Réforme du collège : deux points zéro ou zéro pointé ?
"Le Conseil supérieur de l'éducation (CSE) vient d’adopter à une large majorité (51 pour, 25 contre, 1 abstention) la réforme du collège. Avec ce vote, la refondation de l’école engagée depuis 2012 franchit une nouvelle étape importante. Alors que le constat sur l’aggravation au collège des difficultés scolaires est largement partagé, il était essentiel de revoir un cadre trop contraint pour que les enseignants puissent exercer dans de meilleures conditions et pour favoriser la réussite de tous les élèves." Ainsi va le discours officiel du Ministère de l'Education Nationale, ce 10 avril 2015, après cette nouvelle "avancée" dans la " modernisation des pratiques au collège".
Deuxième langue vivante dès la classe de 5°, accompagnement personnalisé, enseignements en petits groupes, enseignements pratiques interdisciplinaires avec des thématiques dans l’air du temps, parmi lesquelles « développement durable. », « monde économique et professionnel », « langues et cultures de l’Antiquité »…, tels sont les ingrédients qui devraient selon les auteurs de la réforme "faire évoluer les pratiques pour que les élèves apprennent mieux et réussissent mieux".
Le Conseil Supérieur des Programmes ( C.S.P) a remis le 10 avril dernier à madame la ministre son travail sur le contenu des enseignements du C.P. au cycle 4 du collège ( fin de troisième). A la place des programmes par année et par discipline, avec leur succession de chapitres, c'est un fil conducteur pour la durée d’un « cycle », trois ans, qui mêle toutes les matières. "Les projets de programmes n’entrent pas dans le détail des pratiques de classe, des démarches des enseignants ; ils laissent ces derniers apprécier comment atteindre au mieux les objectifs des programmes en fonction des situations réelles qu’ils rencontrent dans l’exercice quotidien de leur profession", annoncent les auteurs.
On ne pourrait que se réjouir devant tant de bonnes intentions mais il est à craindre que ce réajustement bien trop superficiel des moyens et bien trop flou des contenus, ne soit pas à la hauteur des enjeux de cette école fondamentale dont le collège est aujourd'hui le maillon faible.
COLLEGE UNIQUE OU COLLEGE INIQUE
Déjà en 2010 - 35 ans après la reforme HABY qui a instauré un collège pour tous en continuité avec l’école élémentaire- le Haut Conseil de l'Education, dans un rapport sur le collège, proclame la nécessaire fin du collège copié sur le lycée. Dans le prolongement de l’école élémentaire, le collège doit achever "l’acquisition par toute une classe d’âge des connaissances et des savoir-faire indispensables à la vie dans la cité aujourd’hui." Ces grands principes sur les fondements d'une "école commune" cachent une réalité bien différente.
- Un collégien sur cinq quitte la 3ème avec de graves lacunes en français et en Mathématiques (rapport 2010 du Haut Conseil à l’Education).
-
Une enquête inédite révèle le faible niveau des élèves en histoire-géographie ( Le Monde du 26/06/2013 )
- Près de deux collégiens sur trois n'ont pas obtenu la moyenne à l'épreuve écrite de mathématiques du brevet en 2014, selon une note du ministère de l'éducation nationale. Alors que 85,4 % d'entre eux ont obtenu le diplôme national du brevet. Cherchez l'erreur. ( Le Monde du 23/03/2015 )
- L’ampleur des inégalités scolaires n’a pas varié depuis les années 1960. Pire, les écarts culturels et cognitifs sont multipliés par deux entre le CP et le CM2, au détriment des élèves d’origine populaire. Une proportion importante d’élèves entrant en 6ème n’ont pas les acquis nécessaires pour tirer normalement profit de leur scolarité au collège. Et du collège à l’université les inégalités se maintiennent, voire se creusent.
Les enseignants sont en permanence tiraillés entre les consignes pédagogiques alambiquées des inspecteurs généraux (1 ), gardiens du temple, et la dure réalité du terrain, entre l'ambition démesurée des programmes et le constat des divers rapports commandés par les différents ministres. Au fil du temps ce collège unique pour tous s'est transformé en une énorme machine à trier où la réussite n'est malheureusement à la portée que pour quelques uns.
Cette "école des savoirs fondamentaux" qui a pour ambition de transmettre à tous les élèves, des valeurs, des connaissances et une culture dans laquelle toute une communauté se reconnait, bref d'élever l'enfant au rang de citoyen libre et responsable n'est encore aujourd'hui que le voeu pieux d'une république à bout de souffle. Au lieu de mettre en situation d'écoute et d'attention les élèves, on a encouragé « l’agitation créatrice » copiant ainsi dans le jeu de séduction, cette autre faiseuse de cerveau qu’est l’industrie "culturelle" de la télévision. « Ce troisième parent » (2), cette faiseuse d’opinions « prêt-à-porter » qui affaibli chez l’individu toute velléité de réflexion et toute fonction critique.
Au vu des annonces faites, il est à craindre que la prochaine réforme persévère dans cette course épuisante et stérile à la modernité et au perpétuel changement alors que le rôle de l'école serait au contraire de donner à l'individu les moyens de faire le tri entre ce qui est universel et invariant en sciences comme dans toutes les formes d'expression de notre héritage culturel au lieu de s'attacher à le distraire dans une agitation, qui au nom de la modernité doit être constamment renouvelée. Activisme qui trop souvent distrait les élèves des véritables enjeux de la séquence de formation à laquelle ils sont sensés participer.
Avec cette nouvelle réforme, le ministère se réjouit qu' « à compter de la rentrée 2016, pour mieux s'approprier des savoirs abstraits, les élèves bénéficieront d’enseignements pratiques interdisciplinaires. Ils permettront aux élèves de comprendre le sens de leurs apprentissages en les croisant, en les contextualisant et en les utilisant pour réaliser des projets collectifs concrets." Le problème est que ces nouvelles pratiques interdisciplinaires comme l'aide individualisée ( 4 h de la 5° à la 3° ) ne viendront pas en complément de l'acquisition des savoirs , elles se feront sur le crédit horaire des disciplines( lien ). Ainsi l'enseignement du Français, crédité de 4 heures en 3°, ou des mathématiques (3,5 h) devront au gré des projets d'établissement et des pressions locales consacrer une partie de leur temps à ces nouvelles pratiques ou renoncer au dédoublement d'une heure pour un travail en groupe. En privilégiant, au niveau du collège, une interdisciplinarité aux dépens de la transmission de savoirs et des connaissances, c'est comme vouloir s'agiter sur des sables mouvants. Les plus vulnérables s'enfoncent inéluctablement sous leurs pas et leur survie ne dépend alors que de la présence d'une main altruiste ou intéressée. Alors qu'en 1972 l'horaire du Français en 6° était de 9 heures par professeur pour 6 heures de cours, dont 3 dédoublées, aujourd'hui, au nom de la modernité, les enseignants de cette discipline devront se contenter de 5 heures pour à la fois transmettre les connaissances, organiser l'aide individualisée et éventuellement participer à un projet interdisciplinaire. Au lieu d'apprendre tous les codes et les subtilités de la langue française nécessaires à une bonne communication écrite et orale et à la construction d'un esprit critique, les élèves se réjouiront d'avoir accès au codage informatique qui régit la communication des machines. Comme l'écrit Régis Debré dans cette tribune au JDD du 12/04/15 : "Le dédain des humanités vient d'une idée bébête, le progressisme pour les nuls, selon laquelle le nouveau efface l'ancien, et qu'avec l'innovation numérique on peut faire litière des héritages culturels."
Dans un article du journal Libération "Faire du latin, un pas vers la citoyenneté" E on a supprimé la récitation, « faute de temps »… Les horaires dévolus au français ont fondu comme neige au soleil.(...)Dans le même temps, on a introduit l’étude de l’image fixe, de l’image mobile. L’enseignement de la langue (orthographe, grammaire, lexique) est considéré comme secondaire. Cette injustice est encore plus criante concernant des milieux où soit l’on ne parle pas toujours le français à la maison, soit où on le maîtrise mal."
Enfin les propositions de programme du cycle 4 ( 5°-3°) ne ciblent plus les connaissances à acquérir mais établissent pour chaque discipline une longue liste des compétences à acquérir durant toute la durée du cycle de 3 ans, laissant le soin à l'enseignant d'articuler connaissances et compétences. Cette approche par les compétences et l’évaluation qui va avec est une pratique pertinente pour l'acquisition de techniques ( apprendre à écrire par exemple), en formation professionnelle où l' apprentissage « des gestes du métier », « des tours de main » est important. Mais cette approche a peu à peu contaminé la pédagogie de l’ensemble des enseignements disciplinaires. Les connaissances, les textes des grands auteurs ne sont plus expliqués et appréhendés dans leur ensemble, ni dans leur contexte historique ; ce ne sont trop souvent qu’un matériau parmi d’autres, trituré, pour amener à l’acquisition d’un savoir-faire ou d'une compétence. Cet étalement des objectifs à atteindre sur 3 ans d'une part et cette mise en avant des compétences aux dépens des savoirs et des connaissances risquent fort d'accentuer encore le processus de différentiation entre les établissements des quartiers défavorisés et des centres - villes. Enfin cette méthode rend totalement impossible la construction d'un socle commun de connaissances fait non seulement de techniques mais aussi fondé sur l'acquisition d'une culture commune indispensable à la vie sociale dans un Etat laïque et à la construction d'un sentiment d'appartenance à une communauté, seul rempart à l'émiettement de la société en clans, bandes, sectes et autres réseaux.
POUR UNE ECOLE "COMMUNE "JUSQU'A LA FIN DU COLLEGE.
Depuis les années 60, s'est imposé une "doxa pédagogique" selon laquelle les « enfants » doivent être les "acteurs de leurs apprentissages" et l’enseignant qu' un « facilitateur ». Les livres scolaires ressemblent de plus en plus à des manuels d'auto-école ou à des cours de danse aérobique. Les contenus font place à une série d'injonction à s'activer : "Je m'entraine", " je m'évalue", j'approfondis" . En classe les activités en tout genre ont remplacé le cours. Toute cette agitation plus ou moins ludique finit par masquer les enjeux en terme de connaissances et de savoirs des apprentissages. L'échec dans la transmission des connaissances et la dégradation du climat scolaire sont dus en réalité à "ces démarches pédagogiques mises en œuvre qui ne sont pas assez explicites sur les savoirs qu’il s’agit d’acquérir. L’ennui ne naît pas d’une trop grande directivité, mais d’une perte de vue de l’enjeu polémique et émancipateur des savoirs authentiques" ( Lire " Refondons l'école... oui mais comment ? "23/02/2015- Alain Beitone ).
Il est possible de faire du collège la clé de voûte de l’école fondamentale en dispensant les connaissances et savoir-faire indispensables pour affronter les difficultés et la complexité du monde dans lequel on évolue en donnant du sens et de la visibilité à chaque étape de la formation, en évaluant chaque pas et en aidant en conséquence l’élève à surmonter ses difficultés, pour finir par certifier nationalement cette formation de base. Les enjeux d'une véritable réforme sont posés depuis longtemps. Déjà Cristopher Lash dans "la culture du narcissisme" écrivait au sujet des Etats-unis "les conflits dans les années 50 concernant la politique à suivre en matière d'éducation indiquaient clairement que le pays devait choisir entre la mise en oeuvre d'une éducation fondamentale pour tous et un système d'éducation compliqué dont la seule fonction serait de sélectionner la main d'oeuvre."
Ce choix est indissociable de celui de quelle société nous voulons. Pour mettre fin à la logique ségrégative et concurrentielle de l'école, il faudra aussi lutter contre un monde égoïste où la réussite individuelle et la compétition sont le seul credo au mépris du bien commun. Il est à craindre que ce gouvernement, plus libéral que social, ne s'engagera pas dans ce combat.
____________________________
(1) Voici un bel exemple du vocabulaire prétentieux et alambiqué utilisé par les services de l'Inspection Générale dans les Documents d’accompagnement du programme de Troisième,( octobre 1998 ) dans la partie « Outils linguistiques pour la lecture, l’écriture et la pratique de l’oral », sous partie « grammaire du discours, les actes de parole »( lien )
« L’étude des actes de parole est donc essentielle. Elle peut se décomposer en trois approches complémentaires :
- la dimension locutoire, c’est-à-dire le fait de produire des énoncés structurés, organisés et ayant un sens ;
- la dimension illocutoire, c’est-à-dire le fait de chercher à exercer une action sur autrui en lui parlant (l’interroger, lui donner un ordre, lui interdire de faire quelquechose, le convaincre ou le persuader…) ;
- la dimension perlocutoire, c’est-à-dire l’effet sur l’interlocuteur, qui répondra ou non à la question, qui exécutera ou non l’ordre…(…)
Il est très important d’amener l’élève à prendre conscience de cette triple dimension des actes de parole, en particulier dans une optique de formation du citoyen ».
____________________________
(2) D.R. Dufour « L’individu qui vient … après le libéralisme » Ed ; Denoël reconstruire l’école - page 312 et suivantes
37 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON