Sécurité routière : le « syndrome de l’adjudant »
C’est ainsi que, lors de mon service militaire, j’ai pris l’habitude de désigner le penchant pervers de certains dépositaires d’une once d’autorité officielle pour les sévices, les vexations ou les punitions imméritées, perpétrées ou prononcées à l’encontre des personnes exposées aux effets de cette autorité. Un syndrome qui ne touche pas que les sous-officiers d’active mais aussi, trop souvent, les policiers et les gendarmes en charge de faire respecter le Code de la Route...
Les adjudants vicieux, les adjudants-chefs sadiques, j’en ai connu quelques-uns lors de mes 16 mois de service militaire. Une fréquentation obligée qui, du fait de l’esprit rebelle et de l’intolérance à l’injustice qui me caractérisaient durant ma jeunesse, m’a valu de cumuler 47 jours d’arrêts – dont 8 de rigueur – et en guise de prime 17 jours de « rab* » généreusement accordés par l’autorité militaire.
J’avais auparavant déjà rencontré des pervers dans l’enseignement privé comme je l’ai évoqué dans un article de mars 2010 intitulé « Au bon vieux temps des châtiments corporels dans l’enseignement catholique ». Mais à l’aube des « sixties » ces pratiques ne concernaient plus que de rares institutions religieuses parmi lesquelles l’établissement picard où j’avais eu la malchance insigne d’échouer.
Il y a certes encore, ici et là, des enseignants qui éprouvent un malin plaisir à torturer mentalement des élèves promus contre leur gré au rang peu enviable de souffre-douleur. Mais ils sont peu nombreux, et leurs dérives autoritaires se heurtent en général assez rapidement à des protestations parentales, voire à des réactions syndicales lorsque ces déviants ne sont pas encartés.
Dans la société moderne, ce n’est plus dans le cadre des collèges et des lycées que l’on rencontre les pervers, et l’on ne saurait à cet égard trop remercier les « sixties » d’avoir définitivement contribué à éradiquer les châtiments corporels, à défaut d’avoir éliminé toutes les tentations d’humiliation. Quant à ce qui se passe dans l’armée, seuls les engagés savent à quoi s’en tenir. Il semble cependant que les pratiques dégradantes dont s’étaient fait une spécialité certains « chiens de quartier » se soient là aussi raréfiées.
En revanche, nous pouvons tous être amenés à subir les effets du syndrome de l’adjudant dès lors que nous sommes au volant de notre véhicule et, de ce fait, exposés à des contrôles routiers. Je suis, à cet égard, persuadé que chacun d’entre nous a été, au moins une fois dans sa vie de conducteur, confronté à un abus de pouvoir manifeste, dicté soit par la nécessité de « faire du chiffre » pour améliorer les statistiques de l’Unité de police ou de gendarmerie, soit par un irrépressible besoin de sévir au détriment du premier pékin venu.
Il se trouve que je suis d’un naturel prudent sur la route, et de surcroît respectueux du Code de la Route. C’est pourquoi, en plus de 40 ans de conduite et un demi-million de kilomètres parcourus, je n’ai eu à subir que 5 procès-verbaux d’infraction. Or, malgré ce chiffre très bas, j’ai été victime dans deux cas d’un abus de pouvoir caractérisé, l’un imputable à des gendarmes normands du côté de Barenton (Manche), l’autre à des policiers municipaux de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine).
Une évidente bonne foi
Le premier cas m’a particulièrement révolté. Alors que je roulais en direction d’Alençon sur la route venant d’Avranches, j’ai vu, en bas d’une longue descente située au cœur d’un village, des gendarmes positionnés devant une camionnette en bordure de route dans une posture manifestement préventive. Il va de soi que si j’avais eu quoi que ce soit à me reprocher, j’aurais aussitôt arrêté ma voiture en bord de route ou tourné dans une ruelle du village pour échapper à un contrôle. Or, j’étais parfaitement en règle à tous points de vue.
C’est alors que j’ai eu la surprise d’être arrêté par les gendarmes lorsque je suis parvenu au bas de la descente. « Contrôle de routine », pensais-je. Pas du tout : j’avais perdu ma plaque d’immatriculation avant, ce qui me plaçait effectivement en situation d’infraction. À ce détail près que je venais de faire réviser ma voiture quelques jours plus tôt, et j’avais encore dans la boîte à gants le devis et la facture de la révision, deux documents sur lesquels était inscrite noir sur blanc la fixation de la plaque avant dont les rivets donnaient des signes de faiblesse. À l’évidence, cette petite réparation n’avait pas été correctement faite par l’atelier de mécanique et j’avais dû perdre la plaque en me garant sur un bas-côté quelque peu cahoteux.
Le chef de patrouille n’a rien voulu savoir, malgré la présentation de ces papiers qui attestaient incontestablement de ma bonne foi. De même le gendarme a-t-il repoussé sans ménagement mon offre de me rendre quelques kilomètres plus loin à Domfront (Orne) dans le premier garage afin d’y faire poser une nouvelle plaque avant d’aller faire constater à la gendarmerie du lieu que le véhicule était redevenu conforme. Moyennant quoi, j’ai pris un PV pour « défaut de plaque d’immatriculation » que j’ai refusé de signer.
Peu après, j’ai reçu la notification d’un procès-verbal majoré que j’ai, là encore, refusé de payer. Dans le même temps, j’ai écrit au ministre de la Défense en envoyant une copie complète du dossier. Rien ne s’est passé durant plusieurs semaines. Jusqu’au moment où j’ai reçu une lettre du général commandant la Région Normandie. Il était bien ennuyé, ce brave général. Certes, il reconnaissait que j’avais été victime d’un abus de pouvoir manifeste de la part des gendarmes de Barenton, mais il regrettait de ne pouvoir déjuger totalement les auteurs de ce procès-verbal fantaisiste. En conséquence de quoi, il ramenait le PV au tarif minimal.
De guerre lasse, j’ai abandonné la lutte, et cela d’autant plus que le garage fautif a payé sans protester le procès-verbal dont j’avais été victime. Mais on ne m’enlèvera pas de l’idée que le chef de patrouille a, dans cette affaire, parfaitement illustré le syndrome de l’adjudant.
Une infraction imaginaire
Si le 1er cas est caricatural, le 2e cas n’est pas moins emblématique de la propension qu’ont certains policiers et gendarmes à chercher délibérément des poux dans la tête d’automobilistes qui n’ont rien fait pour mériter un tel traitement.
Ce jour-là, je circulais paisiblement dans la ville de Saint-Malo. Au moment de déboucher dans une grande rue commerçante, j’ai stoppé à un « cédez le passage » pour m’assurer que je pouvais m’engager sans problème dans cette voie. Venant de ma gauche, un véhicule de la police municipale – parfaitement identifiable comme tel – patrouillait à allure réduite, à environ 30 km/h. Je me suis engagé alors que la voiture des policiers était encore à une quarantaine de mètres, et ma manœuvre n’a évidemment pas occasionné le moindre ralentissement du véhicule de police. 100 mètres plus loin, j’étais pourtant contraint de m’arrêter pour écoper d’un PV justifié par un imaginaire « refus de priorité ».
Malgré ma profonde irritation, je suis resté parfaitement maître de moi, et c’est d’un ton très calme que j’ai refusé, là encore, de signer le procès-verbal. Un refus qui a fortement irrité le policier, lequel a examiné ma voiture sous toutes les coutures pour dénicher un motif supplémentaire d’infraction. Peine perdue : des phares aux pneus, tout était en ordre. La voiture de patrouille est repartie avec mon PV non signé en emportant l’évidente frustration du policier municipal.
Je n’ai jamais reçu de notification de ce PV, ni payé la moindre amende correspondant. Je croyais par conséquent avoir échappé totalement à cette sanction imméritée lorsqu’il y a quelques semaines, j’ai vérifié par curiosité le total de mes points sur le site du ministère. Et là, surprise : il y manquait les 4 points correspondant à cet imaginaire « refus de priorité » malouin. Là non plus, je n’avais jamais eu notification de cette amputation imméritée. Par chance, le prétendu délit remontant à près de 3 ans en arrière, les points devaient m’être restitués très rapidement. Je n’ai donc pas cherché à en savoir plus.
Des histoires comme celles-là, j’en ai entendues de nombreuses, de la part de parents, d’amis et de collègues. Et si la plupart des procès-verbaux d’infraction sont justifiés, elles montrent qu’il est des cas où des policiers et des gendarmes, imbus de leur pouvoir de nuisance, se laissent aller à un penchant répressif en outrepassant de manière éhontée leurs attributions. Ces représentants de l’ordre en uniforme cèdent de toute évidence au syndrome de l’adjudant. En agissant ainsi, ils portent préjudice à l’ensemble de leurs collègues et dégradent l’image des corps qu’ils sont censés servir !
* Un « rab » qui a donné lieu à un classique en matière de sadisme : le jour du départ de mes « classards », j’ai été affecté au... poste de garde de la caserne, le meilleur endroit pour voir partir les « quillards » rendus à la vie civile. Mauvais choix de la part du sous-off dont je dépendais pour mes 17 jours de supplément : d’une part, la plupart de mes camarades m’ont gratifié d’un billet pour boire à leur santé ; d’autre part, j’ai bloqué à l’extérieur de l’enceinte (barrière fermée) tous les officiers et sous-officiers en voiture qui habitaient hors de la caserne lorsqu’ils n’avaient pas sur eux leurs papiers militaires.
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