Pur ou impur, qui est mon semblable ?
Telle est la question et, assurément, elle est d’actualité !

D’emblée les pieds dans le plat cette question sous-entend qu’on se fout pas mal de savoir si son semblable est pur ou impur, elle est juste de comprendre qui est-il ?
C’est un contre-pied très chrétien [1] à la pensée juive qui n’a de cesse de distinguer entre le pur et l’impur et qui, depuis deux mille ans, juge sacrilège le renversement de l’ordre moral consistant à baser celui-ci non sur la Loi mais sur le cœur. Jésus (Mat.15) affirmait en effet :
« 11 ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur, mais ce qui sort de la bouche... [car] 18 ...ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est ce qui rend l’homme impur. »
Dans ces passages de l’Evangile de Matthieu, Jésus dénonce les hypocrisies dont les Pharisiens se rendent coupables et de là, précisément, nous est venu la formule proverbiale « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ». La distinction du pur et de l’impur est à appréhender dans ce contexte. On peut donc la comprendre comme relevant de « commandements d’hommes » passant à tort pour une loi divine.
Celle-ci, loin de séparer les hommes en purs et impurs, les rassemble. C’est justement ce que démontre la parabole du bon Samaritain avec laquelle Jésus répond au docteur de la loi qui cherchait à le « coincer » [2] avec sa question « Qui est mon prochain ? ». Elle évoque des Juifs religieux qui passent leur chemin et ne se préoccupent pas de leur coreligionnaire ensanglanté que des brigands ont laissé pour mort. C’est « seulement » un Samaritain qui vient à son secours. Or, les Juifs considèrent les Samaritains comme impurs. Le petit malin est alors bien forcé de reconnaître que c’est le Samaritain qui, aussi « impur » qu’il soit, est le véritable prochain du Juif mourant. Cette parabole démontre la vanité humaine, trop humaine, de l’opposition du pur et de l’impur. Saint Paul en exprimera la quintessence dans sa Lettre aux Romains (14:14) :
« Je suis persuadé par le Seigneur Jésus que rien n'est impur en soi, et qu'une chose n'est impure que pour celui qui la croit impure ».
On notera qu’il y avait là, déjà, un relativisme cultu(r)el incroyablement moderne et férocement efficace. En effet, il a pu, en son temps, balayer l’écrasante Loi qui — définissant jusqu’à l’obsession ce qui est pur (casher) et ce qui est impur — a soigneusement tenu les Juifs à l’écart des autres peuples.
De l’eau a coulé depuis sous les ponts. Les chrétiens ont amené la Bible aux quatre coins du monde et ses principes ont forgé la mentalité des nations européennes. A n’en pas douter, c’est avec « tu aimeras ton prochain comme toi-même » que la loi juive — la mosaïque, celle dont est issue la chrétienté et non la talmudique qui est, par principe, antichrétienne — y a fait sa plus belle contribution. Et cela va sans dire, la discrimination du pur et de l’impur ne participe pas de cet esprit chrétien dont l’Europe est héritière. Elle a longtemps existé en tant que survivance du vieux fond sacré indo-européen dans la conception hiérarchique des lignages, la noblesse ayant le sang pur et le bon peuple le sang impur mais on doit savoir gré à la Révolution d’y avoir mis un terme. De sorte que c’est seulement via la tradition religieuse juive qu’elle nous est resservie. Et même si on peut concevoir que Vladimir Jankélévitch ait eu mille raisons de s’y intéresser, il est difficilement compréhensible qu’elle nous soit présentée sous couvert de l’évidence, comme s’il y avait là quelque chose qui ne se discute pas.
L’absence des raisons très chrétiennes et, au demeurant, philosophiques, qui auraient pu être portées à la connaissance des auditeurs de France Inter — en apportant la contradiction — ne laisse pas d’étonner. La petite musique conceptuelle apportée par Jankélévitch serait-elle déjà jugée tellement sacrée qu’elle doive être tenue à l’écart de la cacophonie du débat démocratique ? Je veux bien admettre avec Vincent Peillon que la République, que nous avions cru française, a des soubassements non pas tant gréco-romains qu’hébraïques [3] et que la laïcité, avant que d’être érigée en principe, avait été envisagée comme une religion destinée à remplacer le Christianisme. Mais quand bien même nous aurions encore mille illusions du même tonneau à perdre, les choses en sont-elles vraiment au point où la pensée juive doive nous être administrée comme un sacrement plutôt que par le filtre démocratique ? Comment Cynthia Fleury qui intervient ès qualités, peut-elle renoncer au débat philosophique et nous seriner cette petite musique judaïsante sur des airs du folklore Klezmer avec lequel, Jankélévitch, en bon français, en juif parfaitement assimilé, n’a assurément rien à voir — hormis peut-être du point de vue d’un racisme sioniste que les Evangiles ont rendu caduc voici deux mille ans avec la fameuse proclamation de Saint Paul : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. » (Ga, 3:28).
En raison de ses racines chrétiennes, l’Europe n’est pas fondamentalement raciste, contrairement à Israël dont il est heureux que l’apartheid institué depuis sa création soit enfin mis en question par nos politiciens. Dès lors, en Europe, mon semblable est celui que je vois tel simplement parce que lui aussi me voit tel et réciproquement. Cela est possible seulement lorsque nous partageons les mêmes valeurs, notamment de fraternité.
C’est pourquoi, aux antipodes du conflit des civilisations qu’on nous concocte en haut lieu par tous les moyens, notamment l’immigration sauvage, on ne peut pas ne pas remarquer que chrétiens et musulmans sont frères en Christ. Je veux donc croire qu’un avenir commun est possible, dans une unité verticale aussi étrangère que possible à l’horizontale conflictuelle que les nationaux-sionistes nous promettent.
[1] Qui fait suite à un premier article « préparatoire » pointant avant tout des contradictions chez Vladimir Jankélévitch en compagnie duquel Cynthia Fleury et France Inter nous font passer un été philosophique ou, peut-être, catéchétique — c’est toute la question !
[2] Il avait compris que Jésus s’adressait à tous les hommes et pas seulement aux Juifs. Or, pour les Pharisiens, c’était une hérésie car, justement, le distinguo entre peuples purs et impurs était perdu.
[3] Voir aussi le livre d’Eric Nelson « La république des hébreux » à paraître en septembre chez l’éditeur Le bord de l’eau dans la collection dirigée par Vincent Peillon.
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