• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Prélèvements « à cœur arrêté » : le consentement éclairé des usagers (...)

Prélèvements « à cœur arrêté » : le consentement éclairé des usagers de la santé

A titre expérimental et “en toute discrétion”, l’Agence de la biomédecine autorise, depuis le mois d’octobre 2006 et ce dans une dizaine de centres de transplantation, le prélèvement d’organes sur cœur arrêté. Cette technique consiste à prélever des organes sur des personnes en état d’arrêt cardiaque, après une réanimation de trente minutes et le constat de l’absence de reprise de battements du cœur durant cinq minutes au moins. A présent, cette activité de prélèvement “à cœur arrêté” se généralise, dans un climat d’ignorance et d’indifférence. Pourtant, la loi prévoit que nous sommes tous présumés consentir au don de nos organes à notre mort.

Jusqu’alors, les prélèvements d’organes s’effectuaient sur des patients en état de mort encéphalique. La mort encéphalique, cela concerne à peine un pour cent des décès en France. Un arrêt cardiaque, voilà qui touche déjà beaucoup plus de monde. On assiste donc à un "changement qualitatif induit par la quantité" (professeur Jean Michel Boles) en ce qui concerne l’activité des transplantations d’organes. Aujourd’hui, plus de 15.000 patients attendent un organe, essentiellement un rein. Les prélèvements "à cœur arrêté" permettent de prélever les reins et le foie, soit les organes les plus demandés.
 
"Pratiquée aux Etats-Unis notamment, cette technique permet d’augmenter le nombre de donneurs potentiels et donc de pouvoir greffer davantage de demandeurs d’organes. Pour autant, cette initiative ’sème le trouble’ au sein du corps médical. Certains dénoncent la ’course contre la montre’ imposée par cette technique, le prélèvement devant être fait 120 minutes maximum après l’arrêt du cœur (contre un ou deux jours après une mort encéphalique avérée). Responsable du groupe de travail à l’espace éthique AP-HP, Marc Guerrier souligne la difficulté de parler de don d’organes à une famille quelques minutes seulement après le constat du décès et celle rencontrée par le personnel qui, d’un côté, fait tout pour réanimer le patient et, de l’autre, constitue un dossier pour un éventuel prélèvement." (Source)
 
Les prélèvements "à cœur arrêté", c’est un protocole de don d’organes "post mortem". Ce protocole a été mis en place en catimini en France, sans informer les usagers de la santé, sans recueillir un large consensus au sein du corps médical. Les lois bioéthiques d’août 2004, actuellement en vigueur, réglementent l’activité des transplantations d’organes et de tissus en France. Ces lois font l’objet d’une mise à jour, la nouvelle version est prévue pour mai 2010. Les prélèvements "à cœur arrêté" sont inscrits dans la loi en France ; ils le seront dans la nouvelle version de la loi. Les questions que soulèvent les prélèvements "à cœur arrêté", qui ont repris en France en 2006 afin de pouvoir prélever reins et foie (les deux organes les plus demandés) chez un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant" en toute légalité, ne sont pas publiques. Les usagers de la santé ignorent tout de ce protocole et de ses réalités.
 
Le consentement présumé au don de ses organes à sa mort suppose un consentement éclairé au préalable. Sans information, pas de consentement éclairé. Les propos sur la générosité, véhiculés à l’envi par le discours public, sont bien minces lorsqu’il s’agit de s’informer sur le don d’organes en général et sur les prélèvements "à cœur arrêté" en particulier.
 
Tout d’abord : qu’est ce qu’un prélèvement "à cœur arrêté" ? Lire l’article sur Wikipedia pourra vous renseigner sur le sujet dans un premier temps.
 
"Les donneurs potentiels sont des personnes en arrêt cardiaque irréversible après arrêt des mesures de réanimation. Le délai après lequel une asystolie (tracé électro cardiographique plat) est considérée comme irréversible est de l’ordre d’une minute, après arrêt des mesures de réanimation. La plupart des sociétés savantes nationales exigent plus de 5 minutes de délai. Les organes concernés sont essentiellement les reins."
 
L’article de Wikipedia fait état de problèmes d’éthique :
 
"La pratique du prélèvement d’organes à cœur arrêté pose certains problèmes d’ordre éthique, dont les principaux sont la faible certitude de l’irréversibilité de l’arrêt cardiaque, et les risques de dérive des équipes médicales confrontées à une demande forte de greffes et à un faible nombre de donneurs. Pour palier ces risques, les conditions à respecter pour recourir à cette pratique sont très importantes, du moins en France."
 
En quoi consiste le protocole français de prélèvement "à cœur arrêté" ? Suite à une situation d’arrêt cardiaque dit "réfractaire à la réanimation", c’est-à-dire pour lequel des tentatives de réanimation d’une durée maximale d’une demi-heure ont "échoué", survient une période d’attente de 5 mn, durant laquelle … rien n’est entrepris ! Les médecins, chronomètre en main, se croisent les bras en attendant de signer un constat légal de décès à l’issue de la période de 5 mn ! Puis une autre réanimation est entreprise, cette fois-ci dans le but de conserver des organes vitaux à des fins de transplantation. Le patient, sur lequel des mesures de réanimation invasives sont entreprises afin de conserver des organes transplantables, devient un simple réservoir d’organes, il perd son statut de patient.
Vous avez bien lu : les médecins réanimateurs se croisent les bras durant 5 mn, puis l’on reprend la "réanimation" (pour les organes, pas pour le patient). En pratique le cœur est peut-être arrêté mais la circulation est efficace. En effet, on peut suppléer à une défaillance circulatoire (arrêt cardiaque). La suppléance circulatoire mise en œuvre dans ce protocole concernant la "réanimation" à des fins de conservation des organes est comparable à celle que l’on effectue pour des opérations "à cœur ouvert". Il s’agit de mettre en œuvre la circulation extracorporelle, dans un cas comme dans l’autre. Le principe de cette technique est le suivant : le chirurgien arrête le cœur et la circulation se poursuit avec des machines de circulation extracorporelle. Pour une opération "à cœur ouvert", les patients sont considérés comme vivants, alors que dans le cas de notre potentiel donneur, ce même procédé de circulation extracorporelle est utilisé, mais le donneur est considéré comme "mort", son constat de décès ayant été signé au bout de la fameuse période d’inaction de 5 mn.
 
Dans le protocole de prélèvement "à cœur arrêté" français, il s’agit d’attendre 5 mn entre deux réanimations : la première vise à sauver le patient qui a fait un arrêt cardiaque et dure une petite demi-heure maximum (car au-delà de ce temps la qualité des organes risque de se dégrader). Après quoi il s’agit pour l’équipe médicale de se croiser les bras durant cinq minutes. Puis le constat légal de décès est signé, et une nouvelle réanimation est entreprise, cette fois-ci afin de préserver des organes qui vont être prélevés le plus vite possible. Voilà qui permettrait de ne pas confondre décision de fin de vie (arrêt des traitements) et intention de prélèvement d’organes ? Le législateur qui a prévu le "consentement présumé", inscrit dans la loi, a fait une lourde erreur : je ne consens pas du tout à ce que le corps médical me traite de la sorte. Ces cinq minutes d’attente me paraissent intolérables, que dis-je, elles me remplissent d’indignation et de colère. Ce n’est pas ainsi que j’envisage le don d’organes, encore moins la médecine. L’exception culturelle française, ce serait ce médecin qui se croise les bras pendant cinq minutes entre deux réanimations, l’une dans l’intérêt du patient, l’autre, après avoir signé son constat de décès, en vue de conserver ses organes ?!
 
Dans un tel contexte, j’ai envie de raconter cette plaisanterie douteuse à mon ami londonien Peter James, auteur de "thrillers" sur le thème du trafic d’organes : "Qu’évoque pour vous le don d’organes ?" Ma réponse : "Le joyeux ‘Ding !’ émis par mon four à micro-ondes au bout de cinq minutes. Mon plat pré-cuisiné est prêt, à table !" En retour, Peter James m’a parlé de son dernier livre sur le trafic d’organes "Dead tomorrow" (traduction à paraître en juin 2010). "Le plus amusant, me racontait-il l’autre jour, c’est que mon livre va être traduit en Chinois et dans les langues et dialectes parlés en Inde – justement les pays où le trafic d’organes fait rage."
 
Voici à présent une anecdote ancrée dans les réalités des transplantations, racontée par un médecin (hôpital de la région parisienne, propos recueillis le 24/04/2010). Précisions que l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière a reçu l’autorisation, délivrée par l’Agence de la biomédecine, de pratiquer les prélèvements "à cœur arrêté", alors que l’autre hôpital dont il est question au début de cette anecdote n’a pas l’autorisation d’effectuer ces prélèvements.
 
"Devant mon hôpital, alors que je faisais autre chose, un homme jeune a fait un arrêt cardiaque... Appel des secours institutionnels (il était sur la voie publique), réanimation, transport dans mon service, poursuite de la réanimation, arrivée des pompiers médicalisés. Pas de reprise d’activité cardiaque, inclusion dans le protocole prélèvement à ‘cœur arrêté’. Que dit le médecin transporteur à la femme du patient ? ‘Madame, pour mieux réanimer votre mari, il faut qu’on le transporte à la Pitié-Salpêtrière, êtes-vous d’accord ?’ ‘ – Oui’, dit la dame... et hop, le tour est joué ! On m’a raconté cela alors que cet homme était déjà dans le camion (l’idée étant qu’à la Pitié-Salpêtrière, malgré la super réanimation, on n’avait quand même rien pu faire, madame est-ce qu’un prélèvement blabla, sauver des vies blabla). (…) Arrive un vieux réanimateur de l’hôpital, il convoque le médecin transporteur et lui dit qu’il s’oppose à un transport fondé sur le mensonge. Il l’enjoint d’aller revoir la dame et lui dire clairement ce dont il s’agit (et rechercher son consentement ou celui du mari). La dame refuse. Le mari est débarqué, la réanimation s’arrête dans le service ou il meurt tranquillement."
 
Les pays anglo-saxons (Canada inclus) commencent à reconnaître que cette pratique des prélèvements "à cœur arrêté" était une erreur. Voir l’article scientifique publié par Elsevier le 02/04/2010 (lien). Mais leur aveu, tel le nuage de Tchernobyl, est censé faire gentiment demi-tour à la frontière Française. Non pour cause de grève d’Air France ou de cendre de volcan, mais pour cause d’exception culturelle. Mon vieux médecin généraliste avait raison : "l’histoire ne se répète pas, elle bégaye". Madame la ministre de la Santé, Messieurs les chirurgiens transplanteurs, Messieurs les législateurs, je ne saurais que trop vous conseiller de veiller à ce que la générosité de l’usager de la santé ne se mette pas soudainement, allez donc savoir pourquoi, à bégayer. Les lois bioéthiques vont bientôt être rendues publiques dans leur nouvelle version, à horizon mai 2010. La pratique du prélèvement "à cœur arrêté" sera inscrite dans cette loi, afin de lutter contre la pénurie d’organes à greffer.
 
"La Transplantation d’organes. Un commerce nouveau entre les êtres humains" est un ouvrage paru aux éditions Gallimard - nrf en mars 2010. Son auteur, le sociologue Philippe Steiner, y écrit : "Pour transplanter, il faut le plus souvent décider de la mort de la personne prélevée tant que ses organes conservent leur capacité de régénérer la vie." Cette citation a été reprise dans un article du Point du 23/04/2010 ("A votre santé", Anne Jeanblanc). Les faits sont têtus, ils finissent toujours par se faire entendre.
 

Moyenne des avis sur cet article :  4.27/5   (11 votes)




Réagissez à l'article

15 réactions à cet article    


  • stephanie stephanie 30 avril 2010 09:59

    Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour du FRIC ?

    Là, on gagne sur les deux tableaux :
     - Arrêt de la réanimation (économie)
     - Greffe (gain allant de 100 000 à 350 000 euros !

    Pourquoi ne pas envisager, les prélèvements sur une personne dans le coma ?
    Ce sera-t-il la prochaine étape ?

    Vraiment Scandaleux !


    • Catherine Coste Catherine Coste 30 avril 2010 10:10

      Concernant l’anecdote :
      « Devant mon hôpital, alors que je faisais autre chose, un homme jeune a fait un arrêt cardiaque... Appel des secours institutionnels (il était sur la voie publique), réanimation, transport dans mon service, poursuite de la réanimation, arrivée des pompiers médicalisés. Pas de reprise d’activité cardiaque, inclusion dans le protocole prélèvement à ‘coeur arrêté’. Que dit le médecin transporteur à la femme du patient ? ‘Madame, pour mieux réanimer votre mari, il faut qu’on le transporte à la Pitié- Salpêtrière, êtes-vous d’accord ?’ ‘ – Oui’, dit la dame... et hop, le tour est joué ! On m’a raconté cela alors que cet homme était déjà dans le camion (l’idée étant qu’à la Pitié-Salpêtrière, malgré la super réanimation, on n’avait quand même rien pu faire, madame est-ce qu’un prélèvement blabla, sauver des vies blabla). (…) Arrive un vieux réanimateur de l’hôpital, il convoque le médecin transporteur et lui dit qu’il s’oppose à un transport fondé sur le mensonge. Il l’enjoint d’aller revoir la dame et lui dire clairement ce dont il s’agit (et rechercher son consentement ou celui du mari). La dame refuse. Le mari est débarqué, la réanimation s’arrête dans le service ou il meurt tranquillement. »

      Voilà qui montre bien que, même en cas d’issue fatale (le patient dont on parle ici est décédé), le consentement éclairé des proches pour un prélèvement « à coeur arrêté » est très difficile, voire impossible à obtenir. Auriez-vous accepté le transport de votre conjoint dans un grand hôpital dans le « seul » but du prélèvement de ses organes ? Si « un transport fondé sur le mensonge » est la seule option pour obtenir des reins afin de répondre à la pénurie de greffons, alors il y a quelque chose qui ne va pas dans le circuit de prélèvement ... La fin justifie-t-elle les moyens ?


      • Ploucman 30 avril 2010 10:38

        Effectivement le fait est que toute personne soit donneur par défaut est quelque peut gênant...

        Je pense que toute personne devrait décider « obligatoirement » de son vivant si ils veut être donneur d’organe ou pas, j’entends par la qu’il devrait y avoir OBLIGATION pour chaque personne de l’indiquer clairement dans une base de donnée, par exemple un formulaire avec une casse « donneur oui/non » pour délivrer la carte vital, toute personne pouvant changer son choix a tout moment.

        de cette façon tout est claire, pas besoin de demander a ta famille (qui selon moi, n’a rien a dire sur ton ton choix)

        faut arrêter avec les « il a pu mourir tranquillement » >> le mec était déjà inconscient, et le cœurs arrêté...

        une fois que tes mort, tes MORT ! faut se mettre dans la tete que c’est fini, que tu te ferras bouffé par les ver... c’est tout le monde pareils (sauf les pharaons... mais eux ils avait des pyramides :p)

        et au bou des 30min+5min réglementaire, même si tu reprends connaissance, ton cerveau a sévèrement manqué d’oxygène, ta toute les chance d’être un légume, perso pas envi d’etre un poid pour ma famille, encore moins de vivre en légume ... donc autant être un réservoir a organe et aider son prochain !

        et si vous n’en avait pas envis, cocher la case « non » ;)


        • Krokodilo Krokodilo 30 avril 2010 13:22

          Vous jouez sur les mots en parlant de deux réanimations, mais ce que vous appelez deuxième réanimation n’en est pas une, c’est le maintien temporaire de la qualité de quelques organes sur quelqu’un de toujours décédé, cerveau foutu.
          Je suis assez d’accord avec Ploucman, ce serait plus simple de déclarer tous dans un registre national nos volontés.
          De plus, l’accumulation d’articles sur ce thème et la façon dont vous les traitez laisse penser que vous menez campagne contre le don d’organes sans vouloir le dire clairement ; est-ce que je me trompe ?
          Car certains passages sont franchement insidieux, rédigés spécialement pour choquer :
          « Le législateur qui a prévu le »consentement présumé", inscrit dans la loi, a fait une lourde erreur : je ne consens pas du tout à ce que le corps médical me traite de la sorte. Ces cinq minutes d’attente me paraissent intolérables, que dis-je, elles me remplissent d’indignation et de colère. Ce n’est pas ainsi que j’envisage le don d’organes, encore moins la médecine. L’exception culturelle française, ce serait ce médecin qui se croise les bras pendant cinq minutes entre deux réanimations,"
          Quand la réanimation a été inefficace, voulez-vous qu’on la poursuive trois jours ? Ou qu’pn maintienne en réanimation toute la population française ?


          • Catherine Coste Catherine Coste 30 avril 2010 13:57

            Dénoncer des problèmes d’éthique flagrants dont parle le corps médical acteur des transplantations lui-même en ce qui concerne les prélèvements « à coeur arrêté » n’équivaut pas à se positionner contre le don d’organes dans l’absolu. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, svp.
             Je vous conseille de voir la présentation suivante (voir lien), elle a été faite par un médecin réanimateur très impliqué dans le prélèvement d’organes. Il se pose lui aussi la question du moment de la destruction du cerveau au préalable du prélèvement dans le cas d’un prélèvement « à coeur arrêté » :

            http://www.canalc2.fr/video.asp?idvideo=6015

            De plus, voici le lien vers la traduction en français de l’article scientifique publié par Elsevier le

            02/04/2010 :
            http://ethictransplantation.blogspot.com/2010/04/prelevements-coeur-arrete-la-parole-aux.html

            Enfin, voici ce que disait, au sujet des prélèvements « à coeur arrêté », un médecin acteur des transplantations auditionné par le gouvernement en juin 2009 à l’occasion de la révision des lois bioéthiques d’ici septembre 2010 :

            http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/bioethique/bioethique-20090630-1.asp

            En espérant que ces précisions seront utiles, tant il est vrai que l’information sur ce sujet complexe est rare ...

            Catherine Coste


          • Krokodilo Krokodilo 30 avril 2010 15:17

            je n’ignore pas que ces sujets entraînent des questionnements éthiques, je trouve simplement que la présentation que vous en faites (régulièrement) tient davantage d’un militantisme inavoué que du journalisme, même citoyen. Vous devriez choisir entre une présentation des faits, des opinions en présence et des difficultés techniques, et un parti-pris militant, ou les séparer plus clairement.


          • Catherine Coste Catherine Coste 30 avril 2010 15:40

            Ce que vous dites est intéressant, et montre qu’on est habitué à n’entendre que de la promotion du don d’organes dans le discours public, sous couvert d’information. Quant à moi, pour paraphraser un auteur russe, Volkoff, je serais plutôt « moyennement démocrate » ...

            Par ailleurs, j’ai soumis un article à « Marianne » ce matin, qui reprend bien plus de faits sur le sujet des prélèvements « à coeur arrêté » que cet article n’en propose. L’objet sur Agoravox était de faire une tribune d’opinion pour susciter le débat. L’article pour « Marianne » est plus détaillé et plus complet car il fait intervenir des spécialistes du sujet, membres de l’académie nationale de médecine pour certains. D’accord avec vous : il manque un article de fond, faisant le tour du problème. A mon sens, c’est plus l’objet d’un chapitre de livre sur l’éthique médicale que celui d’un article sur AgoraVox...


          • Catherine Coste Catherine Coste 30 avril 2010 15:07

            Philippe Steiner est sociologue à la Sorbonne (Université de Paris IV). Depuis 10 ans, il travaille sur le thème des transplantations d’organes. En mars 2010, il a publié un ouvrage paru chez Gallimard nrf : « La transplantation d’organes. Un commerce nouveau entre les êtres humains ».

            Voici ce qu’il écrit au sujet des prélèvements “à cœur arrêté” (p. 162-163)  :

            “Cependant, il existe une forme de cette utilisation optimale des corps défunts qui contourne la faiblesse des ressources offertes par le critère de la mort encéphalique. Depuis le début des années 1990, le protocole dit ‘de Pittsburgh’ propose de procéder à des prélèvements sur des personnes dont la mort est établie selon le critère cardio-pulmonaire classique. La difficulté ne vient pas du recueil de la volonté, laquelle est donnée par le patient lui-même ou par la famille si ce dernier n’est plus en mesure de s’exprimer, mais de la pratique du prélèvement. En effet, ce mode de productivisation de la mort suppose que les reins soient prélevés immédiatement après le constat de mort : lorsque le cœur cesse de battre, les professionnels ne tentent aucune mesure de ressuscitation (puisque telle est la volonté du malade ou de la famille) ; au bout d’un temps très court (de deux à cinq minutes), le défunt est poussé en salle d’opération et le prélèvement a lieu. Pour améliorer la qualité du greffon, une sonde peut être placée dans le corps du mourant de manière à refroidir les organes à prélever et leur éviter d’être endommagés par une trop longue durée d’ischémie chaude [période durant laquelle n’organe n’est ni perfusé ni refroidi, et risque donc de s’abîmer. On dit qu’il est en souffrance, cet état compromet directement la réussite de la transplantation. Ndlr.] Des actes médicaux sont donc accomplis sans aucune portée thérapeutique pour le patient afin de prélever des organes de meilleure qualité. La démarche fait difficulté pour les professionnels de la transplantation. Le protocole s’est donc peu diffusé jusqu’ici, sauf au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. [Il a auparavant été mentionné que ce protocole était utilisé aux USA et au Canada. Ndlr.] (…) Aux Pays-Bas, en 2006, il y a eu cent seize donneurs à cœur arrêté prélevés, ce qui représente 51 pour cent des prélèvements post-mortem et 23 pour cent du total des prélèvements. [Dans ce pays, le don d’organe provenant de donneur vivant, comme un rein ou un lobe de foie, est une pratique plus répandue qu’en France. Ndlr.] Ce type de prélèvement, validé en France depuis 2005, est en phase expérimentale depuis 2007 dans un petit nombre de grands centres hospitaliers ayant développé l’infrastructure adaptée à un tel mode de prélèvement. Cette pratique vient de rencontrer une difficulté majeure avec le cas d’une personne qui, après échec apparent des tentatives de ressuscitation, et au moment où le prélèvement allait être effectué, a présenté des signes de respiration spontanée, une réactivité pupillaire et une réactivité à la douleur, autant de symptômes de vie. Après des soins compliqués, cette personne, dont l’état neurologique n’était pas connu dans sa globalité, retrouva des éléments de la vie sociale, comme la parole et la marche. [Le Monde, 11 juin 2008]”.


            • Graindesable Graindesable 30 avril 2010 17:01

              Quel dilemme pour les médecins qui sont sur le fil du rasoir : 5 mn. 5 petites minutes qui peuvent faire basculer la vie du receveur ! Je pense que l’auteur veut juste nous montrer le manque d’information des donneurs et de leur famille qui sont déjà dans un état de détresse et dont la décision est prise sans recul.
              "La dame refuse. Le mari est débarqué, la réanimation s’arrête dans le service ou il meurt tranquillement."
              Si elle avait été correctement informée à l’avance, voir pendant la tentative de réanimation :(30mn) par un médecin, peut-être aurait elle accepté ce transfert. Mais la manière dont on lui a menti l’a au contraire braquée. Je comprend aussi le désarroi des médecins : combien de vies sont suspendues au don d’organes ?


              • Catherine Coste Catherine Coste 30 avril 2010 17:14

                Cet aspect « course contre la montre » du prélèvement de reins et de foie « à coeur arrêté » est en effet vécu comme une vraie violence par le corps médical. La pression exercée par les 15.000 patients en attente de greffe est bien sûr énorme. Il faut accentuer le travail de recherches d’alternatives à la greffe, de prévention (insuffisance rénale) ...


              • Marc Bruxman 30 avril 2010 19:16

                Il faudrait surtout modifier la loi et demander que ce soit un « opt-out » plutot qu’un « opt-in ». Si la personne a des oppositions au don d’organe, elle fera elle même les démarches (genre rentrer son numéro de carte d’identité sur un site web) qui doivent être simples et sans paperasse.

                Par contre, forcément quand quelqu’un vient de clamser et que les medecins doivnet demander dans l’urgence à la famille son accord il y a de bonne chance que le monsieur n’en a jamais parlé et donc on réponds « non » sans savoir pourquoi. Ou plutot pour ne pas risquer de faire une gaffe. Et de toute façon on est trop secoué pour réfléchir.

                Mettons donc en place un don « automatique » avec opt-out via une base de données nationale et une procédure très simple pour sortir. Cela sauvera des vies et à part les cathos intégriste ca ne fera chier personne. (Vu que ceux qui ne veulent pas se désinscriront).


                • werther_original werther_original 30 avril 2010 20:01

                  Heu , c’est ce qui existe deja.


                  Par défaut , le don est automatique et il suffit d’envoyer son refus au « centre de refus des prélevements d’organes ».




                  • zadig 30 avril 2010 22:03


                    Le délai de 30 minutes pour la tentative de réanimation me semble faible.

                    Souvenez de Jean-Pierre Chevènement, réanimé au bout de presque une heure.


                    • Catherine Coste Catherine Coste 30 avril 2010 22:36

                      Une infirmière cadre chargée d’enseignement en IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers) en région parisienne m’avait dit en 2008 qu’une durée d’une demi-heure pour la tentative de réanimation, c’était trop peu. « Il faut parfois bien plus de temps ! » Avait-elle commenté. Elle n’était pas d’accord avec cette durée trop courte dans certains cas, ni avec le « timing problématique » du prélèvement « à coeur arrêté ». Le protocole du prélèvement « à coeur arrêté » ne fait pas non plus l’unanimité au sein des spécialistes membres de l’académie nationale de médecine. Devrait-on revenir sur ce protocole alors que la mise à jour des lois bioéthiques qui réglementent l’activité des transplantations d’organes (prélèvement et greffe) est prévue d’ici septembre 2010 ? Tout semble indiquer le contraire. Et si le prélèvement « à coeur arrêté », à force de semer le trouble et le doute dans les esprits et les coeurs, allait finir par avoir pour effet de ralentir le don d’organes ?

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès