Qui paiera plus pour que je gagne plus ?
L’actualité politique est cette semaine tournée vers la mise en place des mesures en faveur du pouvoir d’achat ! « Travailler plus pour gagner plus », selon la formule-fétiche de Nicolas Sarkozy. Slogan simple, efficace, et difficilement contestable. Quelles embûches se cachent derrière cette simplicité apparente ?
Rencontre
avec les fonctionnaires lundi, examen du projet de loi sur le pouvoir
d’achat mardi, et conférence sociale avec syndicats et
patronat mercredi.
Le
moins que l’on puisse dire est que le sujet dominant de cette semaine
aura été le pouvoir d’achat.
A l’heure de la mise en
place des propositions présidentielles, c’est l’occasion de
tenter un examen des directions choisies par le chef de l’Etat (et
son gouvernement téléguidé depuis l’Elysée...)
pour régler ce problème.
Car problème il y a
: on peut reconnaître à Nicolas Sarkozy le mérite
de n’avoir pas cherché à nier son existence, ni à
le faire passer pour une impression due à un pessimisme sans
fondement.
« Travailler plus pour gagner plus »
Chacun
connaît le postulat de base de la théorie sarkozyenne
sur ce point, l’un des slogans qui ont bâti le personnage lors
de la campagne présidentielle.
Un
slogan efficace comme un coup de revolver, incontestable comme une
vérité de La Palice, tant il paraît difficile de
s’y opposer, sauf à prétendre que ceux qui travaillent
plus devraient gagner moins....
Pourtant dans l’interprétation
de Nicolas Sarkozy, ce n’est pas cette évidence de La Palice
: ce n’est pas « Ceux qui travaillent plus doivent gagner
plus », mais bien « Si vous voulez gagner plus,
votre seule solution sera de travailler plus ».
Dans
cette interprétation, il est permis de soulever quelques
réserves.
Diverses
pistes peuvent être en effet invoquées pour justifier
que le travail des Français est suffisant, et devrait en toute
justice déboucher sur un pouvoir d’achat accru. Parmi
celles-ci :
-
le temps de travail comparé, tout d’abord, puisqu’il semble que comparaison soit devenu raison : les Français n’ont pas à rougir sur ce point, comme l’illustre cette carte interactive, et restent dans la moyenne, se situant au niveau de l’Allemagne ou de la Suède, et travaillant plus que les Irlandais et les Danois ;
-
les bénéfices des grandes entreprises et leur évolution sont également intéressants à relever : 12 milliards de bénéfice net pour Total en 2005 (contre 9 en 2004 et 7 en 2003), ou encore pour Danone, 1,464 milliard d’euros contre 464 millions en 2004.
Ces exemples (parmi bien d’autres...) de bénéfices croissant de plus en plus vite traduisent une chose toute simple : notre travail produit de la richesse, et il en produit de plus en plus.
L’insinuation
selon laquelle les Français ne travailleraient pas assez pour
avoir le droit de réclamer plus de pouvoir d’achat résiste donc fort peu
à une analyse sommaire.
On est bien plutôt confronté
à un problème de redistribution, auquel s’ajoute des
hausses de prix pas toujours justifiées.
Mais
passons (pour cette fois...) sur les aspects très critiquables
de l’analyse de Nicolas Sarkozy, et prenons-en acte. Soit.
Les
principes dégagés sont clairs. La politique mise en
oeuvre reposera sur ces principes. Pour contestables qu’ils soient,
il ne reste plus maintenant qu’à se poser la question de leur
efficacité.
Chacun connaît les deux modalités
d’applications principales annoncées par Nicolas Sarkozy :
défiscalisation des heures supplémentaires, et
possibilité de proposer à son employeur le rachat des
jours de RTT (je ne parle pas ici de l’extension du travail le
dimanche, qui ne concerne pas tout le monde, et qui mérite
sans doute un article à lui tout seul).
Ces deux mesures
suffiront-elles à nous permettre de « travailler
plus pour gagner plus » ?
Rien n’est moins sûr. Quelques exemples significatifs...
Travailler plus : l’employeur est-il prêt à payer plus ?
F.
est informaticien, dans une SSII (société de service en
ingénierie informatique). Ces entreprises réalisent des
travaux informatiques (conception de logiciels par exemple) pour
d’autres sociétés. Les très grosses entreprises
(banques, industries lourdes, de type Airbus...) font souvent appel à
des SSII pour répondre à leurs besoins
informatiques.
F.
vient de terminer une semaine de soixante heures de travail, parce
que le travail demandé devait être livré à
temps, dans des délais trop courts vu la difficulté
réelle du projet.
La culture des SSII (comme d’ailleurs de
l’ensemble du secteur privé), c’est d’abord de ne pas compter
ses heures, pour que le travail soit réalisé dans les
délais prévus.
Ces heures que le bon employé
est censé ne pas compter, ne sont pas comptabilisées,
et ne sont pas officiellement reconnues comme heures supplémentaires.
Au nom de « la culture du privé », les
heures supplémentaires non payées font partie d’un
accord tacite : ne pas compter ses heures et accepter une pression
accrue, en échange d’un salaire plus élevé que
dans le secteur public.
Lorsque
F. se présentera devant sa direction pour demander à
pouvoir faire des heures supplémentaires, à
« travailler plus pour gagner plus », on ne lui
en accordera pas, car pourquoi l’employeur voudrait-il payer plus
pour ce qu’il a déjà ?
G.
travaille dans le service comptable dans un établissement
public, et son salaire est payé par cet établissement.
Il doit chaque année déclarer les horaires qu’il
souhaite appliquer, de façon à totaliser un total de
37,5 heures par semaine. Pas une heure de plus, pas une de moins. La
durée légale du travail étant de 35 heures, il
bénéficie de jours de RTT pour compenser.
Lorsque
G. a demandé à pouvoir renoncer à quelques jours
de RTT et être payé plus en contrepartie, un refus lui a
été opposé, car l’établissement a un
budget serré, et n’a pas les moyens de lui racheter ses RTT.
A. cumule en quelque sorte plusieurs handicaps : il est contractuel dans la fonction publique, son contrat est renouvelé chaque année. Pour éviter de tomber dans la situation de renouvellement abusif de CDD, l’établissement public l’emploie à temps partiel. Travaillant à temps partiel, il n’a accès ni aux heures supplémentaires ni aux RTT. Il ne lui reste donc rien à faire racheter par son employeur.
Là où le bât blesse...
Ces exemples, loin d’être marginaux, mettent en évidence un défaut fondamental des mesures annoncées par le président : leur champ d’application est extrêmement réduit, car il ne tient pas compte d’une contrainte pourtant incontournable : vous ne pourrez gagner plus en travaillant plus que si l’employeur peut/veut bien vous payer plus en échange de votre travail en plus.
Fondements idéologique contestables et champs d’application d’ores et déjà extrêmement réduits, tout cela en raison d’une analyse grossièrement déficiente d’un dirigeant probablement nettement moins compétent qu’il n’en a l’air...
Même si je souhaite tout le succès possible aux mesures de N. Sarkozy pour favoriser le pouvoir d’achat, il ne m’est guère possible de me montrer optimiste...
Des pistes existent pourtant, et d’abord la plus évidente d’entre elles : pourquoi , dans un débat sur le pouvoir d’achat, la question de la hausse des salaires n’est-elle-jamais évoquée ? Pourquoi ne pas faire un « Grenelle des salaires » qui réunirait tous les partenaires concernés, et voir ce qu’il en sort ?
Que
peut signifier cet « oubli » ? A chacun
d’apporter sa réponse...
Et maintenant ?
S’il arrivait - comme c’est donc prévisible - que les mesures annoncées ne donnent aucun résultat, resteraient alors des souvenirs amers.
Le souvenir amer d’un candidat flamboyant qui avait déclaré vouloir « être le président du pouvoir d’achat » et, dans la foulée, être le premier à « dire ce qu’il fait, et fait ce qu’il dit ».
Le souvenir d’une ministre de l’Economie rejetant sèchement les Français dans les cordes en leur indiquant que si l’essence était trop chère, ils n’avaient qu’à rouler en vélo, tout comme Marie-Antoinette assénait en son temps « s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ».
Le souvenir d’un chef de l’Etat, pour l’occasion tout aussi sec envers la « France d’en bas », rappelant lors d’une intervention télévisée très attendue qu’il « n’était pas le Père Noël », peu de temps après la loi TEPA et son cadeau fiscal de 15 milliards à destination des plus favorisés.
Le souvenir du même chef de l’Etat se gratifiant d’une augmentation luxuriante de 140 % (au bas mot...) semblant confondre « président du pouvoir d’achat » et « pouvoir d’achat du président ».
Lorsque les résultats ne seront pas au rendez-vous, et que seuls les souvenirs amers de ces personnages méprisants demeureront, éviterons-nous que la déception se change en rage ?
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