Quand la Démocratie Menace... la Démocratie
Le référendum ne tient vraiment pas sa place au sein d’une démocratie représentative. Les résultats souvent aléatoires d’un référendum, ajoutés à l’aspect populiste des campagnes référendaires, peuvent nuire à la démocratie même qui lui permet d’exister.
En accordant le droit de voter l’application de l'article 50 du traité de Lisbonne au parlement britannique, ce qui déclencherait le processus du « Brexit », la décision de la Haute Cour a été la bienvenue. Le fait que la première ministre, Theresa May, ne changera pas sa détermination de déclencher le processus de retrait en Mars 2017, et que d'autres parlementaires voteront de toutes façons pour « Brexit », m’a fait douter de l'utilité de cette décision. Il me semble que le système démocratique du Royaume Uni a été déformé dans son ensemble, pour convenir au résultat du référendum du 23 juin.
J’ai toujours eu l’impression, peut-être naïvement, que dans une démocratie parlementaire ce sont les hommes et femmes politiques qui proposent des programmes à l'électorat, et non pas l’inverse. Dans la situation actuelle, il semble que c’est l'électorat qui a décidé que le gouvernement devrait mener le Royaume-Uni hors de l'Union Européenne, et le gouvernement leur a répondu « d’accord nous le ferons, mais nous ne savons pas exactement comment. Et, en outre, nous n'emploierons pas le parlement pour en discuter. » Ce dernier point a été, jusqu'à nouvel ordre de la Cour Suprême, réfuté par la justice. Il n’empêche que le gouvernement britannique se sent mandaté par le peuple, alors que le référendum du 23 juin était uniquement consultatif, et ne comportait aucune obligation de la part du gouvernement.
En demandant la Haute Cour de décider si l'article 50 pouvait être appliqué sans consentement du parlement, Gina Miller a seulement fait ce que d'autres auraient dû faire. Elle a défendu les vraies valeurs d'une démocratie parlementaire dans laquelle le peuple vote pour des parlementaires qui les représentent au parlement national, où les programmes politiques sont discutées et exécutées. Ce processus démocratique ne devrait être manipulé dans aucune circonstance. Qu'un référendum consultatif ait pris place pour une décision aussi importante que l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union Européenne ne change pas le fait que le Royaume-Uni est une démocratie parlementaire.
On peut se poser la question sur l’utilité et la place d’un référendum au sein d’une démocratie représentative. En 1945, Winston Churchill a proposé un référendum concernant la continuation du « cabinet de guerre » jusqu'à l’arrêt des hostilités au Japon. Clement Attlee, qui gouvernait en coalition avec Churchill, a refusé de tenir ce référendum.
« Je ne pourrai pas consentir à l'introduction dans notre vie nationale, d’un dispositif étranger à toutes nos traditions comme un référendum, qui a trop souvent été uniquement utilisé comme instrument du nazisme et du fascisme. » Clement Attlee, 1945
Etant donné le fait que, ces derniers temps, des démagogues charismatiques sont de plus en plus écoutés, il devient difficile de contredire Clement Attlee sur les dangers liés aux votes populaires directs. Nigel Farage, le militant exubérant qui a fait campagne pour le « Brexit », a décrit le 23 juin comme « jour d'indépendance ». Est-ce une indépendance vis-à-vis de l’Union Européenne ou de Westminster ? La première est fortement regrettable, la seconde hautement dangereuse. Il appartient maintenant au parlement de décider si le référendum devrait « dicter » l’avenir constitutionnel du Royaume-Uni. Quelque soit le résultat, il est clair que la démocratie parlementaire a pris un « coup sur le menton ». Un coup livré par un outil démocratique le plus pur qui soit, et qui s'est avéré être un vote populiste dangereux. Il appartient au parlement de se relever, de lécher ses plaies, et de riposter pour la vraie démocratie.
Je suis persuadé que la tempête qui secoue depuis le 23 juin le Royaume-Uni ne se contentera pas de rester au- dessus des îles de sa Gracieuse Majesté. Le vent de l’isolationnisme, de la xénophobie et de l’intolérance commence à souffler dans d’autres pays Européens. Des pays comme la France, l’Allemagne et les Pays-Bas vont, eux-aussi, entrer dans des périodes électorales. Certains partis politiques prônent déjà la nécessité d’un référendum « à l’Anglaise ». Il faut espérer que le vent ne sera qu’une brise et non pas un fort mistral.
Mais le plus inquiétant risque de venir de beaucoup plus loin que les Iles Britanniques. Il serait préférable pour le Royaume-Uni et l’Union Européenne d’oublier le « Brexit » afin de se concentrer sur le vrai problème qui nous concerne tous : la tornade qui se prépare outre-Atlantique et qui promet de tout détruire sur son passage.
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