Ralentisseurs : la grande querelle
En matière de limitation de vitesse en ville, j’ai découvert avec surprise que les ralentisseurs ne faisaient pas l’unanimité. En tant que fervent partisan de cet équipement, c’était une surprise pour moi. Force est de constater d’ailleurs que la politique des communes varie beaucoup en la matière ; ce qui donne aux voyages sur le réseau secondaire un aspect assez amusant sur ce point, chaque localité ayant sa propre politique en matière d’équipements de limitation de vitesse. Quelque esprit romanesque pourrait même trouver là des caractères psychologiques ! Mais nous nous bornerons ici à exposer notre point de vue en faveur des ralentisseurs.
Tranchons d’emblée une question : la nécessité de ralentir les voitures dans la traversée des petites localités, ou dans sur certaines voies des grandes villes n’est pas à démontrer. On peut apprécier hautement la voiture comme moi et comprendre tout à fait cet enjeu. Moi-même, si il n’y avait pas les équipements nécessaires (et aussi la peur du gendarme), j’aurais bien du mal à me discipliner toujours comme il le faut. Cette nécessité posée, on peut maintenant débattre des meilleurs moyens de gérer la vitesse des usagers dans cette circonstance.
Disons directement les choses : je pense que le ralentissement des voitures doit se faire avec des équipements dédiés, et non en détournant l’usage d’autres équipements. En clair, je pense qu’il est préférable d’user d’un dos-d’âne pour ralentir, plutôt que de détourner l’usage d’un stop ou d’un rond-point comme cela se voit trop souvent. Et voici pourquoi.
Il n’y a qu’un moyen de contraindre les véhicules à ralentir, c’est de mettre -d’une manière ou d’un autre- un obstacle sur leur chemin. Cet obstacle peut être une priorité à droite ou un ralentisseur, par exemple. Ou encore un feu, un rond-point, un cédez-le-passage, une chicane, une circulation alternée (priorité à un sens), un haricot (+ trottoir souvent), voir un passage piéton, un radar ou un feu tricolore qui s’enclenche selon la vitesse. Ou encore une bonne patrouille de gendarmes en vue ! Voir même, laisser une chaussée en état de dégradation (nids de poule), pour décourager l’emploi de cette voie ou la vitesse. Tous ces moyens, à leur manière, sont un obstacle sur le chemin des véhicules.
Ralentisseur : un outil efficace et non dangereux
Mais il me semble qu’il y a des obstacles plus ou moins dangereux. En règle générale, je trouve au ralentisseur la double qualité de n’être pas dangereux pour l’usager, et d’être redoutablement efficace à toute heure du jour et de la nuit (y compris pour les loubards). En effet, le ralentisseur n’aura qu’un effet désastreux sur les amortisseurs si il est pris (un peu) trop vite. Et on voit que même les loubards et les excités du samedi soir ralentissent sur les ralentisseurs. Le dos-d’âne semble aussi têtu et teigneux que l’animal dont il tire son nom ! En outre, c’est un équipement à peu près indestructible ou indégradable par quelque mécontent. Le ralentisseur a en plus cette vertu de pouvoir être parfaitement calibré selon la vitesse que l’on souhaite imposer. Certains sont doux et se franchissent allègrement à 50 km/h ; d’autres durs, et se franchissent à moins de 30 km/h.
Le ralentisseur a encore cette d’autres vertus. Il est le seul équipement qui impose physiquement de ralentir (on l’a vu plus haut, même les excités du volant ralentissent, pour préserver leur belle bagnole). Il a cette vertu de ne pas recourir à la sanction (contravention, points) pour être efficace : il se fait donc obéir sans avoir besoin de sévir, ce qui est plutôt positif psychologiquement. En outre, si on a un moment d’absence et qu’on l’oublie, le ralentisseur ne provoque pas d’accident, mais juste un sursaut. Le ralentisseur me semble donc l’équipement à la fois le plus doux, le plus efficace et le moins conflictuel. Il n’y a qu’une manière de le négocier : en ralentissant !
Mais de nombreuses communes rechignent à l’utiliser. Certaines arguent du coût : mais un dos-d’âne de base coute quelques milliers d’euros au maximum, ce qui est plutôt moins cher que pas mal d’autres équipements que l’on peut voir. D’autres part, certains usagers les abhorrent. Mais qu’on nous dise en quoi les autres dispositifs sont mieux ou moins chers ! Et si certains sont moins chers (comme de laisser une priorité à droite), c’est souvent au prix de la sécurité.
Les ronds-points détournés de leur usage.
Prenons quelques exemples. Le rond-point. Certaines localités disposent des petits ronds-points à l’entrée ou dans la traversée du village. Question coût, c’est certainement plus cher qu’un dos-d’âne. Pour les amortisseurs, c’est certainement pas mieux, car il faut souvent virer sec sur ces ronds-points trop étroits. Pour les camions ou les autocars, c’est parfois des complications pour passer. En outre, quand le cousin alcoolisé rentre tard, il lui arrive « d’oublier » le rond-point, et de rentrer de plein fouet dans le décor ! Ce qui peut causer des accidents graves, alors qu’un simple dos-d’âne eut plutôt « réveillé » le somnolent ! Quant à l’énervement, il n’est pas mieux de voir ces stupides petits ronds-points disséminés sans utilité.
Les chicanes.
Il y a le cas encore plus grave des chicanes. Certaines sont de véritables crimes. Je pense à ces gros bac à fleurs en béton armé, que des communes se plaisent à poser dans la rue centrale, et qui sont quasi invisibles de nuit. Une voiture qui percute, même à 50 km/h, un tel équipement, et c’est le drame assuré. Je ne parle même pas de quelqu’un qui arriverait un peu vite. De même pour la disposition de places de stationnement en plein sur la chaussée (mal éclairée !), qui risque de provoquer des accidents graves et inutiles. Ce genre de procédé devrait être tout bonnement interdit par les préfectures ! En outre, en pleine nuit, et sans personne en face, on a tendance à faire un joli slalom plutôt que de ralentir : c’est à dire que l’équipement n’est même pas vraiment efficace.
D’une manière générale, les circulations semi-alternées (sans feu, mais avec une simple priorité dans un sens ou dans l’autre) sont également dangereuses. D’abord, on ne voit pas toujours bien en face. Et en cas d’erreur, voilà que deux véhicules se retrouvent en choc frontal ! Un dos-d’âne ne serait-il pas préférable ? Un dos-d’âne est un obstacle doux, partiel. Alors que ces obstacles sont brutaux et définitifs : la moindre erreur peut conduit au drame. Je pense qu’il ne faut pas détourner ce genre d’équipements et procédés pour simplement ralentir la vitesse.
Les priorités à droite absurdes et dangereuses.
Il y a encore cette fameuse tendance à laisser des priorités à droite entre une route principale et des petites rues adjacentes. Est-ce vraiment sage ? Que ce soit une grande avenue en ville, ou sur une départementale en campagne, le conducteur n’est pas prêt psychologiquement à faire attention à chaque ruelle qui débouche sur sa droite. Surtout, si un usager débouche sur la droite de façon intempestive (du genre, « je ralentis pas, c’est moi qui ai la priorité »), cela peut conduire au drame. D’ailleurs, la plupart d’entre-nous, quand ils viennent de la petite rue, font instinctivement très attention, et abordent en douceur l’axe principal.
A ces priorités contre-nature, les communes ajoutent parfois une série de « stop » ou « cédez-le-passage » à contre-emploi. Là encore, cela énerve plus que cela ne fait réellement ralentir les usagers. Et cette incertitude peut conduire à des accidents inutiles. Bien-sûr que l’usager qui n’a pas respecté le « stop » ou la priorité sera dans son tort. Mais est-il besoin d’en arriver là ? Sans compter que souvent la visibilité est totalement nulle dans ce genre de carrefours avec une petite rue. C’est vraiment jouer avec le danger pour rien.
Les radars.
Il existe encore la question des radars en ville. Sujet épineux. Dans certaines grandes avenues, il est parfois impossible de mettre un ralentisseur, et un radar peut faire l’affaire. Mais d’une manière générale, le radar produit des sanctions (administratives et pécuniaires). Si son usage -notamment depuis l’époque Chirac/Raffarin- a permis de discipliner globalement la vitesse et la sécurité sur le réseau (même pour moi !), son usage ne doit pas devenir inutilement punitif. Pour ralentir les gens de passage ou les gens du coin il n’est pas nécessaire de les mettre à l’amande ! Un bon dos-d’âne fera le même travail sans sanctionner personne. En outre, le radar ne garantit jamais contre quelque chauffard qui n’en fait qu’à sa tête, alors que le dos-d’âne si.
Les haricots.
Il reste encore le cas moins emblématique mais non moins dangereux parfois des haricots (séparateurs). Là encore, les haricots ne doivent pas être utilisés n’importe comment. C’est le cas notamment dans les zones semi-urbaines (ou semi-rurales), y compris dans des sections à 70 km/h. Les haricots s’accompagnent souvent d’un trottoir sur le bas côté droit, afin de « canaliser » entièrement les voitures et les forcer à ralentir. Sauf que ces trottoirs peuvent surprendre l’usager qui ne s’y attend pas intuitivement. En effet, en voulant trop « serrer » les voitures pour les contraindre à ralentir, on peut aussi voir une voiture taper contre un trottoir et faire un écart (ce qui peut provoquer des accidents, avec les véhicules en face notamment). Certains haricots ou séparateurs dans des virages dangereux sont bien appropriés (sans compter bien-sûr pour les carrefours dangereux de certaines vieilles nationales). Mais quand ils sont employés mal à propos, ils peuvent devenir involontairement dangereux, ce qui est contraire au but recherché !
Un urbanisme parfois en question.
Il faut dire que l’urbanisme moderne pose parfois question. Aux abords de certaines localités, on construit parfois des lotissements sur plusieurs centaines de mètres (voir plusieurs kilomètres) tout le long de la route principale. En dépit du bon sens ! Déjà en terme de confort, il est quand même très particulier de construire des maisons juste le long d’une départementale passante (mais enfin, à chacun ses goûts). Mais ce qui est plus grave, c’est que ces habitations qui s’égrènent le long de la route, posent un problème de sécurité routière. En effet, les véhicules doivent sortir de ces maisons directement sur la chaussée, et ce parfois sans visibilité. En outre, il est toujours possible de voir un enfant ou un animal de compagnie ou un ballon surgir sous vos roues. D’une manière générale, ces gens pour nombre d’activités peuvent être amenés à marcher le long de la chaussée. Une chaussée départementale qui n’a nullement été conçue pour ça, au contraire d’une chaussée urbaine. Les riverains se pensent chez eux, et les voitures se croient encore sur la route inter-urbaine : mauvais ménage ! Pas plus tard que ce week-end, près de chez moi des riverains avaient improvisé un vide-grenier ainsi devant chez eux sur le bord de la route passante, les enfants traversant la chaussée, et les badauds se stationnant sans discipline le long de la route : il a faillit y avoir un accident. Et je ne parle pas des jeunes qui vont à pied en ville en marchant le long de la route, ou de la mamie qui sort les poubelles sur la départementale.
Les communes limitent souvent ces zones à 50 ou 70 km/h. Mais on peut se demander pourquoi la mairie n’a pas plutôt ouvert à la construction des terrains en retrait de la route, dans quelque autre coin du village ou du bourg. Ce genre de zone est hybride : les conducteurs peuvent avoir le sentiment d’être déjà sorti du bourg ou de la ville, d’autant que ce sont souvent des lignes droites. Ce genre de zone contraint en outre les municipalités à multiplier les équipements de limitation de vitesse sur des centaines de mètres aux abords de la ville.
Devinette et conclusion.
Pour finir, je pose une petite devinette au lecteur. Normalement, la présence d’un trottoir ou d’un caniveau au débouché d’une voie sur la rue principale, provoque la perte de priorité (même en l’absence de « cédez-le-passage »). En effet, ce type d’équipement présuppose qu’il s’agit du débouché d’une voie privée. Mais dans les aménagements périurbains modernes, il arrive souvent qu’un débouché de voie publique (type lotissement) soit traversé d’un caniveau (mais sans différence de niveau). Quelle est alors la priorité ? Le code de la route est obscur sur ce point.
Tout cela pour dire que je pense qu’il n’est pas bon de jouer avec les ambigüités de priorité, les chicanes ou les feux détournés de leur emploi, ou sur un recours excessif au radar pour modérer la vitesse en ville ou dans les traversées de bourgs. Le plus simple et le plus sain est de recourir aux ralentisseurs, en les calibrant sur la vitesse recherchée : c’est efficace et égalitaire, sans être dangereux ni punitif. D’autre part, on pourrait souhaiter que les communes cessassent de construire des lotissements le long des routes, mais plutôt en retrait des routes, afin de ne pas étendre à l’infini les zones de limitation de vitesse en périurbain.
Paul le vilain Leleu
84 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON