Otanschluss : Sarkozy, Kouchner et le droit à géométrie variable
Bernard Kouchner n’a pas ménagé ses mots à l’égard de la Russie, fustigeant son attitude hors la loi internationale, déplorant la reconnaissance de l’indépendance des deux régions séparatistes incluses dans le territoire géorgien, mais auxquelles l’ONU reconnaissait un statut d’autonomie, accusant même les Russes de préparer une purification ethnique. Quelle mouche a donc piqué Kouchner pour qu’il fasse preuve d’un zèle si appuyé que même les Américains s’en étonnent ?
A lire la presse officielle (Le Figaro, Le Monde, Libération) puis quelques analyses sur le net, il paraît que la Russie, à l’occasion de cette drôle de guerre en Géorgie, montre ses crocs, son visage de guerre froide et change la donne géopolitique du monde. Rien n’est moins sûr et si les historiens savent y faire pour façonner des interprétations, les analystes s’y collent également en réagissant à chaud sur ces événements qui plus tard, seront consignés dans les livres d’histoire. C’est de bonne guerre, chacun y va de son interprétation au risque de paraître partisan et même de l’afficher clairement comme BHL, autoproclamé reporter officiel en Géorgie, mais dont le témoignage a été mis en cause sur le net. Il se pourrait bien que la Russie ne soit pas tant au centre de ces événements que peut l’être l’Otan car en combinant tous les éléments, c’est autant le visage de l’Otan que celui de la Russie qui apparaît et sans doute, un nouveau visage de l’Europe.
Kouchner a évoqué le droit, l’occasion de rappeler en liminaire ce distinguo classique en philosophie, celui qui sépare la légalité de la légitimité. Est légal ce qui est reconnu par une loi acceptée par des instances à géométrie variable selon les périodes et les lieux. Dans les tribus indiennes, celui qui transgressait la loi était banni. A notre époque moderne, les Etats sont les dépositaires de la loi alors qu’au niveau international, c’est l’ONU qui tente tant bien que mal d’édicter des textes de loi et des résolutions. Parfois, la loi internationale est transgressée, au nom de la légitimité, celle-ci étant reconnue comme une nécessité supérieure à la loi édictée par les instances gouvernantes. L’antagonisme entre légitimité et légalité était connu de l’Antiquité, présent au centre de la pièce de Sophocle, Antigone. Plus récemment, le cas de la Résistance illustre bien cette opposition, les résistants français étant désignés comme hors-la-loi, voire terroriste, par le pouvoir pétaino-nazi, alors qu’aux yeux de tous les Français, les résistants furent légitimes dans leurs actes de sabotage et de combat comme l’occupant. Le cas s’est produit en Indochine, en Algérie et, plus récemment, Israël affirme sa légitimité à ne pas respecter la résolution 242 de l’ONU.
Revenons à la case départ du cas qui nous intéresse. Le président Saakachvili a décidé de bombarder la capitale de l’Ossétie du Sud une nuit, commettant des actes que certains jugent relevant du tribunal de la Haye. On a annoncé 2 000 civils morts du côté russe, et une cinquantaine selon d’autres sources, chiffre justifiants aux yeux de quelques abrutis une comptabilité macabre et matière à pencher pour un camp. Certes, les Ossètes ne sont pas commodes et peu enclins à négocier, mais toujours est-il que cette agression est injustifiable, ce qui a entraîné une autre agression elle aussi illégale, celle de la Russie ayant occupé la Géorgie au nom de la défense des minorités ossètes. Puis, dans le feu de l’action, le Parlement russe a voté l’indépendance de l’Ossétie du Sud et, dans la foulée, de l’Abkhazie qui, il y a quelques années, était en guerre contre la Géorgie.
Les récents développements de ce conflit ont mis en colère Kouchner qui a dénoncé l’illégalité de cette intrusion des forces russes en Géorgie.
Hélas pour notre ministre du quai d’Orsay, cette rhétorique ne fonctionne pas et tout observateur honnête aura reconnu la situation symétrique avec le Kosovo et, si on remonte en 1999, au bombardement de la Serbie par les forces de l’Otan, sous la pression des Européens. Mais sans l’aval de l’ONU et, donc, Kouchner est mal placé pour parler de légalité. Medvedev fait valoir également que les Etats-Unis occupent en toute illégalité, en termes de droit international, l’Irak, sans aucun mandat ni résolution de l’ONU, bref, sans les conditions de la guerre de 1991 où l’Irak avait agressé le Koweit souverain. Si on veut pousser plus loin, peut-on exonérer Israël de ses actions militaires en Cisjordanie, au mépris de la résolution 242 votée en 1967 puis prorogée en 1973. Et ce mur construit en tout illégalité sur un territoire qu’occupe ce même Etat ? Bon, on va dire légitimité à se défendre du côté de Kouchner et BHL, mais, en ce cas, Moscou n’aurait-il pas aussi droit à une reconnaissance à la légitimité à défendre les deux régions indépendantistes ? Voilà une conception du droit international à géométrie variable que propose Kouchner, parlant au nom de l’Otan qui, dans son esprit, semble s’être substitué à l’ONU.
Allons un peu plus loin dans cette enquête. La reconnaissance par Moscou de l’Abkhazie et l’Ossétie n’a aucune valeur juridique. C’est exact. Rappelons qu’au terme des dispositions de l’ONU une reconnaissance légale doit obtenir une majorité d’Etats membres y adhérant, soit 97 voix. Prenons le Kosovo, nous sommes loin du compte, avec seulement 46 pays ayant reconnu Pristina, mais il est vrai que ce sont des membres de l’Otan, de l’Europe, de l’OCDE et, donc, qu’on peut après tout s’arranger et convenir que les pays concernés, limitrophes, développés, défendant la démocratie, ont des voix qui comptent plus. Mais alors autant accorder les mêmes prérogatives à Moscou dans sa zone d’influence. A noter que la résolution 1244, mettant le Kosovo sous contrôle de l’ONU, via l’Otan et la KFOR, est toujours en vigueur. Drôle de conception du droit international avec des reconnaissances incompatibles avec la force du texte, d’autant plus qu’historiquement, l’Otan s’est proclamée sous l’autorité de l’ONU. Selon Sarkozy, la décision de la Russie viole les nombreuses résolutions de l’ONU, mais la reconnaissance de Pristina ne fait-elle pas de même, face à la résolution 1244 non abrogée et mettant le Kosovo sous mandat de la KFOR ?
Otanschluss. Ce mot résonnera sans doute d’une détonante puissance. Pas évident de le lancer, mais autant profiter de la liberté qui nous est octroyée sur le net et fuir le politiquement correct. Une parenthèse sur l’opinion publique préparée à la vérité officielle, avec ses chiens de garde, les Kouchner, les BHL, et le contre-pied qu’on voit souvent sur le net en pareille affaire, un sujet digne d’étude, le net, malgré ses faiblesses et ses vices, est un espace de libre expression. A vrai dire, je ne sais si on peut accoler les mots Anschluss, désignant l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en 1938 et l’Otan ; un traité né en 1948 de l’après-Yalta pour faire face à l’incurie de l’ONU à assurer la paix et destiné à protéger l’Europe, face à la menace soviétique, mais aussi de l’Allemagne, eh oui ! Puis la métamorphose de l’Otan s’est produite notamment sous la pression de la guerre froide. Ce qui explique cette période où l’Otan fut considérée comme une tête de pont de l’Amérique et la lucidité du général qui sortit la France de son commandement militaire. L’Otan fut aussi le lieu de propagation des idéaux démocratiques et du libre échange économique dans le contexte que l’on sait (l’URSS n’avait pas apprécié). Maintenant, la donne a changé et l’Otan, loin d’être l’instrument des Américains comme le dit la vulgate bêtement gauchiste, a renoué avec ses origines européistes. Au point d’avoir été un instrument dans les Balkans pendant les années 1990. Avec l’efficace participation de l’armée américaine, les Serbes s’en souviennent.
Il est maintenant acquis que Saakachvili a fait une grosse connerie. Ce n’est pas le voyage de diplomatie d’opérette de notre président qui changera l’Histoire ni la vision que l’on peut maintenant avoir de cette crise où un notable géorgien, formé approximativement au management, s’est cru obligé d’asseoir sa gloire et justifier son incurie économique par quelques dérisoires velléités territoriales qu’une Russie, pas si stupide ni maléfique, a su contrer. Les aboyeurs de l’Otan, les BHL, les Kouchner, ont été en colère, mais ne sont-ils pas au service d’un Otanschluss visant à appuyer les zones d’influences de l’Europe tout en adoubant un piètre notable de Géorgie formé à la même école que Sarkozy, conquérant, nationaliste et ignorant tout de l’Histoire. C’est certain, Saakachvili n’a pas de culture historique et n’a sans doute pas un Guaino pour le rectifier.
Pour finir, se pose la question de l’entrée de la Géorgie dans l’Otan. C’est une absurdité et d’ailleurs, la Turquie n’a plus vraiment vocation à en faire partie, sauf pour des raisons stratégiques. L’Otan devrait avoir comme destin sa dissolution, qui sera accomplie à une date pour l’instant non fixée. La Géorgie dans l’Otan, une blague de diplomates espérons-le. N’oublions pas que la Géorgie fut l’auteur d’un massacre de la population ossète en 1920. Une paille ! 20 000 morts, à côté du génocide arménien. La Géorgie n’a pas vocation à entrer dans l’Europe, bien moins que la Turquie, dont l’adhésion reste discutable. Et l’Otan n’a pas pour vocation à servir des intérêts bassement économiques, géopolitiques et énergétiques pour faire de l’Europe une entité orgueilleuse souhaitant jouer un rôle dans l’Histoire. Le peuple des connectés est vivant et tous les Camus de la toile sauront se réunir pour dénoncer des velléités arrogantes et d’une Europe désemparée aux pieds d’argile, minée par la bureaucratie, qui face à la crise économique, tente de manœuvrer l’Otan vers l’Orient. Algérie, Ossétie, Abkhazie, même combat ! Même si la Russie trouble le jeu. Une Otan qui joue les ogres face à la Russie ne voile-t-elle point ses piètres résultats économiques en termes de croissance, et le fiasco du protocole de Lisbonne ?
Malgré les morts dans le Caucase, cette histoire ressemble à une comédie, réplique dirait un philosophe célèbre, de la tragédie amorcée en 1938. Evocation. Il fut un temps où des opposants radicaux se nommaient expressionnistes, autour de 1900, ils étaient artistes. Beaucoup se sont suicidés et quelques-uns ont rejoint le nazisme. Bernard Kouchner n’a rien d’un tyran, mais il a retourné sa veste ou plutôt enfilé le costard des élites qui jouent à déplacer les pions sur l’échiquier, sans pour autant penser qu’il illustre l’évolution de Weimar-18 à Munich-38. Evocation ne rime pas avec raison, mais avec subversion. Notons pour finir que, souvent, ce sont les dirigeants et les intellectuels (nationalistes, religieux…) qui dressent les peuples les uns contre les autres, en Serbie, en France, en Russie, en Belgique, en Israël, au Liban, en Iran… Il appartient aux peuples de désobéir à ces élites. Qui néanmoins ont su corrompre les peuples pour leurs sombres desseins tout en se prémunissant contre les frondes. Un autre monde est possible, si les consciences s’ouvrent.
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