« Suspect, quel vilain mot ! » plaisantait Coluche
À une époque où une personne suspectée d’avoir commis un délit, et interpellée par la police, n’était pas immédiatement cataloguée comme présumée coupable par l’ensemble des médias.
Le matin du 18 février 2014, lorsque cet agent de sécurité habitant à Menthon-Saint-Bernard, petite localité alpine, s’est levé pour se rendre à son travail en Suisse, il ne s’attendait pas à faire la "une" de toutes les rédactions de France et du Royaume-Uni, parce que suspecté de crime, dans les heures qui allaient suivre.
Est-il une personne en France qui ne connaisse pas le drame de la tuerie de Chevaline - laquelle tuerie remonte à septembre 2012 - et qui fait toujours l’objet d’une enquête de police ?
Si oui, pour cette personne, en résumé :
- Le 05 septembre 2012, dans une zone forestière de la commune de Chevaline située sur les hauteurs du lac d'Annecy (Haute-Savoie), 3 membres d’une même famille issue de la bourgeoisie cossue irakienne, résidant habituellement en Angleterre, un homme de 50 ans, son épouse, âgée de 47 ans, et la mère de son épouse, sont retrouvés morts dans leur voiture, tués par balles.
Chaque victime a reçu au moins deux balles dans la tête ce qui peut s’apparenter à une exécution.
Les deux filles des victimes, respectivement âgées de 7 et 4 ans ont réchappé à la tuerie ce qui n’est pas le cas d’un cycliste, totalement étranger à la famille, retrouvé mort un peu plus loin, le corps criblé de 7 balles.
Depuis, on se perd en conjectures sur les raisons de cette tuerie.
Depuis le 18 février dernier, est-il désormais une personne qui ne connaisse pas l’existence et l’aspect de cet ancien policier municipal âgé de 48 ans, soupçonné d’avoir été impliqué dans la tuerie de Chevaline, mis en garde à vue après une arrestation assez spectaculaire, et relâché après avoir été reconnu innocent de toute participation à cette tuerie ?
On le connaît par les médias, bien sûr, qui, tous autant qu’ils sont, ont largement retransmis l’information avec récit de l’arrestation, raisons des soupçons, et interviews de divers menthonnais et menthonnaises.
On le connaît aussi parce que l’homme, de son nom Eric Devouassoux, a tenu à faire connaître à un large public, via des interviews télévisées et radiophoniques, le calvaire qu’il a vécu suite à cette arrestation et les préjudices qui s’en sont ensuivis et qui perdurent dont, et ce ne sont pas les moindres, une famille et un gamin de 13 ans traumatisés, et la perte de son emploi en tant qu’agent de sécurité avec le retrait de la carte professionnelle sans laquelle il ne peut plus exercer son métier en Suisse.
Et tout un chacun peut se poser la question de savoir pour quelle raison je rappelle ces événements puisqu’ils sont archi connus tant du fait des médias que de l’homme récemment impliqué dans cette enquête policière.
Et bien, c’est qu’une fois de plus, j’ai été tellement ébahie par l’attitude des présentateurs des émissions en les entendant manifester autant de sympathie envers l’ex suspect, Eric Devouassoux qu’ils recevaient sur leurs plateaux, dans leurs studios, que j’en oubliais de me scandaliser.
Cela ressemblait, m’a-t-il semblé, au concours de qui s’indignerait le plus des méthodes policières et des propos rapportés par les menthonnais et menthonnaises.
Ah comme ils se montraient tout autant prolixes qu’admirablement outrés les présentateurs des émissions de télévision ou de radio fustigeant des policiers agissant sans discernement avec une extrême brutalité, stigmatisant des particuliers médisants qui parlaient à tort et à travers sans mesurer la portée de leurs propos ! Voilà ce qu’il ressortait de manière sous-entendue de leurs commentaires selon la perception que j’en ai eue.
À se demander ce qui les animait le plus, les présentateurs des émissions de télévision et de radio, de la bêtise ou du cynisme ?
Parce qu’il faut quand même remettre les choses à leur place.
Sans vouloir discuter de leur méthode, peut-être un peu trop musclée, mais que personne n’aurait songé à leur reprocher si l’homme arrêté avait bien été le responsable de la tuerie, les policiers ont agi à partir d’éléments concrets :
- un portrait robot qui correspondait au physique de l’homme interpellé
- le soupçon de présence de son téléphone portable dans les environs proches de l’endroit où avait eu lieu la tuerie
- la découverte d’une impressionnante collection d’armes à son domicile
Il me semble donc que c’est moins leur intervention qui a été préjudiciable à Eric Devouassoux, non plus d’ailleurs que les propos tenus par les personnes appelées à donner leur avis par les journalistes, que les journalistes eux-mêmes... Et encore plus leurs employeurs.
Parce que bien sûr, les journalistes tiennent à leur emploi comme tout un chacun - et encore plus en cette période de crise où ils doivent donner le pire d’eux-mêmes pour se maintenir à leur poste - et ils savaient très bien que ce qui était attendu d’eux n’étaient pas qu’ils rapportent des louanges ou même seulement des propos objectifs s’agissant d’un supposé tueur.
Or l’art du journaliste de terrain est de savoir poser la question qui amènera la personne interrogée à répondre ce qu’il a envie de lui entendre dire.
Ce qu’il serait intéressant de savoir, c’est le nombre d’enregistrements qui ont été effacés parce que jugés trop bienveillants ou seulement trop objectifs s’agissant d’un homme soupçonné d’être un tueur.
Que les journalistes fassent leur travail de reporters, c’est bien et c’est utile. Mais qu’ils soient amenés à produire une surenchère de sordide parce que c’est ce qui se vend le mieux, cela ne s’appelle plus du journalisme, c’est du colportage de ragots et il n’est pas besoin d’avoir obtenu Bac+5 pour exercer ce genre d’activité.
Il est vrai que désormais, pour le genre de travail demandé, un simple bac suffit à un employeur pourvu que le candidat ignore le sens du mot déontologie.
Mais là où on plonge dans l’absurdité, c’est quand un innocent n’a pour moyen de se défendre des attaques dont il a injustement fait l’objet que s’adresser à ceux qui sont les premiers responsables des torts qui lui ont été faits.
Enfin, à ceux qui balaieront cette chronique d’un geste ennuyé parce que déjà d’autres actualités leur apparaissent comme plus importantes, ceux qui n’en comprendront pas l’intérêt, je demande :
« Et si demain, c’était vous le suspect ? »
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