Pensée coloniale et pensée homophobe
Il y a un code de l'homophobie comme il y a un code colonial. L'un comme l'autre sont écrits par le dominant qui construit à son profit une image de l'autre qu'il réprésente comme lui étant inférieur. Le code homophobe ou colonial repose sur une sélection de différences réelles ou fantasmées qui deviennent un stéréotype avilissant à la disposition du dominant qui s'en sert comme d'un piège dont la victime ne peut sortir. Le dominant pense le dominé pour le compte et à la place du dominé. Il le paralyse par l'acceptation de la dévalorisation qu'il introduit dans sa conscience et lui confisque le droit de parler de lui-même.
Le nègre a besoin de l'aide du colonisateur pour accéder à la civilisation.Lorsque la colonisation l'a amélioré il devient le bon noir qui rassure. Le bon noir c'est alors le soldat noir de " Bécassine pendant la guerre " ( 1914-1918 ) ou encore le tirailleur sénégalais solide, costaud, disponible et dévoué. Il y aussi le populaire "y'a bon" des affiches publicitaires de Banania aux yeux malicieux et aux dents blanches et saines .Il vante aux enfants le goût du bon chocolat. Mais le maitre dispose aussi de la caricature qui lui permet de s'amuser en éprouvant la volupté du frisson de la peur. Le noir devient drôle mais au fond reste un sauvage effrayant. Ainsi au théâtre du Châtelet à Paris, dans l'entre-deux guerres, une piéce a fait salle comble pendant des mois, "Malikoko, roi nègre." Le pauvre Malikoko souffre de neurasthénie quand il n'a pas à son menu sa brochette de blancs. Et la salle rit aux larmes chaque soir lorsque Malikoko approvisionné en blancs dodus fraichement capturés convoque son cuisinier avec ses coutelas, ses rôtissoires et ses lèche-frites.
L'imaginaire colonial a aussi inventé l'étalon noir champion sexuel doté d'un membre surdimensionné lui conférant puissance et endurance. En 1922 est publié " Sur le fleuve Amour " roman où, dans un long passage, l'exotisme d'extrême orient se mélange à la fascination des performances et de la lascivité du noir transformé en objet sexuel soumis à une mise en scène un tantinet perverse.. Cela se passe dans un immense bordel de Shanghaï :
" Adossés aux murs, on voyait des lits bas en laque fade, garnis de draps de soie jaune à cigognes noires. Sur chacun de ces lits était étendu sur le dos, un nègre de l'Afrique équatoriale, beau et nu. Les muscles pectoraux se gonflaient au rythme de la respiration en forme de rotondes. Le ventre, d'un noir rose, conservait une molle immobilité. Les mains, lourdes, et les pieds, parfaits , étaient liés aux quatre angles du lit par d'infinies cordelettes de soie.
Debout devant chaque lit, se tenait un Céleste trés jaune, en robe d'or épilé et castré, un martinet de cuir entre les mains.
Sur un ordre du cicerone, les petits bourreaux d'or flagellèrent en mesure les purs nègres. Un enfant nu allait de l'un à l'autre, leur piquant les poignets et leur injectant une liqueur de pavots. On voyait, sous la calme flagellation, les mâles magnifiques, zébrés de lignes livides, entrer déjà en érection. Peu à peu leurs membres virils, trés perpendiculaires, grandissaient au-delà des proportions de l'humanité. Et Ludmilla les yeux mi-clos, voyait en imagination, des femmes de Londres et de Saragosse, ivres du spectacle, chanceler en d'étranges pamoisons et se jeter à pleins ventres sur les négres monstrueux."
A un demi-siècle d'intervalle, la " Cage aux folles " c'est la version homo de "Malikoko, roi nègre." Le film et la pièce de théâtre ont aussi eu un immense succès commercial. Albin, vedette d'un cabaret de travestis joué par Michel Serrault, est une folle exubérante, obsedée par les soins esthétiques, capricieuse, jalouse et se faisant appeler la grande "Zaza de Napoli". Elle satisfait à tous les clichés péjoratifs fabriqués par l'hétérosexualité pour son propre usage. L'hétérosexualité est très friande de ces poncifs dégradants qui la rassurent sur sa "normalité". Les spectateurs d'aujoud'hui comme leurs prédecesseurs des années 30 raffolant du nègre cannibale, rient à gorge déployée lorsque Renato le compagnon de Zaza de Napoli tente en vain de lui donner sur un mode ridicule des leçons de virilité dont lui-même est incapable à partir de la façon de tartiner une biscotte et de tenir sa tasse de thé.
Et comme le colonisé, l'homo est enfermé dans une réprésentation dévalorisante .Il est un être inaccompli sexuellement (explication psychanalytique) qui ne faisant pas d'enfants menace l'humanité de disparition.Il est atteint d'une déviance qui exige un traitement de choc électrique, chimique ou psychiatrique pour être guéri. Et la guérison est d'autant plus envisageable avec le secours actif de la foi. Il souffre d'une conduite désordonnée, c"est-à-dire non conforme à la norme inscrite dans la loi divine : l'explication théologique reprise par les trois religions monothéistes vire au simplisme qui méconnait que les homos sont des créatures de dieu et que dieu lui n'a pas eu honte de les sortir du néant originel.
L'homophobie s'arroge le droit de se contredire sans en être gênée.
Elle reproche aux homos de ne pas être des géniteurs et en même temps elle déplore la place grandissante qu'ils occupent dans la societé. Coluche l'avait tourné en dérision "Ils ne se reproduisent pas et pourtant il y en a de plus en plus." Les antisémites accusent les Juifs d'être partout. Les racistes xénophobes dénoncent les hordes d'immigrés qui submergent le pays.Les homophobes accusent les homos d'être partout. La haine de l'autre s'exprime avec des expressions semblables.
L'homophobie somme l'homo de confiner son existence dans la sphère privée. S'il veut en sortir pour faire cesser la stigmatisation dont il se croit à tort victime ou réclamer l'égalité à laquelle il aspire mais dont il n'est pas digne selon ses persécuteurs, il outrepasse le statut qui lui est assigné. Son entrée dans la sphère publique est une intrusion aussitôt qualifiée de communautariste. Assimilée à celle d'un lobby , sa démarche est taxée de défendre des intérêts catégoriels. L'homo est privé de l'accès à l'universalisme. L'homophobie choisit ses dénigrements comme le maitre choisit le fouet avec lequel il frappe l'esclave. En toute impunité. Sûre d'elle-même, elle s'abrite derrière un rapport de force reposant sur la suprématie du nombre que détient l'hétérosexualité.
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