Quitter une organisation après 19 ans de militantisme (2ème partie)
Suite et complément de l’épisode précédent... (2ème partie) ... un parcours syndical très atypique...

Comme je l’ai indiqué dans la 1ère partie, ma période confédérale au secteur Europe et International (confédération FO) fut une des plus passionnantes.
En 1993, Jacques PE en était le Secrétaire Confédéral. Ancien Secrétaire Général de la Fédération FO de la Défense, il avait été un des artisans de la victoire de Marc BLONDEL au congrès confédéral de FO de 1989 (M.BLONDEL était opposé à Claude PITOUS jugé alors "plus réformiste"). Dans son secteur, il y avait une équipe d’assistants politiques chevronnés comme Laure BATTUT (Europe), Anne-Marie PERRET (Amériques), Christophe PELE (Afrique), Jean-Marie CHEVAL (PECO), sans omettre les administratifs tels Chantal AMELIO (secrétariat) et Irina VAGANIAN (documentaliste et traductrice).
Ce qui me plaisait chez Jacques PE, c’est que c’était un vrai syndicaliste qui avait commencé comme ouvrier électricien dans le secteur public de la Défense. Pour atteindre ce niveau, il avait su être syndicaliste, diplomate, roublard, politique et tueur à la fois.
C’était aussi un autodidacte (comme moi) qui ne m’engagea pas sur mes diplômes puisque je n’en avais aucun ou presque (Brevet des collèges et on disait "niveau bac"). J’ai quitté l’école à l’âge de 16 ans, en seconde, pour entrer sur concours à la SNCF. Il prit le risque de m’engager dans son secteur. Je fus très enthousiaste. J’ai la faiblesse de penser qu’il ne le regretta pas puisque je n’eus aucun reproche d’importance.
La force du secteur international, c’était que tous les assistants avaient commencé leurs carrières à FO par des responsabilités militantes au niveau de leur syndicat local et à de nombreuses responsabilités ensuite (syndicat, union régionale, union départementale, syndicat national, délégué syndical, DP, etc...). Ils savaient tous porter des revendications, négocier, débattre et organiser.
C’était aussi une force que d’avoir des assistants "syndicalistes" ayant travaillé en "service actif" chez leurs employeurs (Douane, Impôts, Inspection des permis de conduire, SNCF...).
Mais ce fut à terme une faiblesse puisque Marc BLONDEL décida de purger la confédération des assistants "militants" pour les remplacer progressivement par des personnels salariés, ou parfois par des éléments politiquement plus complaisants, moins interrogatifs, moins curieux du fonctionnement général et politique de l’organisation donc plus...stables. Ne dit-on pas "qui paye commande" ?
C’était logique pour ce point de vue de « général » mais mon esprit républicain, ma culture radical-socialiste et rebelle était réfractaire à cette décision très politique.
Cela n’empêcha pas la confédération FO de connaitre sa première grève (des personnels), fait inédit dans l’histoire de la centrale. Parmi les revendications, on pouvait remarquer les attitudes managériales indignes de certains secrétaires confédéraux plus proches du comité des forges que de la camaraderie notamment par rapport aux horaires de travail de leurs assistants et secrétaires. Mais j’appris par la suite des reproches presque identiques dans d’autres structures syndicales.
Pour ma part, je ne me suis jamais plaint puisque j’étais à la fois "militant" et bien informé que ma mission consistait aussi à être disponible quasiment 24h sur 24 !
Mais je comprenais qu’il pouvait en être autrement pour des salariés classiques.
A l’époque, Christine DUPUIS était la secrétaire dynamique et sincère du syndicat des salariés de la confédération. Elle travaillait au secteur Emploi et suivait plus particulièrement les accords et les questions de formation. Reconnue par la qualité de son travail, elle décida après une longue analyse de l’évolution de l’organisation, de quitter FO pour rejoindre l’UNSA pour devenir assistante où elle a rejoint d’anciens FO. Elle est aujourd’hui secrétaire nationale en charge de l’économie, de l’emploi, égalité professionnelle et développement durable.
J’ai eu la chance de connaitre durant moins d’un trimestre les locaux "historiques" de la confédération au 198 avenue du Maine. Ces bureaux étaient situés dans une grande bâtisse bourgeoise qui avait de la gueule mais présenté l’inconvénient majeur de ne pas être très adapté pour servir de locaux administratifs. Je me suis posé dans un bureau minuscule et au charme suranné.
Cette grande bâtisse avait été récupérée par l’Etat à la Libération car il avait été occupé par le quartier général du S.T.O. (où une machine collabo du même genre) sous la dictature pétainiste. On m’a raconté qu’au déménagement, on retrouvait encore quelques documents de propagande fort explicites dans les caves.
Avec le 141 avenue du Maine, situé à quelques centaines de mètres de l’ancienne adresse, nous avons connu la modernité.
Enfin presque...
Dès le premier été, la température a monté considérablement à l’intérieur des nouveaux bureaux de ce très beau bâtiment composé en façade de panneaux de verre, en particulier sur les fenêtres donnant sur l’avenue plutôt bruyante (reliant la place d’Alésia à la gare Montparnasse). Le concepteur avait tout simplement décidé avec le client de ne pas installer de climatisation interne certainement pour des questions de coûts. C’est ainsi qu’André ROULET, trésorier confédéral, nous invita à l’achat de ventilateurs et ...à l’ouverture des fenêtres !
Pour un haut fonctionnaire du Trésor bientôt nommé conservateur des hypothèques (poste extrêmement bien rémunéré dans le corps des Impôts et véritable rente obsolète) et questeur au Conseil Economique et Social, il nous prouva (fait suffisamment rare pour être souligné) qu’il ne manquait pas d’humour.
Sauf le jour où il refusa de me rembourser une bouteille d’eau minérale avec ma chambre d’hôtel alors payée par la trésorerie confédérale en m’indiquant qu’il ne payait pas mes boissons personnelles...Connaissant quelques anecdotes sur certaines dépenses confédérales (et ensuite fédérales), l’histoire est assez comique.
Dans ce nouveau bâtiment qui était aussi la preuve de la vitalité et de la permanence de FO dans le monde syndical actuel et futur, de la moquette fut posée partout. Quelques années plus tard, on s’engagea à la déposer pour causes d’hygiène et de salissures.
La parcelle occupée par ce bâtiment était auparavant utilisé par les services de pompes funèbres municipaux. Un bail à construction emphytéotique (99 ans) a été signé avec la municipalité parisienne et la construction a été effectuée par une filiale de Bouygues, la facture étant réglée par la confédération.
Précisons que dès la décision politique prise, une souscription particulière fut constituée pour participer à l’effort de construction.
Au 3ème étage, j’occupais le bureau 366 situé en bout de couloir (sortie à droite de l’ascenseur). Etaient domiciliés avec moi mes camarades PELE et CHEVAL qui étaient peu présents car souvent en déplacement en Europe et en Afrique et travaillaient aussi en leurs domiciles provinciaux (C.PELE est corse).
Quelques années après l’accession de Marc BLONDEL au poste de secrétaire général, la confédération connu des remous assez importants. A compter de 1996, quelques structures FO emmenées par la dynamique UD de Paris avec ses responsables Jacques MAIRE (Secrétaire Général de l’UD) et Jean GROSSET (son adjoint politique) s’apprêtaient à rejoindre l’UNSA créée en 1993, faisant le constat de ce qu’ils analysaient comme une "dérive protestataire" de la confédération Force Ouvrière.
Dès 1994-95, Jacques PE entra dans une forme d’opposition à la radicalisation de la confédération et de certaines fédérations professionnelles qui connaissaient alors (et connaissent toujours) un entrisme évident de plusieurs factions du Parti des Travailleurs (aujourd’hui P.O.I.) dirigé par Pierre LAMBERT et Daniel GLUCKSTEIN.
Au sein du secteur Europe-International, les assistants et les personnels administratifs ont vite compris que les choses étaient en train de changer. Nous n’étions pas vraiment en quarantaine mais on peut dire que certains(es) secrétaires confédéraux et assistants ainsi que personnels administratifs avaient le contact moins facile (et parfois moins cordial) qu’auparavant. Il ne devenait pas facile d’être visiblement en sympathie avec les personnels du secteur Europe-International qui devaient forcément être complices et totalement fidèles au parcours politiques de leur patron.
Malgré ces petites lâchetés, je suis heureux d’avoir pu continuer à saluer et à discuter parfois longuement avec des agents administratifs, souvent les plus modestes. Ceux-là avaient bien senti cette évolution.
Autre indice significatif. Le secteur avait la chance de posséder une seconde ligne relié à notre abonnement A.F.P. (Agence France Presse) par l’intermédiaire de l’organe de presse confédéral FO Hebdo. Quelque temps après la dissidence de notre patron, la ligne s’est mise en dérangement parcellaire puis total. Ce fut impossible d’obtenir son plein rétablissement. Un des canaux d’informations les plus rapides qui soit nous était supprimé malgré l’hypocrisie du secrétariat général qui nous renvoyait au secrétaire confédéral en charge de FO hebdo bien connu pour être un outil favorisant l’entrisme politique de l’extrême gauche.
Lors des premières réflexions lancées par Jacques MAIRE, Jean GROSSET et les fédérations historiquement réformistes de FO (métallurgie, alimentation, presse, cheminots, coiffure, ...), Jacques PE sembla très réceptif et est même pressenti pour être l’un des meneurs de la bataille politique interne que certains voulurent enclencher.
Devant les menaces (et les demandes d’éclaircissement sur sa loyauté) de Marc BLONDEL, sans omettre les incertitudes sur la détermination de ses amis, Jacques PE décida de rentrer dans le rang lors de la Commission Exécutive Confédérale d’Epinal. Il exprimera ce changement par une intervention signifiant son retour dans la majorité blondéliste.
Dès lors, il sut que ces jours furent comptés à la confédération. Il s’agira pour lui de trouver le meilleur parachute en-dehors de l’organisation syndicale. Il quittera son poste en décembre 1998, sans apporter la moindre aide ni le plus petit soutien à ses assistants politiques dont certains (comme moi) seront contraints à des départs forcés courant 1998 et 1999 (fin septembre pour moi) suite au "nettoyage politique" du secteur.
J’ai longtemps songé, mi-amer mi-ironique (image totalement caricaturale j’en conviens parfaitement), à l’épisode de l’arrivée des troupes Nord-Vietnamiennes à DANANG en avril 1975 dans les locaux des services de renseignements sud-vietnamien et américains. Ceux-ci étaient partis dans une telle précipitation qu’ils en oublièrent les dossiers ! On peut imaginer la suite...
A la mi-1999, Jacques PE deviendra conseiller social à l’ambassade de France à Madrid, poste fort appréciable avec des émoluments conséquences et un confort enviable (appartement et véhicule de fonction, secrétariat). Ce fut pour lui une fin de carrière de très haut niveau pour l’ancien ouvrier électricien.
Dès janvier 1999, j’étais (avec d’autres) devenu quasiment "indigne" d’avoir été assistant confédéral confirmé (comme l’indique la convention collective de la confédération FO) parce que j’avais travaillé sous les ordres du renégat, Jacques PE.
Son remplaçant, André VALLADON (qui se voyait un avenir de secrétaire général à terme mais déchanta ensuite) m’indiqua par courrier mon départ à fin septembre 1999. Ceci parce que mon employeur de détachement (la SNCF) n’avait pas accepté de me déplacer administrativement à Bruxelles comme salarié expatrié. Là-bas m’attendait un poste de chercheur- conseiller au département des droits humains et syndicaux de la CISL (Confédération Internationale des Syndicats Libres devenue CIS). Côté CISL, j’avais tout préparé avec Janek KUZCKIEWICZ, alors adjoint du département, et obtenu le soutien du Secrétaire Général de la C.I.S.L..
Pourquoi cela n’a pas fonctionné ?
Notre très dynamique Marc BLONDEL s’était copieusement engueulé avec Louis GALLOIS, alors président de la SNCF. C’était la période de négociation de l’accord 35 heures à la SNCF et le syndicaliste avait indiqué au grand commis de l’Etat qu’il ne défendait pas les valeurs républicaines en faisant ainsi. Louis GALLOIS prit la chose comme une véritable insulte. Il n’avait pas tord vu son parcours indéniablement républicain et les choses furent ainsi pliées.
Ni Marc BLONDEL alors secrétaire général, ni André VALLADON, n’eurent le courage de me convoquer pour me dire en toute sincérité pourquoi on me signifiait mon départ. Fort en gueule mais peu courageux, cela semblait aller de pair. Par la suite, j’ai retrouvé cette attitude méprisable au sein de la fédération FO des cheminots...
Fin septembre 1999, je quittais mon bureau à la confédération sans cérémonie avec mes dossiers personnels dans deux cartons. Je fis un pot au siège de la Fédération FO des cheminots (alors rue Vergniaud dans le XIIIème) où j’eus le plaisir de recevoir parmi mes invités le représentant du Bureau de l’O.I.T. à Paris Jean-Daniel LEROY (par ailleurs IGAS). Ce dernier sera remplacé par Jean-François TROGLIC (ancien secrétaire confédéral de la CFDT pour l’international, toujours en poste aujourd’hui).
Satisfait du travail accompli depuis 1993 mais entre colère et amertume car je savais que ce serait la déconstruction rapide du travail engagé depuis presque 6 ans avec des camarades syndicalistes en Europe, en Asie et en Amérique.
En 2003, le syndicaliste cambodgien Chea VICHEA est assassiné. Le leader du Syndicat Indépendant des Ouvriers du Cambodge avait participé à la première réunion de formation syndicale (opéré par un syndicaliste) que j’avais organisée à Phnom Penh en 1995.
Déjà à cette époque, des policiers en civils surveillaient la demeure où j’ai dispensé cette initiation au droit international du travail et au code du travail local selon mes modestes connaissances.
Mes visites syndicales au Cambodge et en Chine Populaire, à Hong Kong et en Corée du sud, était la marque concrète de notre soutien et de notre solidarité syndicale. A Phnom Penh, avec un ami franco-khmer (Hong SENG HORN), j’ai ainsi participé concrètement à la résolution d’un conflit dans une usine textile possédée par des taïwanais avec des gardes armés de kalachnikov enclenchées dans notre dos. Je ne suis fier que de notre inconscience d’avoir été entre les gardes et les ouvriers(es) grévistes. Par réflexe pour éviter un drame... et dans cette situation je peux vous dire que vous n’avez pas le temps de penser en vaniteux. Sept heures de discussions permirent d’améliorer mes capacités à être à la fois exigeant, tenace et patient dans une négociation rassemblant patrons, syndicat, Hong et moi et…le chef de la police locale.
Ma colère est réelle quand je sais que ce que j’avais engagé, par mandat du secteur confédéral, s’est arrêté quasiment du jour au lendemain.
Et qu’une telle action syndicale doit s’inscrire dans le temps. Ce gâchis me marquera à jamais même si je sais qu’à mon humble niveau, je n’aurais peut-être pas pu protéger mes correspondants dans certains pays asiatiques. Mais j’aurais toujours le doute que nous n’avons pas fait ce que nous aurions dû faire.
Il y a toujours là-bas des syndicalistes emprisonnés, battus, torturés et assassinés. Et mon expérience aura renforcé mon indignation et ma combativité, réaliste mais jamais cynique.
A suivre...
Rémi AUFRERE
NB : je rend hommage cette fois-ci à tous les syndicalistes étrangers que j’ai eu l’honneur de cotoyer (et tous les autres anonymes) qui m’ont prouvé qu’en chacun(e) d’entre eux (elles), il y a une part d’héroïsme.
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