Jusqu’alors, les prélèvements d’organes s’effectuaient sur des patients en état de mort encéphalique. La mort encéphalique, cela concerne à peine un pour cent des décès en France. Un arrêt cardiaque, voilà qui touche déjà beaucoup plus de monde. On assiste donc à un "changement qualitatif induit par la quantité" (professeur Jean Michel Boles) en ce qui concerne l’activité des transplantations d’organes. Aujourd’hui, plus de 15.000 patients attendent un organe, essentiellement un rein. Les prélèvements "à cœur arrêté" permettent de prélever les reins et le foie, soit les organes les plus demandés.
"Pratiquée aux Etats-Unis notamment, cette technique permet d’augmenter le nombre de donneurs potentiels et donc de pouvoir greffer davantage de demandeurs d’organes. Pour autant, cette initiative ’
sème le trouble’ au sein du corps médical. Certains dénoncent la ’course contre la montre’ imposée par cette technique, le prélèvement devant être fait 120 minutes maximum après l’arrêt du cœur (contre un ou deux jours après une mort encéphalique avérée). Responsable du groupe de travail à l’espace éthique AP-HP,
Marc Guerrier souligne la difficulté de parler de don d’organes à une famille quelques minutes seulement après le constat du décès et celle rencontrée par le personnel qui, d’un côté, fait tout pour réanimer le patient et, de l’autre, constitue un dossier pour un éventuel prélèvement." (
Source)
Les prélèvements "à cœur arrêté", c’est un protocole de don d’organes "post mortem". Ce protocole a été mis en place en catimini en France, sans informer les usagers de la santé, sans recueillir un large consensus au sein du corps médical. Les lois bioéthiques d’août 2004, actuellement en vigueur, réglementent l’activité des transplantations d’organes et de tissus en France. Ces lois font l’objet d’une mise à jour, la nouvelle version est prévue pour mai 2010. Les prélèvements "à cœur arrêté" sont inscrits dans la loi en France ; ils le seront dans la nouvelle version de la loi. Les questions que soulèvent les prélèvements "à cœur arrêté", qui ont repris en France en 2006 afin de pouvoir prélever reins et foie (les deux organes les plus demandés) chez un patient en "arrêt cardio-respiratoire persistant" en toute légalité, ne sont pas publiques. Les usagers de la santé ignorent tout de ce protocole et de ses réalités.
Le consentement présumé au don de ses organes à sa mort suppose un consentement éclairé au préalable. Sans information, pas de consentement éclairé. Les propos sur la générosité, véhiculés à l’envi par le discours public, sont bien minces lorsqu’il s’agit de s’informer sur le don d’organes en général et sur les prélèvements "à cœur arrêté" en particulier.
Tout d’abord : qu’est ce qu’un prélèvement "à cœur arrêté" ? Lire l’article sur
Wikipedia pourra vous renseigner sur le sujet dans un premier temps.
"
Les donneurs potentiels sont des personnes en arrêt cardiaque irréversible après arrêt des mesures de réanimation. Le délai après lequel une asystolie (tracé électro cardiographique plat) est considérée comme irréversible est de l’ordre d’une minute, après arrêt des mesures de réanimation. La plupart des sociétés savantes nationales exigent plus de 5 minutes de délai. Les organes concernés sont essentiellement les reins."
L’article de Wikipedia fait état de problèmes d’éthique :
"La pratique du prélèvement d’organes à cœur arrêté pose certains problèmes d’ordre éthique, dont les principaux sont la faible certitude de l’irréversibilité de l’arrêt cardiaque, et les risques de dérive des équipes médicales confrontées à une demande forte de greffes et à un faible nombre de donneurs. Pour palier ces risques, les conditions à respecter pour recourir à cette pratique sont très importantes, du moins en France."
En quoi consiste le protocole français de prélèvement "à cœur arrêté" ? Suite à une situation d’arrêt cardiaque dit "réfractaire à la réanimation", c’est-à-dire pour lequel des tentatives de réanimation d’une durée maximale d’une demi-heure ont "échoué", survient une période d’attente de 5 mn, durant laquelle … rien n’est entrepris ! Les médecins, chronomètre en main, se croisent les bras en attendant de signer un constat légal de décès à l’issue de la période de 5 mn ! Puis une autre réanimation est entreprise, cette fois-ci dans le but de conserver des organes vitaux à des fins de transplantation. Le patient, sur lequel des mesures de réanimation invasives sont entreprises afin de conserver des organes transplantables, devient un simple réservoir d’organes, il perd son statut de patient.
Vous avez bien lu : les médecins réanimateurs se croisent les bras durant 5 mn, puis l’on reprend la "réanimation" (pour les organes, pas pour le patient). En pratique le cœur est peut-être arrêté mais la circulation est efficace. En effet, on peut suppléer à une défaillance circulatoire (arrêt cardiaque). La suppléance circulatoire mise en œuvre dans ce protocole concernant la "réanimation" à des fins de conservation des organes est comparable à celle que l’on effectue pour des opérations "à cœur ouvert". Il s’agit de mettre en œuvre la circulation extracorporelle, dans un cas comme dans l’autre. Le principe de cette technique est le suivant : le chirurgien arrête le cœur et la circulation se poursuit avec des machines de circulation extracorporelle. Pour une opération "à cœur ouvert", les patients sont considérés comme vivants, alors que dans le cas de notre potentiel donneur, ce même procédé de circulation extracorporelle est utilisé, mais le donneur est considéré comme "mort", son constat de décès ayant été signé au bout de la fameuse période d’inaction de 5 mn.
Dans le protocole de prélèvement "à cœur arrêté" français, il s’agit d’attendre 5 mn entre deux réanimations : la première vise à sauver le patient qui a fait un arrêt cardiaque et dure une petite demi-heure maximum (car au-delà de ce temps la qualité des organes risque de se dégrader). Après quoi il s’agit pour l’équipe médicale de se croiser les bras durant cinq minutes. Puis le constat légal de décès est signé, et une nouvelle réanimation est entreprise, cette fois-ci afin de préserver des organes qui vont être prélevés le plus vite possible. Voilà qui permettrait de ne pas confondre décision de fin de vie (arrêt des traitements) et intention de prélèvement d’organes ? Le législateur qui a prévu le "consentement présumé", inscrit dans la loi, a fait une lourde erreur : je ne consens pas du tout à ce que le corps médical me traite de la sorte. Ces cinq minutes d’attente me paraissent intolérables, que dis-je, elles me remplissent d’indignation et de colère. Ce n’est pas ainsi que j’envisage le don d’organes, encore moins la médecine. L’exception culturelle française, ce serait ce médecin qui se croise les bras pendant cinq minutes entre deux réanimations, l’une dans l’intérêt du patient, l’autre, après avoir signé son constat de décès, en vue de conserver ses organes ?!
Dans un tel contexte, j’ai envie de raconter cette plaisanterie douteuse à mon ami londonien Peter James, auteur de "thrillers" sur le thème du trafic d’organes : "Qu’évoque pour vous le don d’organes ?" Ma réponse : "Le joyeux ‘Ding !’ émis par mon four à micro-ondes au bout de cinq minutes. Mon plat pré-cuisiné est prêt, à table !" En retour, Peter James m’a parlé de son dernier livre sur le trafic d’organes "Dead tomorrow" (traduction à paraître en juin 2010). "Le plus amusant, me racontait-il l’autre jour, c’est que mon livre va être traduit en Chinois et dans les langues et dialectes parlés en Inde – justement les pays où le trafic d’organes fait rage."
Voici à présent une anecdote ancrée dans les réalités des transplantations, racontée par un médecin (hôpital de la région parisienne, propos recueillis le 24/04/2010). Précisions que l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière a reçu l’autorisation, délivrée par l’Agence de la biomédecine, de pratiquer les prélèvements "à cœur arrêté", alors que l’autre hôpital dont il est question au début de cette anecdote n’a pas l’autorisation d’effectuer ces prélèvements.
"Devant mon hôpital, alors que je faisais autre chose, un homme jeune a fait un arrêt cardiaque... Appel des secours institutionnels (il était sur la voie publique), réanimation, transport dans mon service, poursuite de la réanimation, arrivée des pompiers médicalisés. Pas de reprise d’activité cardiaque, inclusion dans le protocole prélèvement à ‘cœur arrêté’. Que dit le médecin transporteur à la femme du patient ? ‘Madame, pour mieux réanimer votre mari, il faut qu’on le transporte à la Pitié-Salpêtrière, êtes-vous d’accord ?’ ‘ – Oui’, dit la dame... et hop, le tour est joué ! On m’a raconté cela alors que cet homme était déjà dans le camion (l’idée étant qu’à la Pitié-Salpêtrière, malgré la super réanimation, on n’avait quand même rien pu faire, madame est-ce qu’un prélèvement blabla, sauver des vies blabla). (…) Arrive un vieux réanimateur de l’hôpital, il convoque le médecin transporteur et lui dit qu’il s’oppose à un transport fondé sur le mensonge. Il l’enjoint d’aller revoir la dame et lui dire clairement ce dont il s’agit (et rechercher son consentement ou celui du mari). La dame refuse. Le mari est débarqué, la réanimation s’arrête dans le service ou il meurt tranquillement."
Les pays anglo-saxons (Canada inclus) commencent à reconnaître que cette pratique des prélèvements "à cœur arrêté" était une erreur. Voir l’article scientifique publié par Elsevier le 02/04/2010 (
lien). Mais leur aveu, tel le nuage de Tchernobyl, est censé faire gentiment demi-tour à la frontière Française. Non pour cause de grève d’Air France ou de cendre de volcan, mais pour cause d’exception culturelle. Mon vieux médecin généraliste avait raison : "l’histoire ne se répète pas, elle bégaye". Madame la ministre de la Santé, Messieurs les chirurgiens transplanteurs, Messieurs les législateurs, je ne saurais que trop vous conseiller de veiller à ce que la générosité de l’usager de la santé ne se mette pas soudainement, allez donc savoir pourquoi, à bégayer. Les lois bioéthiques vont bientôt être rendues publiques dans leur nouvelle version, à horizon mai 2010. La pratique du prélèvement "à cœur arrêté" sera inscrite dans cette loi, afin de lutter contre la pénurie d’organes à greffer.
"La Transplantation d’organes. Un
commerce nouveau entre les êtres humains" est un ouvrage paru aux éditions Gallimard - nrf en mars 2010. Son auteur, le sociologue Philippe Steiner, y écrit : "Pour transplanter, il faut le plus souvent décider de la mort de la personne prélevée tant que ses organes conservent leur capacité de régénérer la vie." Cette citation a été reprise dans un article du
Point du 23/04/2010 ("A votre santé",
Anne Jeanblanc). Les faits sont têtus, ils finissent toujours par se faire entendre.