Pourquoi je voterai Fabius (par un non-fabiusien)
Contre toute attente et par défaut, Laurent Fabius me semble aujourd’hui la meilleure chance de la gauche dans la perspective de la présidentielle 2007. Explications.
Ancien sympathisant vert, adhérent PS depuis un peu plus d’un an, je me considère comme un social-démocrate radical et écologiste, proche de l’aile gauche du PS et notamment du courant NPS. Je suis particulièrement attaché à la réhabilitation de l’impôt et du rôle de l’État, à la réforme d’institutions à bout de souffle, et à la sauvegarde de l’environnement. Comme Hamon et Emmanuelli, j’étais favorable à une candidature de compromis, de rassemblement, au centre du PS : Hollande surtout, Aubry éventuellement. Ces deux personnalités ne partagent pas toutes mes idées, mais j’étais prêt à faire cette concession au nom de la cohésion du parti.
Or, de toute évidence, les trois candidats à l’investiture sont tous des candidats de discorde au sein du parti. Fabius est un homme compétent et expérimenté, il est, sur une ligne claire, à la gauche de la sociale-démocratie, avec un ensemble de propositions cohérentes ; mais le référendum a laissé des traces, et des rancoeurs demeurent. Strauss-Kahn est lui aussi un homme de conviction, avec une ligne claire et assumée de centre-gauche ; mais son image sociale-libérale le rend difficilement acceptable par les socialistes purs et durs. Quant à Royal, c’est sans doute la candidate la plus clivante. Elle n’a ni projet cohérent, ni vision politique : elle se contente de lancer des pavés dans la mare pour faire parler d’elle. Elle a tout fait pour éviter les débats internes, avec les jeunes socialistes comme entre présidentiables. Elle ne veut pas convaincre les militants par les idées, mais par la peur : votez pour moi, sinon vous perdrez... Enfin, en tant qu’employeuse, elle a été condamnée aux prud’hommes, ce qui est rhédibitoire pour la candidate d’un parti qui se targue de défendre les travailleurs.
On le voit, donc, aucun candidat ne rassemble vraiment tous les socialistes. Dès lors, que faire ? Peut-être se souvenir qu’in fine, ce n’est pas le PS qui gouvernera, mais une coalition de gauche. Le PS n’est pas majoritaire seul ; il devra s’entendre avec les Verts, le MDC de Chevènement, le PCF et autres antilibéraux... Dès le second tour de la présidentielle, il faudra tenir un discours rassembleur, qui parle aux électeurs de toutes les gauches. Aux législatives, il faudra trouver un accord de gouvernement, concessions programmatiques à l’appui, avec nos alliés naturels. Sous peine d’être laminés par la machine de guerre UMP.
Qui, aujourd’hui, peut rassembler la gauche ? Certainement pas Royal : la gauche radicale ne supporte pas ses dérives droitières. Strauss-Kahn ? L’équation risque d’être difficile à résoudre : ce candidat est plus libéral que le projet socialiste (il est contre la renationalisation d’EDF et de GDF) alors que la gauche radicale est moins libérale que le projet. En fait, le seul qui puisse mettre tout le monde d’accord, c’est Fabius. L’homme est assez pragmatique pour séduire le centre-gauche, et il a créé des liens avec les antilibéraux au cours de la campagne référendaire. D’ailleurs, c’est le seul candidat qui parle de rassembler la gauche. Le choix est clair. Ce sera Fabius.
Convaincre ne sera pas facile. Quand je m’adresse à certains partisans de Royal, j’ai l’impression de parler à des groupies plus qu’à des militants. Car la candidate s’adresse à leur affect, à leur foi, à leur passion, plus qu’aux idées et aux arguments rationnels. On leur sussure un discours apolitique : c’est une femme, elle a de bons sondages... À ceux-là, je demande juste un instant de politique ; je fais appel à leur raison, à leur amour du débat d’idées, à ce qui les a poussé à s’engager, un jour, dans un parti de gauche, à la défense des plus faibles.
Qu’est-ce qui peut faire gagner le PS, au fond ? Qu’est-ce qui peut pousser le peuple à nous faire confiance, en ces temps de cynisme et de désenchantement ? Des propositions claires et précises pour améliorer le quotidien des citoyens, et notamment des plus faibles. On peut discuter les propositions de Fabius, mais concédons-lui au moins le mérite de la clarté. Le Smic à 1500 euros avant 2012, avec une première augmentation de 100 euros dès 2007, c’est clair et précis. La possibilité, pour les préfets, de se substituer aux maires qui ne respectent pas la loi SRU sur les quotas de logements sociaux, c’est clair et précis. L’organisation d’un référendum sur les réformes institutionnelles prônées par le projet socialiste, et ceci dès l’automne 2007, c’est clair et précis. Or, ce que propose Royal, c’est beaucoup plus flou. Est-elle toujours pour l’adhésion obligatoire à un syndicat, comme elle l’avait dit en mai dernier, avant de relativiser ses propres propos ? Est-elle toujours contre le mariage des homosexuels, elle qui a longtemps dit non et qui, maintenant que la proposition est dans le projet, s’est retranchée dans un vague peut-être ? Est-elle pour la suppression de la carte scolaire, ou pour son assouplissement ? Est-elle pour un assouplissement des 35 heures, comme elle le disait au printemps, ou pour l’extension de cette mesure à tous, comme le demande le projet socialiste ? Est-elle pour ou contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, en dehors du fait que son opinion sera « celle du peuple français » ? On ne sait pas. Dès lors, pourquoi les électeurs lui feraient-ils confiance ? Car en face, il y aura des adversaires qui, eux, auront certainement des réponses précises aux problèmes des Français.
Vous croyez aux sondages, vous ? Mais vous savez bien que nous ne sommes pas encore entrés dans la véritable campagne électorale. Vous savez bien que, tant que le grand débat n’a pas eu lieu, les sondés sont encore peu impliqués, et donc, qu’ils répondent par les noms dont on parle le plus dans les médias. Tout cela est extrêmement volatile. Souvenez-vous du CPE : au début, les sondages étaient favorables à cette mesure ; mais après le grand mouvement social, après la grande polémique, ils rejetaient massivement le projet du gouvernement. Souvenez-vous des élections de 2002 : six mois avant, Jospin faisait près de 25% dans les sondages, et Le Pen, seulement 6 à 8%. On a vu le résultat. Souvenez-vous du référendum sur le Traité constitutionnel : avant la campagne, les sondages donnaient 66% pour le oui... ce qui poussa de nombreux militants à choisir le oui lors du référendum interne. Après une campagne d’une rare intensité, le non faisait 55% ! Alors allons-nous suivre les sondages ? Allons-nous nous interdire de choisir le candidat le plus clair dans ses propositions, sous prétexte qu’il n’est pas au plus haut dans les sondages ? Vous savez combien faisait Mitterrand, dans les sondages, fin 1980 ? 15%, pas plus que Marchais. En 1981, il passait la barre des 25% avant de remporter l’élection... Les fondamentaux de la gauche, ça ne donne pas des sondages mirobolants, mais ça donne des victoires électorales.
Alors pourquoi pas Fabius ? On l’a vu, ce candidat est une solution de compromis qui rassemble la gauche. C’est un homme expérimenté, qui fera une excellente campagne électorale : souvenez-vous de son discours de Lens, brillant au point d’ébranler certains partisans de Royal. Est-il sincère ? A-t-il vraiment changé comme il le prétend ? Je ne sais pas. Je ne suis pas dans sa tête. S’il ne l’est pas, ce sera aux électeurs, à nous tous, de le sanctionner aux prochaines élections. Mais ce que je sais, c’est que ses adversaires sont bien mal placés pour mettre en doute sa sincérité. Car aujourd’hui, ils disent que le projet socialiste est le leur... Mais les idées présentes dans le projet socialiste, ne les ont-ils pas longtemps combattues, au temps où seul Fabius les défendait ? Ne trouvaient-il pas « archaïques » la renationalisation de GDF, le Smic à 1500 euros, l’application plus stricte de la loi SRU sur le logement social... jusqu’à ce que ces idées soient inclues dans le projet socialiste ? Sont-ils vraiment sincères, eux, quand ils disent vouloir s’en tenir à ce projet ? Je ne sais pas non plus. Je ne fais pas de procès d’intention. Je juge sur les faits, et sur les propositions.
Et le fait est que Fabius est le candidat du projet socialiste. Les débats télévisés l’ont montré, Fabius est le seul candidat qui ne s’éloigne pas du projet, qui est notre projet à tous. Sur l’extension des 35 heures à tous les salariés, Royal s’est montrée embarrassée ; elle ne semble pas très enthousiasmée par cette idée. Strauss-Kahn, lui, semble hostile à la renationalisation d’EDF et de GDF, pourtant indispensable à la constitution du grand pôle public d’énergie que nous souhaitons tous. Quant aux 7 propositions de Fabius, elles ne s’écartent jamais du projet, elles se contentent de le préciser. Plusieurs exemples :
1) Sur le Smic, le projet socialiste prévoit d’atteindre 1500 euros avant la fin de la législature. Fabius propose de commencer par une hausse de 100 euros dès 2007, geste fort en faveur des salariés les plus modestes. Il propose également de passer par une grande négociation des partenaires sociaux pour discuter d’autres problèmes touchant le monde du travail, par exemple les salaires hors Smic. Bref, quand l’extrême gauche propose le recours systématique à la loi, quand Strauss-Kahn propose le recours systématique au contrat (pour lui, même le Smic devrait être déterminé par les négociations), Fabius propose un compromis moderne entre la loi et le contrat.
2) Sur les institutions, le projet prévoit une république plus parlementaire, avec un président responsable devant la loi, l’introduction d’une dose de proportionnelle pour les législatives, la réforme du Sénat, le droit de vote des étrangers aux élections locales... Fabius propose d’organiser un référendum sur ces réformes, dès l’automne 2007.
3) Sur le logement, de plus en plus coûteux pour les catégories populaires, le projet socialiste prévoit une application plus stricte la loi qui oblige toutes les communes à fournir 20% de logements sociaux ; loi qui n’est pas appliquée puisque les maires de droite préfèrent payer l’amende. Fabius propose de donner aux préfets le pouvoir de se substituer aux maires qui ne prennent pas leurs responsabilités.
4) Sur les 35 heures, le projet prévoit de réunir les partenaires sociaux pour faire le bilan de ce qui a marché et de ce qui n’a pas marché, puis d’étendre les 35 heures à tous les salariés. Fabius est le candidat qui défend le plus ce point du projet.
La candidature de Fabius a d’autres qualités. Sur la laïcité, il a une position de fermeté, comme tous les intégrismes et tous les communautarismes. Sur l’environnement, mon vieux fond écolo me pousse à dire qu’il ne va pas assez loin, mais les autres candidats non plus ; et on aurait tort de refuser les avancées proposées par Fabius, comme le grand programme de ferroutage, le vice-premier ministre de l’environnement, ou l’amélioration du principe pollueur-payeur. Sur l’Europe, il défend depuis longtemps un plan pour sortir de l’impasse : l’Europe des cercles. C’est, au fond, l’idée du noyau dur, une idée qui va au-delà du oui et du non au projet constitutionnel, puisqu’il est défendu par des personnalités aussi diverses que l’Allemand Joshka Fischer et l’Italien Romano Prodi. Le noyau dur, qu’est-ce que c’est ? Les pays qui veulent aller plus loin dans l’approfondissement et l’harmonisation (l’Allemagne, la France, l’Italie, la Belgique, l’Espagne...) forment un noyau dur fédéral sur la base d’un Traité constitutionnel simplifié et amélioré. Les pays plus souverainistes, qui voient l’Europe comme un simple espace de libre-échange (Royaume-Uni, Pologne...) ne s’engagent pas plus et restent dans la configuration actuelle de l’Union : c’est leur droit. Ainsi, la construction européenne avance, chacun allant à son rythme. Qui peut être contre cette proposition aujourd’hui ? Que l’on ait lutté pour ou contre le Traité constitutionnel, aujourd’hui, il faut se rassembler sur le projet socialiste, et le projet socialiste a tranché : il faut trouver autre chose. L’Europe des cercles me paraît une bonne méthode pour cela.
Pour terminer sur l’Europe, et puisque le Parti socialiste a tout de même pour vocation d’être à la défense des salariés contre le libéralisme sauvage, je laisserai le dernier mot à John Monks, président de la Confédération européenne des syndicats, interviewé par Libération : « [Les élites] pensent que l’Europe ne peut concurrencer les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde qu’en bradant l’Etat-providence, qu’en réduisant les services publics et qu’en brisant le pouvoir des syndicats à gérer les changements. Cette opinion se retrouve chez des hommes politiques de centre gauche comme Tony Blair, Gerhard Schröder et au PS. A part, peut-être, Laurent Fabius... »
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