Qui a peur de la démocratie participative ?
Dans cet article, vous trouverez, entre autres choses, une liste des défauts de la démocratie participative (DP) : défauts supposés, préjugés, procès d’intentions de tous poils mais aussi inconvénients bien réels, auxquels on peut, parfois, apporter des correctifs, parfois pas. Cet inventaire n’est sans doute pas le meilleur moyen de « vendre » la démocratie participative à nos concitoyens. Il paraît a priori plus simple et logique de dresser la liste de ses qualités qui vont lui permettre de sauver notre vieux système de représentation sclérosé. Sauf que les défauts de la DP ressemblent à ceux de la démocratie et que comme disait Churchill et comme chacun sait désormais, la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. Ne peut-on dire la même chose de la DP ? Faire la liste de ses défauts, c’est aussi apprendre à faire avec ou chercher des solutions pour faire sans. Apprendre à ne garder de la démocratie participative que ce qui peut améliorer la démocratie tout court.
La démocratie participative ? Non merci, tout va très bien comme ça
Ici pourrait se glisser le passage obligé sur la crise de notre système actuel de représentation. Il faudrait évoquer les notions d’abstention, de désaffection, de sous-représentation, de confiscation, d’image négative, de technostructure... cette démonstration n’est sans doute pas nécessaire car chacun sent bien qu’il existe un problème. La dernière élection présidentielle a marqué cependant une sorte de renouveau démocratique. La participation a été forte, y compris chez les jeunes, les débats nourris et passionnés... Sauf que les trois principaux candidats, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou, ont chacun fait campagne sur la rupture, le changement de système, d’époque, de logiciel... L’élection suivante, celle des législatives, a montré que le phénomène de baisse continue de la participation était bien une tendance lourde et que la présidentielle était l’exception.
Et au niveau local ?
On sait que les maires sont jugés de façon positive par les Français. Quand ils disent du mal des hommes politiques, ils sous-entendent « sauf monsieur le maire bien sûr ». Donc tout va bien ? Pas si sûr. D’abord, à l’exception des grandes villes, il existe une vraie difficulté à recruter du personnel politique local. C’est une activité qui demande du temps et de l’énergie et qui apporte en retour assez peu de rétributions, symboliques ou matérielles.
Un autre problème peut être pointé : celui de la difficulté à faire vivre un débat municipal. Qui s’intéresse aux conseils municipaux ? Quelle part de la population est réellement informée, impliquée dans ses discussions ? Sans parler des échelons du Conseil général ou de l’intercommunalité qui ne rencontrent qu’indifférence et incompréhension de la part de la population.
Il faut dire aussi que les sujets apparemment les plus simples, comme la propreté ou le ramassage des déchets, font en réalité appel à toutes sortes de connaissances administratives, techniques, juridiques, économiques : ils nécessitent de savoir quelle collectivité est compétente sur quelle question, comment fonctionne une délégation de service public ou un appel d’offre, quels sont les acteurs économiques du secteur : le résultat est que, tout comme au niveau national, la technostructure gagne sans cesse du terrain.
Injecter du sang neuf
Pour régénérer un système dont on voit les signes d’usure, pour inverser la tendance au désintérêt et au désengagement des citoyens envers la politique traditionnelle, il faut que de nouvelles couches de la population soient sollicitées, avec des moyens nouveaux et différents. Cela peut être une des justifications de la DP : la politique à l’ancienne a besoin de la DP.
L’autre bonne raison pour aller dans cette direction est la demande. Les citoyens réticents à l’engagement politique traditionnel sont néanmoins demandeurs de formes nouvelles. Le succès des conseils de quartier, mis en place dans les grandes villes lors du dernier mandat municipal en témoigne. Pour la politique nationale, le cas des forums participatifs de la campagne de Ségolène Royal a joué un rôle de révélateur. L’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir a mis la DP au second plan, mais d’une façon provisoire à mon avis. L’approche des municipales va réactiver cette question. Ses partisans et ses adversaires vont se déclarer et commencer à s’empoigner.
Élus versus démocratie participative
Il existe une vision de la DP, qui ne manque pas de logique et qui pourrait se résumer par cette évidence : si les élus représentent les citoyens, qui représentent les citoyens auxquels la DP donne la parole. Bien sûr la réponse s’impose : ils ne représentent qu’eux-mêmes.
L’arrivée de la DP dans notre système politique revient à remettre en cause de facto la légitimité des élus pour lui opposer celle de « simples citoyens » dont la légitimité est en fait beaucoup plus problématique.
Les élus sont contestés au nom de leur faible représentativité. Ce sont des hommes, plutôt âgés, issus de la fonction publique ou de profession libérale et n’appartenant pas aux « minorités visibles » de la société. La DP donne pour sa part la parole à ceux qui sont volontaires pour assister à des réunions le soir et se trouvent être le plus souvent des hommes, plutôt âgés et retraités et n’appartenant pas non plus aux « minorités visibles » de la société.
Transférer une parcelle de pouvoir des politiques vers cette population semble de nature à faire régresser la démocratie plutôt que la faire progresser. Et que dire des associations représentant toutes sortes de populations, les piétons, les automobilistes, les buveurs d’eau, etc. Les avons-nous désignés ? D’où tiennent-ils leurs mandats ? Les tenants de la DP répondent alors : ils le tiennent des membres de leur association qui les ont désignés. Tout comme les hommes - les femmes - politiques sont désignés par les partis et leurs militants.
Militants versus démocratie participative
Si le militantisme, le système des partis, étaient bien fait, il n’y aurait pas besoin de la participation citoyenne - si la démocratie participative était bien faite, il n’y aurait pas besoin de partis politiques.
C’est un peu une provocation, un peu une boutade, mais pas seulement. Les partis politiques sont censés représenter la société et désigner en leur sein les candidats aux élections. Il est quasi impossible d’être élu sans être passé par eux. Toute la validité démocratique du système électif repose sur deux présupposés :
- les partis représentent la société dans sa diversité ;
- ils ont eux-mêmes un fonctionnement démocratique.
Bien évidemment ces deux affirmations sont discutables. Si le PS devenait réellement un parti de masse, si sa sociologie correspondait à son électorat, s’il renouvelait ses modes de débats collectifs, si tous les partis politiques connaissaient aussi de telles évolutions... Alors la DP serait inutile.
Si la DP n’avait les inconvénients que j’ai cités précédemment (et ce n’est pas fini), alors les partis seraient inutiles.
En attendant ce grand soir de la démocratie, mieux vaut tâcher de fonctionner avec les partis ET la démocratie participative.
Qui décide quoi ?
Tant que la DP se réduira à des réunions de quartiers, tant que ne participeront que « ceux qui ont le temps » ou « qui habitent à côté », sans autre forme de légitimité, il me semble déraisonnable de lui donner un rôle autre que consultatif ou marginal. Les citoyens concernés par un projet peuvent trouver de l’information, se faire une opinion et la faire connaître. Ce n’est déjà pas si mal. Cette opinion peut (et doit) intéresser l’élu, mais ne doit pas s’imposer à lui. Il doit pouvoir prendre sa décision, ses responsabilités en fonction de ses convictions et de ce qu’il pense être l’état de l’opinion.
L’inconvénient de cette conception est que la DP peut se transformer en outil de communication, et même diront certains, en outil de manipulation. C’est un risque à garder présent à l’esprit.
L’épouvantail du jury populaire
Pour faire correspondre une assemblée de citoyens à la population, une méthode existe depuis fort longtemps (les fameux Grecs) : le tirage au sort. L’idée a même été agitée par Ségolène Royal pendant la campagne (je l’avais commenté dans ce billet). Les arguments invoqués précédemment sur le défaut de représentativité ou de légitimité tombent.
En revanche, bien que représentatif et légitime, le jury populaire tiré au sort se voit soupçonné 1/de faire doublon avec les élu ; 2/d’être incompétent. Une réponse sur le premier point avait été donnée par Ségolène Royal : charger ces jurys de l’évaluation des politiques publiques. Celle-ci n’existe pas vraiment dans notre pays et la confier à des citoyens ne prive personne de son job. Mais seront-ils qualifiés pour le poste ? Le deuxième argument, celui de l’incompétence, paraît plus difficile à écarter. Sauf à rendre les gens compétents avant de leur demander leur avis. N’est-ce pas le rôle d’une démocratie que de former ses citoyens ?
La république des sondages ?
De simples citoyens ont la parole tous les jours sur toutes sortes de matières via les sondages. Ils expriment une opinion spontanée sur un sujet auquel ils n’ont pas réfléchi et ces sondages là, guident ensuite l’action publique. Gouverner avec les sondages, c’est par définition gouverner avec un point de vue non éclairé. Pour que la DP évite ce travers, les citoyens doivent délibérer et non répondre par oui ou par non à un enquêteur. Cela implique au préalable d’avoir été formé et informé, de préférence par des experts impartiaux, désignés par les jurés eux-mêmes ou par une autorité indépendante. Tout cela paraît bien compliqué, mais est déjà en œuvre en Allemagne par exemple.
Et au niveau local ?
Quand un équipement concernant un vaste territoire (une ligne de chemin de fer, un contournement routier, un stade, etc.) est soumis à la concertation, les participants sont pour la plupart des riverains du projet, c’est-à-dire ceux qui vont en connaître les désagréments et qui sont les seuls à s’exprimer. Les autres, bénéficiaires de l’équipement, ne se dérangent pas pour dire ce qu’ils en pensent.
Un jury tiré au sort ne présenterait pas les mêmes inconvénients. Ce jury pourrait-il avoir le dernier mot ? Personne n’y est prêt pour le moment mais cela peut constituer un jour une alternative au référendum.
Vers une campagne participative ?
Le dirigeant qui n’écoute que ses convictions est un doctrinaire, celui qui n’écoute que les enquêtes d’opinion est un démagogue, les autres sont des hommes ou des femmes politiques.
Par excellence, une campagne électorale doit être un moment de rencontre entre le pays et ses dirigeants et donc comporter des moments d’écoute. Cette écoute doit enrichir les propositions soumises aux électeurs.
Une campagne électorale aujourd’hui ne peut donc s’abstraire d’un dispositif participatif. Les outils technologiques sur le web (voir l’exemple du site de Bertrand Delanoë) peuvent se révéler précieux tout comme les forums et cafés politiques. Les conversations sur le marché, au comptoir du commerce ou dans les cages d’escalier ont également leur place.
Pour une démocratie vivante, faisons flèche de tout bois.
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