SARS-CoV-2 et Covid, une révolution copernicienne en virologie qui n’a pas fini de vous surprendre

Je propose un chemin alternatif pour comprendre l’épidémie de Covid et l’infection virale.
1) Une étrange pandémie
L’arrivée du SARS-CoV-2, sa diffusion et ses effets cliniques ont surpris les scientifiques qui ne s’attendaient pas à faire face à un virus qui non seulement génère une pandémie de grande ampleur mais aussi représente un nouveau défi en virologie avec son cortège d’énigmes moléculaires, cellulaires et les zones d’ombre entourant le mécanisme viral. Ce virus a la propriété de créer une pathologie multi-symptomatique. En premier lieu, le Covid-19 occasionné par l’infection prend quatre formes, asymptomatique, autrement dit indétectable, légère comme un rhume ordinaire, standard et grave. Le Covid standard désigné comme modéré par les cliniciens, n’est pas si modéré car chez certains patients, le choc est aussi intense que la plus violente des grippes ; il produit une liste étendue de symptômes dont les plus courants sont la diarrhée, la perte d’odorat, des courbatures, une fatigue extrême et une toux intense. Le Covid grave se produit alors lorsque l’organisme ne parvient pas à récupérer de la forme standard, le mal s’étend alors. L’infection persiste, la pneumonie s’aggrave et le système inflammatoire s’emballe. En réalité, il n’y a pas un Covid mais des profils cliniques multiples, accompagnée de symptômes chiffrés en dizaines, ce qui laisse penser que ce n’est pas le virus qui dicte la maladie mais le patient dont l’état physiologique et immunitaire réagira spécifiquement au contact des virions après contamination.
L’affection virale ne se limite pas à une pathologie transitoire, elle se prolonge parfois durant des mois et devient alors une nouvelle maladie, le Covid long, dont l’origine est sans doute auto-immune et auto-inflammatoire. Ce Covid durable affecte des patients ayant développé des formes bénignes ou standard sans qu’aucun signe de prédisposition n’ait été décelé, comme le confirment les études britanniques et américaines. Ces constatations penchent en faveur de la thèse du patient qui génère sa propre pathologie en réponse au signal produit par le virus. L’apparition du variant delta semble indiquer que le signal viral est sensiblement modifié, ce qui produit une infection spécifique à ce variant, avec un spectre clinique différent. Ce variant affecterait une population plus jeune, produisant le plus souvent une symptomatologie apparentée à un rhume, mal de tête, fièvre, écoulement nasal, maux de gorge. Contrairement aux épidémies causées par les variants précédents, l’agueusie et l’anosmie ne font plus partie des symptômes les plus répertoriés. Le variant delta affecte un nombre très limité de jeunes enfants et de nourrissons, en induisant des pathologies apparentées au rhume ou quelques fois à la bronchiolite. On sait que le coronavirus NL-63, détecté en 2005, qui lui aussi utilise le récepteur ACE2, cause des pathologies respiratoires. Ce virus génère des bronchiolites chez les jeunes enfants ; il serait impliqué dans près de 5% des pathologies respiratoires, affectant plus spécialement les enfants, les sujets immunodéprimés et les personnes âgées. Néanmoins, les cas de bronchiolites causés par le SARS-CoV-2 ne sont pas encore documentés et c’est surtout le rhume qui affecte les enfants avec ce nouveau variant delta. En revanche, le lien entre le NL-63 et la maladie de Kawasaki affectant les jeunes enfants est établi, comme l’est le lien entre cette pathologie et le nouveau coronavirus. Courant août 2021, le taux d’incidence des adultes s’est stabilisé alors que celui des enfants augmente, ce qui confirme un changement, modéré certes, mais avéré, de la « figure épidémiologique » du Covid tel qu’il se propage dans la phase du variant delta. Ce taux est de 120 pour la seconde semaine d’août mais il est certainement sous-estimé car les enfants étant en majorité asymptomatiques, ils ne sont pas repérés par les tests PCR.
2) Juxtaposition pathologique, superposition épidémiologique
Les observations épidémiologiques montrent deux choses. Premièrement, le caractère polymorphe du Covid-19 avec sa multitude de profils cliniques composés d’une série de symptômes. Deuxièmement, le caractère évolutif de l’épidémie liée à l’émergence des variants traduit par une modification des statistiques cliniques, en termes de population affectée et de symptômes observés. L’évolution est nette avec le variant delta et traduite avec trois chiffres, la charge virale est cent à mille fois plus élevée ; l’intervalle entre la contamination et l’état contagieux est ramenée à 4 jour et enfin la contagiosité serait proche de la varicelle. La pandémie de Covid est constituée par une distribution de symptômes qui n’ont rien de bien nouveau et sont observés lors d’autres infections virales, notamment celles occasionnées par les coronavirus endémiques. L’infection par le SARS-CoV-2 produit une superposition épidémique de plusieurs affections affectant diversement les sujets ; le rhume causé par les rhinovirus et les coronavirus historiques, OC43 et 229E ; les syndromes de type grippal dans les formes modérées ; la pneumonie et le désordre inflammatoire systémique causés par le SARS-CoV de 2002 et un spectre épidémique de type NL-63 ou même de type OC-43 (cette souche est suspectée d’être à l’origine de la pandémie « grippale » russe de 1890 et infecte de manière endémique les enfants depuis plus d’un siècle). La maladie de Kawasaki, bien que rare, fait également partie du spectre épidémique causé par le SARS-CoV-2 Le virus n’est qu’un signal qui, une fois inséré dans l’organisme, fera basculer cet organisme dans un état pathologique, autrement dit, le virus fait basculer l’organisme dans un état de dysfonction. L’infection par le nouveau coronavirus se développe dans les voies respiratoires inférieures et dans les poumons avec une cinétique différente. Selon les capacités de réaction, un patient infecté se rétablit ou évolue vers une forme modérée, puis grave. Les symptômes du Covid delta sont notés pour d’autres infections, toux, maux de gorge, nez qui coule et parfois anosmie, phénomène déjà observé lors de rhume, d’état grippal ou de sinusite virale. La juxtaposition des symptômes recouvre le spectre réceptif des cellules de l’organisme face à la présence des virions. L'infectiologue Nathan Peiffer-Smadja confirme le changement dans l’épidémie liée au variant delta : "Nous observons une répartition un peu différente des symptômes par rapport à la souche classique." Cela se traduit par "moins de pertes d'odorat, mais aussi par davantage de personnes ayant le nez qui coule ou des maux de tête".
Le Covid long est lui aussi une pathologie déjà étudiée, le syndrome de fatigue chronique, causé par un désordre auto-immun et auto-inflammatoire, avec un désordre mitochondrial, observé en tomographie. Ce syndrome serait en fait post-viral, causé par plusieurs type d’herpès virus (Epstein-Barr, HHV6, HHV7, cytomégalovirus), ou alors le parvovirus B19 ainsi que des entérovirus. Le Covid long est une maladie post-infectieuse dont l’émergence n’est pas automatique et dépend de la constitution immunologique et systémique du patient. Le panoptique épidémiologique laisse transparaître la nécessité de comprendre la pandémie virale sous un angle inédit. Avec une révolution copernicienne en virologie, mettant au centre non plus le virus mais l’organisme hôte et sa réponse face à la présence des virions.
3) Une révolution copernicienne pour expliquer les processus virologiques
Pour la virologie classique, une infection virale est décrite comme la lutte entre les cellules de l’organisme infecté et les virions, entités individués dont le but est de parasiter les cellules, les tissus, afin de se multiplier. Au final, le déroulement de l’infection se conçoit comme une course contre la montre entre deux choses, la reproduction des virions et les défenses immunitaires. Or, cette conception a fait place à une vision alternative inscrite dans une démarche systémique pour ne pas dire holistique, dont on peut lire une présentation synthétique dans ces quelques lignes proposées par Jordi Gomez et deux confrères :
« En général, l'infection virale est considérée en termes de relation entre deux éléments : le virus et la cellule hôte, ou le virus et le ribosome (Forterre et Prangishvili). Cependant, il pourrait y avoir des problèmes pour ces divisions claires car les experts reconnaissent le fait que l'origine de la constitution de la cellule est toujours une grande énigme en biologie (Koonin). De plus, depuis que les virus ont été découverts pour la première fois, les experts ne sont toujours pas parvenus à un accord quant à savoir s'il s'agit de sous-produits de l'évolution cellulaire ou d'organismes vivants antérieurs aux cellules (Moreira et López-García ; Villarreal et Witzany). Selon nous, les nouvelles données de la virologie bouleversent également la théorie de la cellule en tant qu'unité cohérente qui tente de se défendre contre l'infection : récemment, il a été démontré que parmi les gènes induits par l'interféron (le paradigme de la défense antivirale) près d'un tiers activent plutôt que suppriment l'infection dans un grand nombre de virus (+) à ARN simple brin. » (Gomez, 2015)
La nouvelle virologie est gouvernée non plus par un schéma dual mais une vue triadique. Comme s’en est expliqué Gomez, la virologie héritée de la biologie moléculaire mécaniste du XXe siècle repose sur la confrontation de deux objets, (a) le virus et la cellule ; en revanche, la vision holistique et sémantique fait intervenir trois éléments ; (b) le virus est alors considéré comme un signal amenée à être interprété par la cellule. Ce nouveau schéma (c) est calqué sur la sémiotique de Pierce
a) Cellule saine ↔ virus → multiplication des virions, pathologie
b) Cellule saine et pathologique ↔ virus → transformation
c) SubOb-jet ↔ signal → interprétation
Le schéma causal classique (a) décrit la rencontre entre une cellule saine et un agent viral pathogène dont les propriétés décrites dans le cycle, liaison, fusion, reproduction et réplication, sortie des virions, expliquent la transformation de la cellule en usine à virion. En supposant que le virus ait une intention, celle-ci est de se reproduire le plus possible, ce qui est le caractère des microbes infectieux comme les bactéries. Le virus utilise alors ses protéines pour mener à bien ses objectifs réalisés suivant un cycle avec une étape indispensable ; la fabrication des protéines virales par les ribosomes des cellules infectées. Le schéma biosémantique (b) considère que le virus est un signal cellulaire complexe et composite capable d’interférer avec un large spectre de protéines constituant le phénotype de la cellule infectée. Gomez note qu’une infection virale est causée par une population de virions présentant de multiples variations et que les tissus infectés sont constitués d’une mosaïque de cellules aux conditions physiologiques et environnementales différentes. Le devenir de l’infection dépend de l’interférence plurielle et complexe des cellules réceptives et des signaux véhiculés par les virions puis interprétés par les dispositifs sémantiques des cellules qui au final, basculent dans un état pathologique ou résistent à la pression morphogénétiques véhiculée par les virions. La réponse d’une cellule face à l’intrusion du ou plusieurs virions se conçoit ainsi à la manière d’une interférence complexe entre source et champ, entre le dispositif sémantique de la cellule qui décode le signal et la forme du signal. Cette conception est triadique comme l’a explicité Gomez. Et c’est un renversement de perspective, une révolution copernicienne en infectiologie virale. La thèse de Gomez est audacieuse pour ne pas dire renversante. Si le virus se propage, c’est que les cellules sont dans un état pathologique latent et qu’elles répondent au signal viral qu’elles amplifient ensuite pour contaminer de proche en proche les tissus. Cette vue explique alors pourquoi le spectre épidémiologique est si large, depuis les réfractaire et asymptomatiques jusqu’aux forme standard et graves du Covid, avec une modification du spectre lié au changement de signal viral que représente le variant delta.
Des observations récentes ont permis d’associer le dysfonctionnement des récepteurs TLR7 et de l’interféron de type I aux formes graves, ce qui illustre la thèse d’un état cellulaire instable, dont la forme pathologique n’est pas consolidée, ce qui rend la cellule responsive au signal viral et la fait basculer dans l’état pathologique.
4) Le processus viral interprété avec la physique et la systémique
La propagation d’une infection virale n’a rien de comparable avec le développement d’une colonie de bactéries dont le principe repose sur l’évolution d’organismes vivants dans un milieu. La distinction organisme et milieu ne tient plus lorsque l’on analyse la propagation des virions dont le mécanisme est calqué sur les transitions de phase en physique. Un mécanisme complexe et composite associant les sources et les éléments du champ. En électrodynamique quantique, le lagrangien (qui contient toutes les informations sur un système matériel) est composé de trois termes, les sources, le champ avec sa propagation et ses bosons interactifs, puis un troisième terme spécifiant la transaction physique entre sources et champ. La conception triadique de la matière tranche avec la vision mécaniste de Newton dans laquelle les objets ont des propriétés définies et sont extraits de la scène sur laquelle ils jouent. La cosmologie relativiste est elle aussi basée sur le principe des sources et du champ avec une transaction effectuée entre les deux. Cette représentation triadique transparaît dans l’équation d’Einstein sous réserve que l’on puisse expliciter un sens physique aux tenseurs de métrique et de courbure représentant l’espace-temps et sa dynamique. Les sources font varier le champ et le champ indique aux sources comment elles doivent bouger.
Cette vision systémique a été longuement explicitée dans deux ouvrages (Dugué, 2017). Elle repose sur le doublet sources et champs de communication. Les observations récentes sur les communications dans le monde animal et végétal, mais aussi le monde cellulaire et moléculaire, imposent d’abandonner la vision de spécimens et d’espèces évoluant dans un milieu. Le monde ouvert, matériel, se conçoit comme la génération d’une pluralité de champs produits par les espèces vivantes, ces champs se superposant dans un milieu. Les organismes vivants sont plongés dans un milieu mais ils façonnent un champ qui leur est propre (cf. la notion d’Umwelt). La relation entre cellules et virus est calquée sur celle des sources et du champ. Avec une complexité redoutable. La cellule doit interpréter l’ensemble d’instructions véhiculées par les composants viraux. Selon le « résultat sémantique », la cellule produira ou pas des virions en masse capables de transformer d’autres cellules. Si homéostasie il y a, alors cette homéostasie est sémantique. La cellule défend avec son immunité une identité phénotypique. Une cellule ayant une pathologie latente possède un déficit dans la « force identitaire » et se laisse infecter, à l’image d’un citoyen aux convictions fragiles soumis aux influences d’idées toxiques et qui, une fois manipulé, se prête au jeu et influence à son tour les membres de son entourage en utilisant les réseaux sociaux.
La conception triadique n’est pas si évidente et elle renverse nos convictions scientifiques héritées de la modernité et de la séparation de l’objet. Elle rend incertaine la chose vivante qui n’est plus une entité dotée d’une essence, d’une structure, de caractère, mais une superposition de possibilité. En l’occurrence, la cellule est une superposition de deux ou plus possibilités qui deviennent latentes chez un patient « diminué ». La cellule se conçoit comme une superposition de deux états, l’un défini comme sain, l’autre comme pathologique. La vie consiste pour une part à supprimer les états pathologiques sans pour autant les éliminer. Un métaphysicien y verrait la traduction dans le monde vivant du concept hégélien d’aufhebung qui prévoit un dépassement moyennant une conservation et une suppression. Et ce serait une révolution car cela constituerait une introduction de l’Histoire dans la vie, chose bien étrange évoquée par Canguilhem dans la préface à l’édition de sa thèse de médecine. A l’histoire de la vie racontée par l’évolutionnisme, on ajoute alors l’histoire dans la vie. Pour résumer, une cellule est une superposition de deux états, l’un est rendu silencieux et l’autre est actualisé pour contribuer au fonctionnement équilibré de l’organisme. Le signal viral véhiculé par l’intrusion du virion permet l’actualisation de l’état « pathologique » silencieux. Un patient à l’immunité robuste maintient sous silence l’état pathologique, alors que pour d’autres, cet état est mal contenu et c’est ce qui rend l’organisme sensible au signal viral et au déclenchement de la maladie, comme l’a suggéré Gomez. Qui précise l’héritage de son approche ontologique, évoquant les travaux méconnus de Wilhelm Roux sur la lutte des parties comme essence du vivant, travaux repris par Nietzsche qui les inséra dans sa conception de l’existence comme une lutte sans fin, avec des conflits internes ou alors provoqués par la confrontation avec l’environnement. L’ « objet » est hérité du concept du Je et n’a plus cours dans la vision systémique et holistique du vivant. Ni même en physique, avec la crise de l’atomisme héritée de la mécanique quantique. Les atomes ne sont pas des objets. Ils sont des processus stationnaires insérés dans un champ de communication doublement réglé, par l’électromagnétisme et la gravité quantique. Les cellules vivantes ne sont pas des organismes séparés mais des processus insérés dans un champ de communication renforçant leur identité ou la mettant en péril, comme on l’a constaté avec les signaux viraux qui interfèrent avec les processus sémantiques en usant de codes.
La biosémantique des systèmes distingue deux notions, le compliqué et le complexe. Le compliqué renvoie à des mécanismes articulés les uns aux autres, à l’image des montres à complication fabriquées en ajoutant des modules supplémentaires. Un système compliqué s’analyse en décomposant les parties et en reconstituant le mécanisme global. En revanche, le complexe est d’une toute autre nature et désigne une articulation des parties qui ne peut se réduire aux relations entre parties. Lorsqu’un virus infecte un organisme, le résultat final ne peut être prédit et repose sur la manière dont sera interprétée le signal viral (Gomez, 2015). L’issue de la rencontre entre un microbe et un hôte échappe souvent aux prédictions (Kosoy, 2018). Les épidémies successives causées par le SARS-CoV-2 en offrent une illustration édifiante. Qui aurait pu prédire l’émergence des variants delta ?
5) Considérations philosophiques et ontologiques sur la maladie virale
Canguilhem avait parfaitement compris comment la maladie et le pathologique sont des outils de connaissance précieux sous réserve que des investigations biologiques soient conduites pour comprendre quels sont les mécanismes créant les pathologies. Lorsque le sujet est sain et qu’il ne se passe rien, nous n’apprenons rien. Ce n’est pas la physiologie qui fut à la base de la médecine mais la pathologie et la clinique. Je vais même aller plus loin en suggérant que la pathologie nous apprend plus sur le vivant que l’étude de l’organisme sain. Je vais même franchir un pas et suggérer que le pathologique est un levier de connaissance pour comprendre les processus évolutifs du vivant. Le Covid n’échappe pas à cette règle et nous avons un puissant levier de connaissance avec la somme d’observations cliniques et moléculaires effectuées en étudiant le SARS-CoV-2. Ces observations permettent de questionner les processus sémantiques du vivant et les codes immunitaires, victorieux ou défectueux face aux signaux viraux. Un nouveau regard sur la maladie se dessine, héritant des positions de Canguilhem tout en les dépassant avec le cadre de la systémique sémantique (Gomez, Dugué). Ces positions ont été résumées dans le court chapitre sur le concept d’erreur en pathologie, publié en complément à l’édition de sa thèse de médecine, 20 ans après. La conception ontologique de la maladie produite comme l’opposé de la santé et la conception positiviste qui dérive la maladie de l’état dit « normal ». La première conception se rapproche du qualitatif et de l’essence, la seconde du quantitatif et du mécanisme.
Canguilhem prend comme exemples de « maladie ontologique » les pathologies métaboliques telles la phénylcétonurie ou l’alcaptonurie dont les symptômes ne peuvent être considérés comme un écart à la norme et dont la cause est génétique, avec comme manifestation biochimique un métabolisme incomplet de la tyrosine. C’est ce qui fait dire à Canguilhem que ces maladies, chiffrée actuellement en centaines, sont causées par des erreurs héritées à la naissance. Ce qui ne veut pas dire que la plupart des pathologies sont dues à des erreurs. Un grand nombre répondent au second cas de figure et doivent être considérée comme des accidents de la vie, avec des causes exogènes, agents toxiques, microbes, mauvaise hygiène de vie, ou alors une usure de l’organisme, par exemple dans l’arthrose. L’organisme finit par s’user avec l’âge et perdre son état de normalité et de santé. L’immunité est aussi un dispositif pouvant s’user, comme on l’a observé chez les personnes âgées.
Si l’infection virale repose sur un état pathologique latent, alors la pathologie est de type ontologique. La transformation des tissus infectés n’est pas un écart par rapport à la santé mais l’actualisation et l’émergence d’un état pathologique latent devenu émergent en réponse au signal viral. Cette pathologie est néanmoins étrangère aux maladies causées par les erreurs génétiques et métaboliques. Dans le cas d’une infection virale, le mal s’actualise, il est passager, suivi d’un rétablissement de l’état de santé ou alors assorti de symptômes gravissimes pouvant conduire au décès. Si l’infection virale est concevable comme une erreur, celle-ci n’est pas métabolique mais sémantique, d’ordre immunitaire et identitaire, avec des processus sous-jacent de nature épigénétique, et parfois en amont une erreur génétique si l’on se réfère aux dernières observations sur le lien entre Covid aggravé et altération de gènes de l’immunité (interféron par exemple). Les infections virales se dessinent dans le monde des ARN messagers, des ARN de transfert et des ribosomes avec les protéines qui peut-être, jouent un rôle plus important qu’on ne le pense. Les pathologies virales ouvrent des questions sur les origines de la vie et l’existence des virus qui auraient pu disparaître si la vie avait été victorieuse dans cette lutte sémantique, capable d’éradiquer les perturbateurs sémantiques que sont les virus.
6) Sur l’origine des virus et leur histoire
Les virus ne circulent que parce que les organismes les produisent et qu’ils diffusent dans le milieu, de manière accidentelle ou parfois en utilisant les insectes qui les propagent comme ils participent à pollinisation des végétaux. Nombre de biologistes pensent à juste raison que les virus étaient présents lorsque la vie a émergé, avec un monde de protéines et d’ARN puis les premières cellules avec les ADN, supports durables de la mémoire génétique. La présence des virus dans notre monde n’a pas d’explication. Ou bien ce sont des éléments du champ sémantique moléculaire universel qui ont subsisté depuis la nuit des temps, ou bien ce sont des particules nucléoprotéiques douée de propriétés morphogénétiques produites, accidentellement ou intentionnellement, par les organismes. Accident et réactivation de procédés mémorisés depuis la nuit des temps, ou alors activés pour un usage particulier. Autrement dit, la persistance des virus indique que ces éléments nucléoprotéiques aux propriétés morphogénétiques font partie de l’environnement des organismes, du champ (Umwelt) qu’ils façonnent, et qu’ils n’ont pas été supprimés pour des raisons qui nous échappent. La notion d’Umwelt désigne un environnement perçu par les sens, et comme chaque membre d’une espèce possède un appareil sensoriel propre, alors ce spécimen évolue dans un Umwelt dont la signification tirée des travaux de Jacob von Uexküll est « un environnement sensoriel propre à un individu ou à une espèce ». Les dernières avancées de la biosémantique imposent d’élargir l’Umwelt à un environnement non seulement sensoriel mais aussi communicationnel, créé par les membres d’une espèce. Les organismes vivants envoient des signaux dans l’environnement. Si l’on descend au niveau même de l’organisme, alors chaque cellule est insérée dans un monde sensoriel propre, un environnement propre lui permettant de développer son phénotype avec les réglages épigénétiques, autrement dit l’appareil composé d’ARN messagers, de transferts, des ARN interférant, non codant, petits ou longs, des ribosomes, des nucléoprotéines, des protéines régulatrices et notamment l’interféron. L’Umwelt, qu’il s’agisse d’un environnement signifiant généré par les animaux ou alors par le langage humain, n’est pas externe mais interne, autrement dit, l’Umwelt serait « régulé » par ceux qui y sont plongés, qui vivent dans cet environnement (Noble, 2021). C’est d’un des enjeux de la virologie que de placer les virus comme des éléments non pas externes mais générés par les cellules infectées, faisant partie d’un Umwelt sans doute dégradé, pathologique. Cette idée poussée jusque dans ses aboutissants ferait apparaître les infections virales comme des pathologies sémantiques, affectant le système d’interprétation et de communication des cellules produisant les virions.
En l’état actuel de cette réflexion, nous pouvons classer les phénomènes viraux comme des événements moléculaires non essentiels et accidentels en quelque sorte. Si l’on pousse la révolution copernicienne jusqu’aux aboutissants, alors la circulation des virus est entretenue par la subsistance d’un état pathologique endémique, véhiculé par une partie des membres d’une espèce avec également la possibilité d’un réservoir multi-espèces. C’est l’endémie pathologique qui produit les virus et non l’inverse.
7) Sur l’origine des épidémies
La révolution copernicienne en infectiologie virale place en position centrale l’organisme. Si l’on applique cette révolution à l’échelle d’une population, nous pouvons proposer une explication inédite des épidémies virales. Ces phénomènes émergent avec trois conditions.
a) Les populations pouvant être infectées par les virus sont composées de membres dont les cellules potentiellement hôtes, réceptives à un virus, présentent un phénotype plus ou moins instable, composé d’un état normal et d’un état pathologique latent, rendu silencieux mais ni supprimé, ni muet. Un réservoir viral est constitué par une population homogène lorsqu’il s’agit des espèces animales mais en revanche, les populations humaines sont très inégales et diffèrent selon l’âge et l’état physiologique plus ou moins pathologique. C’est ce qui explique la différence de sensibilité à une infection au SARS-CoV-2. Il a de plus été noté que les patients sensibles au virus ont un fond inflammatoire à bas bruit, ce qui traduit la présence de tissus formés de cellules ayant un état pathologique latent.
b) L’émergence d’une épidémie repose sur un événement déclenchant, l’apparition d’une souche produite après un gain de fonction, puis une multiplication au sein d’une population. Cette multiplication repose sur deux critères, (i) un état pathologique latent endémique rendant les sujets sensibles à l’actualisation de l’état infecté et (ii) des conditions physiques permettant la transmission des virions par les voies de contaminations usuelles. Un virus respiratoire se transmet par les voies aériennes principalement, ce qui dépend des facteurs météorologiques. Ces conditions ont aussi une composante sociétale évidente, la promiscuité et les contacts sociaux jouant en faveur de la propagation virale.
c) L’émergence d’une épidémie s’explique avec la métaphore du réacteur nucléaire dont les atomes radioactifs produisent plus d’énergie qu’ils n’en absorbent. Lors d’une épidémie, la production globale de virions diverge. En décembre 2019, l’épidémie causée par le SARS-CoV-2 est entrée dans la phase de divergence à Wuhan. Les espèces à l’état sauvage sont rarement affectées par les épidémies virales et le plus souvent, les virus sont hébergés sans donner signe de leur présence, circulant de manière endémique, notamment chez les chauves-souris, les rongeurs, les oiseaux. Les élevages d’animaux créent les conditions favorables au développement d’épidémies virales, à cause de la promiscuité des bêtes et d’un possible affaissement de l’état de santé robuste causé par la vie de ces animaux placés dans des conditions artificielles, regroupées dans des parcs, nourries par l’éleveurs et non plus l’existence sauvage. Un troisième facteur s’ajoute aux précédents, le réservoir animal se prête à une diffusion massive de virions placés dans des conditions favorables aux mutations et à l’émergence de variants dotés d’un gain de fonction. Ces trois critères sont tout aussi valables pour les hommes dont le mode d’existence a quitté depuis des millénaires l’ordre naturel. Depuis le néolithique, l’homme produit son milieu en s’affranchissant de la nature et surtout, en perturbant les équilibres naturels, ce qui façonne une instabilité favorable au développement d’états pathologiques endémiques.
Conclusion
Les considérations épistémologiques et ontologiques exposées dans ces quelques pages laissent entrevoir un changement de paradigme. La synthèse moderne, autrement dit la théorie synthétique de l’évolution, avait comme axe central le modèle des instructions et régulations moléculaires, avec la métaphore de l’algorithme, du programme. Et la sélection naturelle comme ressort alors qu’elle n’est qu’un filtre passif. La synthèse moderne est interprétée comme une illusion, notamment dans le cercle de la biologie sémantique dont l’axe central n’est plus le programme, la régulation, mais l’interprétation et le décodage des signes, des codes (Noble, 2021). L’ADN n’est pas un programme mais un texte que la cellule décode. C’est aussi ce qui transparaît avec le virus qui n’est pas un programme contenant des procédures pour se répliquer mais un ensemble composites de codes que la cellule interprète, décode. Une cellule fragilisée par un état pathologique latent effectuera alors un décodage pathologique.
Gómez J, Ariza-Mateos A, Cacho I. Virus is a Signal for the Host Cell. Biosemiotics. 2015 ; 8(3) : 483-491. https://dx.doi.org/10.1007%2Fs12304-015-9245-0
Kosoy, Michael & Kosoy, Roman. Complexity and Biosemiotics in Evolutionary Ecology of Zoonotic Infectious Agents. Evolutionary Applications. (2018) 11 ; 394-403
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/eva.12503
Noble, D. The Illusions of the Modern Synthesis. Biosemiotics 14, 5–24 (2021). https://doi.org/10.1007/s12304-021-09405-3
Mes deux essais
Dugué, B. L’information et la scène du monde, Iste éditions, 2017
https://iste-editions.fr/products/linformation-et-la-scene-du-monde
Dugué, b. Temps, émergences et communications, Iste éditions, 2017
https://iste-editions.fr/products/temps-emergences-et-communications
traduction anglaise
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