Populisme et intérêt général
Une autre critique, très ancienne celle-ci, est couramment adressé à l’encontre de la démocratie directe : c’est celle qui la présente comme étant l’avènement d’une véritable dictature du peuple ! Et on n’hésite pas à comparer cette loi du peuple avec celle de monsieur Charles Lynch, ou à nous rappeler, par exemple, que de nombreux sondages pronostiquent qu'un vote sur la peine de mort aboutirait à son rétablissement…
Eh bien ce qui nous inquiète, nous, encore plus qu’un hypothétique rétablissement de la peine de mort, c’est le caractère péremptoire de ces propos. Nous y décelons une autre forme de dictature, peu visible au premier abord, mais dont le caractère néfaste n’est plus à démontrer, c’est la dictature de la pensée élitiste, ou, plus modestement, de la pensée unique.
Lorsque les opposants de la démocratie directe affirment qu’une consultation populaire sur la peine de mort aboutirait à son rétablissement, qu’en savent-ils ? Qu’est-ce qui leur permet d’affirmer cela avec une telle certitude ? Possèdent-ils un don extra-lucide qui leur permettrait de lire dans la pensée de quarante sept millions de citoyens ? En réalité il tiennent cette information de leur lecture assidue des médias dominants et de leurs sondages associés. Mais quels sondages ?…. Il en sort des dizaines par jour, certains contradictoires avec ceux d’hier. Et qu’est-ce qu’un sondage ? Ce n’est jamais qu’un échantillon de neuf cent cinquante personnes , choisies et réparties par CSP (catégorie socio-professionnelle), répondant à un questionnaire téléphonique en regardant la télévision et croquant des bretzels.
On peut certes faire du marketing de produits commerciaux avec les sondages, c’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont été créés, dans le cadre des départements « marketing qualitatif » des entreprises capitalistes, mais il n’est pas sérieux d’utiliser cet outil pour faire de la politique….. Sauf, bien sûr, si on adhère au système représentatif, qui a, pour sa part, définitivement intégré le sondage comme outil principal de gouvernance.
En dépit de ces arguments, nos détracteurs ne désarment pas pour autant dans leur entreprise de dénigrement de la légitimité des citoyens à prendre directement des décisions au sein des agoras. Et il en profitent ainsi pour remettre sur le tapis leur fameuse démocratie participative, en faisant observer, qu’au contraire de la démocratie directe, celle-ci prévoit une formation des participants auprès de diverses sources : experts techniques, usagers, associations, ... ce qui permettrait au citoyen de base, prétendent-ils, de voter ensuite de façon éclairée. Et ils ajoutent qu’en démocratie directe, le vote dans les agoras est fait par des citoyens ordinaires, donc par des personnes qui n'ont pas bénéficié de formation / information, qui vont voter de façon non avisée ou émotionnelle, et qui, en fin de compte, pourraient prendre des décisions contraires à l’intérêt général.
Nous abordons ici un point crucial de notre divergence avec les tenants de la démocratie représentative, agrémentée ou non du colifichet participatif, qui nous accusent fréquemment de populisme au prétexte que nous voulons donner tout le pouvoir au peuple. Ils nous reprochent d’aller ainsi « contre » l’intérêt général, car, selon eux, l’intérêt général n’est pas une somme d’intérêts particuliers.
Cette question est pour nous l’occasion de faire le point sur ce galimatias d’idées reçues à propos des notions de populisme et d’intérêt général, qui fonde en grande partie le discours des partisans d’un pouvoir politique confisqué par les élites.
Commençons par le populisme, dont nous entendons beaucoup parler en ce moment depuis la récente élection de Donald Trump à la présidence américaine, et les propos de l’ancien président Barack Obama mettant en garde le monde entier contre le supposé populisme de son successeur. A notre plus modeste niveau, nous sommes régulièrement interpellés sur le caractère jugé trop populiste de notre Constitution Nouvelle en Démocratie Directe.
A l’évidence, ce terme souffre d’une connotation universellement péjorative dans l’esprit commun, dont il conviendrait d’étudier la raison profonde. Pourtant sa définition littérale, à savoir un mode de pensée et d’action qui vise à placer en premier les intérêts du peuple, est plutôt porteuse d’humanisme et de sens collectif.
La constitution de 1958 parle elle même beaucoup du peuple et énonce d’ailleurs dès l’article 2 qu’elle est régit par un principe supérieur qui est celui du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Il semblerait donc bien que la constitution actuelle soit franchement populiste, et nous ne comprenons donc pas, à première vue, les querelles qu’on vient nous chercher à propos de ce mot.
Mais c’est, bien sûr sans compter avec les habituels détournement sémantiques perpétrés par les hérauts de l’oligocratie (écologie, démocratie, décroissance, etc..) et dont le terme populisme est devenu récemment l’objet. La transformation d’un simple mot en concept par l’adjonction du suffixe isme n’est généralement pas consubstantielle de péjorativisation (social en socialisme, capital en capitalisme, anarchie en anarchisme, chrétien en christianisme, etc..), mais le populisme constitue une exception dans la mesure où la propagande oligocratique a fait en sorte que ce concept artificiellement créé vienne contrebalancer un principe constitutionnel déplaisant pour elle, mais dont la force historique ne lui permet malheureusement pas de se débarrasser.
Il en va de même pour le terme de liberté d’expression, terme sacré que système oligocrate tente toutefois de réduire significativement par l’énoncé de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme, stipulant que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté »… Dans les deux cas, que ce soit pour la liberté d’expression ou pour la cause du peuple, le stratagème des maîtres du pouvoir politique est d’énoncer un principe généreux, pour, immédiatement après, édicter l’interdiction d’en abuser, sans bien entendu énoncer un contre-principe permettant de définir clairement la frontière dudit abus. Nous comprenons parfaitement qu’en omettant cette précision, le pouvoir oligocrate pourra ainsi en donner l’interprétation qui lui conviendra en fonction des circonstances.
Le populisme est donc un concept fabriqué par le système élitaire pour pouvoir lutter chaque fois que nécessaire contre les intérêts du peuple, c’est à dire à chaque fois qu’ils seront mis en avant dans un esprit qu’il jugera trop conforme à la constitution. Ce paradoxe incroyable n’est toutefois pas ressenti comme tel par une certaine opinion publique qui, après avoir été formatée par la propagande oligocratique, considère que l’expression d’un vœu populaire non contrôlé par les élites est forcément entaché de suspicion.
Nous avons déjà décrit à maintes reprises la façon dont le système représentatif avait usurpé le pouvoir en 1789, et à la lumière de ce qui vient d’être dit, nous pouvons compléter notre analyse en disant que le concept naissant du populisme a plané sur cette usurpation en servant de repoussoir contre l’option démocratique. Lorsque Sieyès déclarait à cette époque : « nous ne pouvons pas donner le pouvoir au peuple parce qu’il n’est pas assez instruit », il aurait fort bien pu ajouter : « ce serait faire du populisme ».
Mais revenons à notre supposée dictature de la majorité qui, soi-disant, générerait un système où l’intérêt général ne serait pas respecté au prétexte que le peuple, réuni de façon populiste, ne saurait pas distinguer clairement où se trouve ce fameux intérêt général….
Pour étudier cette étrange affirmation, malheureusement très répandue, il nous faut revenir à la source même de la notion d’intérêt général. En France, cette notion fumeuse fonde rien moins que l’ensemble du droit public, c’est à dire qu’elle va permettre de valider la plupart des dispositions législatives qui seront prises dans les domaines dont il relève. Mais à la différence du droit anglo-saxon qui définit l’intérêt général comme une résultante d’intérêts individuels, les pays latins affectent à cette notion une sorte de non-définition intuitive, qui laisse sous-entendre que l’intérêt général est un intérêt qui dépasse l’intérêt individuel, constituant ainsi une finalité supérieure a laquelle l’individu doit se soumettre quoi qu’il en soit.
Cet intérêt général à la française devient alors un axiome et un credo intégré par une certaine partie de la population, une autre partie pouvant avoir un avis contraire et considérant que c’est elle qui détient le véritable intérêt général.
Prenons l’exemple du réchauffement climatique. Les partisans du GIEC croient dur comme fer que l’intérêt général est de limiter la consommation d’hydrocarbures. Les opposants par contre considèrent que l’intérêt général est continuer l’extraction du pétrole de schiste pour permettre aux gens de conserver leur niveau de vie. Si une consultation populaire était organisée dans un pays où la doctrine officielle est celle du GIEC et que le résultat du vote populaire approuve l’extraction du pétrole de schiste, l’oligarchie au pouvoir dans ce pays dirait que le peuple prend des décisions contraires à l’intérêt général et qu’il ne faut donc pas consulter le peuple.
Prenons l’exemple du nucléaire. Si un référendum était organisé en France sur l’arrêt ou la continuation du nucléaire et que le peuple choisisse l’arrêt, les mouvements antinucléaires diraient que le peuple a pris une décision dans l’intérêt général, alors que les nucléaristes diraient que le peuple a pris une décision contraire à l’intérêt général. JM. Jancovici, éminence grise de notre nouveau ministre de l’écologie Nicolas Hulot, nous expliquerait même que l’industrie nucléaire est moins dangereuse que l’extraction du charbon dans les mines de Chine.
Troisième exemple : le Brexit. En 2016, le peuple britannique a été consulté pour savoir s’il voulait rester dans l’Union Européenne ou en sortir et il a majoritairement voté pour en sortir. Suite à cette consultation populaire, nous avons entendu de nombreux commentateurs français dire que cette décision était contraire à l’intérêt général et que, puisque c’était la tenue d’un référendum qui avait donné ce résultat, un raisonnement logique devait nous amener tout naturellement à conclure que le référendum était une consultation qui pouvait donner des résultats contraires à l’intérêt général. Tenant le même genre de raisonnement, l’homme politique français Alain Juppé à qui on demandait s’il était favorable à la tenue d’un référendum en France sur la même question a répondu textuellement : « je pense qu’il y a de fortes chances pour que les français choisissent majoritairement la sortie de l’UE, ce qui serait contraire à l’intérêt général. Je suis donc contre la tenue d’un tel référendum ». Traduit en termes clairs, cela veut dire : « je ne suis pas d’accord pour qu’on demande son avis au peuple ».
Quatrième exemple : l’agriculture. Il est un fait avéré que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, c’est un mode de faire valoir de type industriel, qui a été mis en place aussi bien pour les productions végétales qu’animales par les politiques agricoles européennes. A Démocratie Directe & Résilience, nous considérons que l’agriculture industrielle est la plus grande nuisance générée par la société moderne, de par les aliments toxiques qu’elle produit, les pollutions diverses qu’elle génère et la stérilisation des sols qu’elle induit. Il relèverait donc, pour nous, d’un intérêt général supérieur que cette agriculture soit stoppée tant qu’il en est encore temps et avant qu’il ne soit trop tard. Mais cet avis n’est pas partagé par tout le monde, alors où est l’intérêt général sur ce point ?
Enfin cinquième exemple : la démographie. Où se situe donc l’intérêt général ? Continuer à la faire croître dans un monde qui va progressivement manquer de ressources naturelles, ou la réduire afin de tenter de l’adapter à la biocapacité des territoires ? Que dit le droit français sur ce point ? Rien !
Nous pourrions multiplier de tels exemples à l’infini qui démontreraient combien cette notion d’intérêt général du droit français est floue, voire carrément vide de sens, sauf à admettre qu’elle émane d’une élite, ou d’un groupe auto-décrêtant pour tous les autres que telle idée est un axiome indiscutable. Les affirmations répétées des objecteurs de croissance à propos du nucléaire, affirmant qu’il ne faut pas consulter le peuple parce que l’intérêt général est qu’on arrête le nucléaire sans discussion, illustre bien le niveau de cette dérive mentale.
Lors d’un débat récent, un contradicteur pourtant proche de la France Insoumise, nous tenait à peu près ce langage : « avec le principe de la Démocratie Directe certains choix désastreux pour l'humanité pourraient être validés, mon sentiment étant en effet que l’intérêt général n'est pas forcément toujours le fruit de la consultation élargie qu’elle propose. C’est effectivement un peu démocratiquement paradoxal, mais c’est comme ça !… ».
Ce discours est désarmant de confusion démocratique, mais il est aussi factuellement inexact. Ainsi notre interlocuteur pense que le système de démocratie directe est de nature à produire certains choix désastreux pour l’humanité !…. Sans doute pense t-il que le système oligocratique nous en a préservé jusqu’ici. Voyons ce que nous enseigne l’histoire sur ce point :
- La guerre de 1914-18 qui a produit vingt millions de morts a été déclenchée pour régler une contestation de suprématie économique entre les minorités oligarchiques européennes. Elle n’a pas été voulue par les agoras, mais bien par le système représentatif.
- L’armistice de novembre 1918 dans le wagon de la forêt de Compiègne, qui est à l’origine des 60 millions de morts de la seconde guerre mondiale de 1939-45, n’a pas été pas le fruit de la stratégie des agoras, mais a bien été conçu par le cerveau déficient du système représentatif.
- Les guerres napoléoniennes qui ont mis l’Europe a feu à sang au début du dix neuvième siècle sont un avatar de l’installation tâtonnante du système représentatif après la révolution de 1789 , elles ne sont pas le fruit de la consultation des agoras.
Autre question : la sacro-sainte croissance, adulée par toutes nos élites va t-elle dans le sens de l’intérêt général, alors que l’écart des revenus entre les plus riches et les plus pauvres a été multiplié par dix depuis le Moyen Age ? Et son corollaire : cette croissance est-elle le fruit du vouloir des élites ou d’une décision des agoras ?
Tous ces arguments démontrent que la notion d’intérêt général est une notion totalement arbitraire, pour autant qu’elle ne soit pas fondée sur une loi physique ou biologique incontestable. Quant à la mise en accusation par anticipation de la démocratie directe, elle ne résiste pas une seconde pas face à la vérification historique qui montre au contraire que les récents choix désastreux pour l’humanité ont tous été faits par un système représentatif et aucun par un système de démocratie directe.
Ceci dit, notre interlocuteur pressent toutefois une certaine contradiction dans ses convictions, car il se rend bien compte que la prévalence affirmée de la démocratie représentative sur la démocratie directe, concrétisée par la domination d’une minorité de citoyens possédant le pouvoir d’imposer ses vues à la majorité, pose manifestement un « problème de démocratie », assez proche somme toute du fascisme des idées.
Cette position ne lui semble d’ailleurs être justifiée que « faute de mieux », ou parce qu’il ne voit pas d’autre moyen de gérer la collectivité. C’est une nouvelle version de la célèbre formule « la démocratie est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres », modernisée en « la démocratie représentative est le pire des systèmes mais on ne voit pas comment la remplacer par la démocratie directe ».
De plus, il y a un risque à continuer ainsi à refuser au peuple la consultation directe sur les problèmes importants, c’est celui que ce dernier finisse par tomber dans un excès inverse c’est à dire celui du rejet irraisonné des élites, sur le modèle de la révolution culturelle maoïste qui décida d’envoyer les élites cultiver des pommes de terre dans les campagnes, ou, plus inquiétant, sur celui des khmers rouges qui se résolurent à les éradiquer physiquement.
Mais revenons à notre débat sur la notion d’intérêt général. Après nous être attachés à démontrer, par nombre d’arguments factuels, le caractère largement arbitraire, voire carrément fallacieux de l’interprétation qui en est faite dans l’esprit commun, nous avons néanmoins cherché dans le maquis législatif du système oligocratique un texte susceptible d’en donner une définition un tant soit peu précise. Et nous l’avons trouvé sous la forme du règlement administratif Annexe 5 de la Circulaire du 18 janvier 2010 édictant les conditions pour qu’une organisation soit reconnue d’intérêt général.
Quelle n’a pas été alors notre surprise de découvrir, à la lecture de ce texte législatif, que la supposée définition de l’intérêt général s’imposant comme une vertu supérieure que personne n’aurait le droit de discuter, est contredite par les textes mêmes de la démocratie représentative actuelle. En effet, cette circulaire indique que la reconnaissance d'intérêt général d'une association est soumise à la réunion de plusieurs conditions, dont notamment :
- son but ne doit pas être lucratif
- sa gestion doit être désintéressée
- son activité ne doit pas être limité à un cercle restreint de personnes
Or, ces trois caractéristiques s’appliquent en tous points aux agoras et à la démocratie directe, dont le but n’est pas lucratif, dont la gestion est désintéressée puisque les citoyens acteurs des agoras sont bénévoles, et dont l’activité n’est pas réduite à un cercle restreint de personnes puisque les agoras sont ouvertes à tous les citoyens.
Par contre, nous sommes bien obligés de reconnaître que ces conditions sont loin d’être remplies par le système de la démocratie représentative, puisque les députés sont rémunérés pour leur activité et que l’assemblée nationale est limitée à un cercle très restreint de 577 personnes.
Il ressort donc clairement des textes législatifs actuels que le fonctionnement des agoras devrait être reconnu d’intérêt général, alors que celui de l’assemblée nationale ne satisfait pas à ses critères d’attribution.
Voici donc une mise au point importante en faveur de la démocratie directe !
Extrait de "Vers la démocratie directe"
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