance mondiale, en particulier celle qu’on ne montre jamais : la finance parallèle.
Grâce à ces listings, on constate que des milliers de comptes sont ouverts dans des paradis fiscaux par Clearstream. Sur 106 pays innervés par les fonds de la multinationale, on note que plus de 40 sont des paradis fiscaux. Les documents de Florian Bourges montrent aussi que toutes les banques honorablement connues - BNP,Crédit lyonnais, Société générale, pour ne citer que les françaises - ont des centaines de filiales dans des paradis fiscaux. Ils montrent également, de manière éclatante, au moins jusqu’en 2002, que la firme mentait éhontément quand elle indiquait n’avoir comme clients que des institutions respectables. Ceux qui douteraient peuvent jeter un œil dans les annexes de mes livres et consulter la liste des sociétés off shore ayant ouvert un compte à la banque des banques luxembourgeoise. Les plus paresseux qui douteraient encore de la véracité de mon propos peuvent acheter ou se faire prêter mes films qui sortent en ce moment en coffret à la Fnac (pub).
Ce n’est pas tout. Le témoignage de Florian en tant qu’auditeur d’Arthur Andersen vient crédibiliser celui de Régis Hempel, l’ancien chef de l’informatique, qui assurait, entre autres devant la mission d’enquête parlementaire française de Peillon et Montebourg, que la firme effaçait des transactions, en créant de fausses pannes informatiques. Cet effacement visait, selon Hempel, à dissimuler la provenance ou la destination des virements. Florian Bourges ne va pas jusque-là mais indique que toutes ses découvertes d’anomalies informatiques lors de l’audit ont été en quelque sorte elles aussi « effacées » par sa hiérarchie chez Arthur Andersen. Et ceci dans le but vraisemblable de ne pas gêner le client. Rappelons que le rapport d’audit, payé très cher par Clearstream et qui nous vaut aujourd’hui cette demande de mise en examen, n’a jamais été rendu public.
Voilà la première utilité des listings de Clearstream et du témoignage de l’auditeur informatique Florian Bourges. Voilà pourquoi mes livres et mes films sont gênants pour les banques et pour Clearstream. Et utiles, je crois bon de le rappeler, à l’information des citoyens.
Voilà pourquoi je suis susceptible aujourd’hui de me faire condamner à trois ans d’emprisonnement et à 375 000 euros d’amende (selon Reporters sans frontières dont j’ai lu le chaleureux communiqué sur http://permanent.nouvelobs.com/). Voilà l’essentiel.
Florian Bourges et moi n’avons strictement rien à voir avec la falsification des fichiers. C’est nous qui révélons les manipulations d’Imad Lahoud et de Jean Louis Gergorin dans mon livre Clearstream, l’enquête. Et c’est Florian, seul, en conscience, sans que je cherche à l’influencer, qui décide de parler aux juges.
Le reste, c’est du vent. De la mauvaise littérature. Le reste, c’est la stratégie du Parquet ou de Clearstream qui vont chercher ce cabinet d’audit dont je rappelle le nom, Barbier Frinault.
Pourquoi ce cabinet ? Parce qu’Arthur Andersen, l’employeur de Florian Bourges, l’auditeur de Clearstream, a trempé dans la sale affaire Enron et a été mis en liquidation... Parce que Barbier Frinault sont les repreneurs d’Arthur Andersen... Ils n’ont évidemment subi aucun préjudice direct de notre part... Je sais, parce que je me suis renseigné, qu’ils n’avaient aucune envie d’être cités dans ce dossier. Leur mission (audit, expertise comptable, bureaux à Neuilly) demande d’abord de la discrétion... Pourquoi prendre le risque de sortir ainsi du bois ? Pourquoi participer à l’édification d’une procédure aussi perfide ? Pourquoi entrer dans ce jeu ?
La première tentative, le vol et recel de vol de secret bancaire, était bancale. Il fallait donc trouver autre chose. Pourquoi pas l’abus de confiance et son recel ? Voilà le sens de la demande de mise en examen du Parquet. Tenter de trouver une procédure dilatoire qui en soit pas prescrite... Voilà à quel jeu se prêtent des magistrats.
Le texte écrit par des journalistes, des éditeurs ou des producteurs, et consultable je le rappelle sur ce site Web, s’indigne de ces pratiques manœuvrières qui montrent un degré de perversion jamais atteint. Les premiers signataires - ils sont plus de 1500 au moment où je rédige ces lignes - disent à quel point le combat pour la liberté d’informer est en jeu dans ce bras de fer initié par le pouvoir politique. J’en suis très heureux. Si les juges suivaient les réquisitions du Parquet et si, par malheur, Florian Bourges ou moi étions un jour condamnés pour des motifs aussi futiles, les journalistes de ce pays pourraient ranger leurs stylos et entrer en clandestinité. Nous sommes en effet tous des receleurs en puissance.
Le Parquet de Paris et son représentant Jean-Claude Marin, le garde des Sceaux Pascal Clément et le Premier ministre Dominique de Villepin, forcément associés dans cette atteinte grave à la liberté d’écrire, ont cette fois poussé le bouchon trop loin. Il faut se croire vraiment intouchable, il faut être très cynique et très peu soucieux de justice et de démocratie, pour se lancer dans une pareille bataille. Rien de ce que ces trois tristes personnages viennent de monter dans ce petit trafic n’est honorable.
Denis Robert
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