Ukraine. La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens
La citation la plus connue de Carl von Clausewitz convient totalement à cette opération spéciale ou à cette guerre en Ukraine. Qu'on appelle cette opération militaire comme on veut, cela ne change rien à la réalité. Ce n'est pas une opération spéciale qui sous-entendrait qu'il s'agit d'un conflit circonscrit à un petit territoire avec peu de combattants et ce n'est pas une guerre totale vu que la Russie n'a engagé qu'une infime partie de ses forces armées (même pas les meilleures) et elle ne cherche ni une occupation permanente ni une destruction de l'Ukraine. Quelle qu'en soit la conclusion, cette opération militaire aura débloqué une situation politique figée depuis huit ans qui n'était plus ni dans l'intérêt de la Russie ni dans celui de l'Ukraine.
Une force armée ukrainienne d'environ 80000 à 120000 hommes rassemblée dans le Donbass et les tirs d'artillerie de plus en plus fréquents et intensifs indiquaient qu'une offensive ukrainienne contre les républiques séparatistes était imminente.
La Russie se serait alors vue obligée de soutenir les séparatistes et d'intervenir directement si comme tout le laissait entendre, ces derniers ne pouvaient pas résister à cette force ukrainienne bien préparée et plusieurs fois supérieure en nombre. La Russie et les républiques séparatistes auraient alors eu beaucoup plus de pertes que maintenant parce que la Russie aurait dû engager ses blindés et son aviation sur un territoire petit où elle ne pouvait pas se déployer tactiquement et que de son côté, l'armée ukrainienne dispose de missiles anti-aériens et antichars en grand nombre.
Une contre-offensive à partir des républiques indépendantistes aurait ensuite encore été plus coûteuse en vies humaines russes parce que comme on peut le constater aujourd'hui, l'armée ukrainienne a transformé certaines petites villes de la région en places fortes imprenables sans une intervention massive de l'artillerie. Cela aurait fait une dizaine de mini Grozny.
De plus, cette guerre se serait passée dans des zones peuplées d'habitants russophiles qui auraient formé le gros des pertes civiles.
Ces considérations n'ont pas dû échapper à l’État-major russe et à Vladimir Poutine en particulier. Il s'est alors souvenu d'un principe qu'il avait appris dans sa jeunesse dans les rues de Leningrad : « Si la bagarre est inévitable, il faut frapper le premier. »
J'avais bien prévu la reconnaissance de la RPD et de la RPL par la Russie ainsi que l'introduction de troupes russes dans les deux républiques. Je ne sais pas si cela aurait suffi à calmer les ardeurs belliqueuses des Ukrainiens et si cela aurait empêché leur offensive mais je me rends compte maintenant que les objectifs principaux des Russes n'auraient pas été atteints : la non-adhésion à l'OTAN, le statut neutre, la démilitarisation de l'Ukraine ainsi que la reconnaissance du russe comme langue officielle, la renonciation à la Crimée et l'arrêt de la propagande antirusse (dénazification).
Que peut-on dire de cette offensive russe ?
D'abord, qu'elle a surpris pas mal de monde par son ampleur et par son déclenchement sur quatre fronts.
Contrairement aux généraux d'opérette qui se produisent sur les plateaux de télévision, je ne suis pas surpris par la tournure des événements.
Il ne s'agit peut-être pas du déroulement le plus optimiste mais nous sommes toujours dans le plan A qui se déroule suivant les schémas habituels des offensives russes dans les guerres précédentes avec néanmoins une différence : l'emploi massif de l'artillerie est remplacé jusqu'à présent par des frappes ciblées.
Comme toujours, l'armée russe avance dans un mouvement d'encerclement des principales forces ennemies en sécurisant les zones conquises.
Dans ce cas précis, les meilleures unités ukrainiennes étaient positionnées dans le Donbass en vue de lancer une offensive et une fois prises dans la nasse, elles n'auront d'autre possibilité que de se rendre ou d'être détruites car sans le flux tendu qui aurait dû les soutenir, elles seront privées de munitions et de ravitaillement.
Une retraite partielle est peut-être envisageable s'il reste assez de véhicules et de carburant mais il n'y a pas de ligne de repli si ce n'est derrière le Dniepr et il y a une distance d'au moins 200 km en rase campagne avant d'arriver à la première ville sur le fleuve. De son côté, la Russie peut détruire tous les ponts si nécessaire et bloquer une traversée du Dniepr.
Nous voyons bien que les forces russes commencent à remonter le fleuve sur la rive droite qui est mal défendue et si c'est nécessaire, elles bloqueront la traversée des unités ukrainienne.
À mon avis, c'est l'histoire de deux à trois semaines. [i]
Il faut aussi noter les avis stupides qui parlent d'une blitzkrieg ratée des Russes.
Une blitzkrieg est une opération coup de poing massive sur un point du front pour prendre une position précise loin derrière les lignes ennemies ou couper son ravitaillement. La blitzkrieg n'a jamais fait partie des tactiques de l'armée russe simplement parce que cela demande une logistique trop importante et que ce n'est pas le point fort des Russes. On parle généralement d'un combattant pour dix non-combattants pour réussir une telle opération.
J'ai aussi souvent entendu que l'armée ukrainienne se rendrait en masse sans combattre.
Cela aurait peut-être été vrai il y a cinq ans mais l'armée ukrainienne a été restructurée et elle est bien plus combative de nos jours. La plupart des officiers sont originaires d'Ukraine occidentale et ceux qui avaient des affinités pro-russes ont été écartés.
Les nouvelles recrues de l'armée de métier sont par définition motivés à se battre pour leur pays. Les appelés qui servent actuellement dans l'armée sont aussi les plus motivés vu que les autres, on parle de plus de 50 %, n'ont pas répondu à leur convocation.
Finalement et c'est le plus important, toute l'armée ukrainienne actuelle a été formée par des instructeurs occidentaux, principalement des Canadiens, des Britanniques et des Américains, et elle a été formée à l'utilisation des armes défensives occidentales.
La Russie avait peut-être envisagé pour la forme un plan .0 et espérait un coup d’État militaire mais il ne devait pas y avoir beaucoup de généraux qui y croyaient.
L'idéal pour la Russie est de ne pas commettre l'erreur des Américains en Irak en laissant l'armée ukrainienne se dissoudre. Ici, si cela devait arriver, ce serait une catastrophe pour les autorités russes.
En attendant de nouvelles élections orientées mais cette fois dans l'autre sens, l'armée ukrainienne devrait contrôler le pays ou du moins les parties centrale et orientale avec l'appui des forces russes.
La prise de contrôle de Kiev devient ici primordiale parce qu'elle permettrait la prise de contrôle des outils de communication comme la télévision, la radio et les principaux organes de presse.
Est-ce que la résistance des civils dans les villes perdurera après l'arrêt des combats ?
Sans doute mais en diminuant dès que les activités économiques reprendront.
Y-aura-t-il une résistance armée de type guérilla ?
C'est très probable avec l'aide des pays occidentaux.
Quel pourrait être l'avenir de l'Ukraine ?
Sans avoir trouvé un quelconque plan de ce genre dans les médias, je pense que les autorités russes rêvent d'une Ukraine fédérale avec un Est russophone, un Centre ukrainophone et une capitale bilingue plus une Crimée reconnue comme russe et un Donbass indépendant. La partie occidentale de l'Ukraine deviendrait une espèce d'Idlib pour tous les groupes néo-nazis, nationalistes et pro-occidentaux.
L'inconnue est de savoir si Odessa fera partie de la région centrale ou orientale et si les provinces de Jitomir et Vinnitsa feront partie de la région centrale ou occidentale.
Ce serait bien sûr un plan inacceptable pour les Occidentaux mais comment vont-ils l'empêcher ?
Il faut rester très circonspect devant toute la rhétorique antirusse qui frise l'hystérie chez certains politiques et dans certains médias où des journalistes sportifs se muent du jour au lendemain en spécialistes en géopolitique.
Je ne sais pas quel est l'objectif de cette attitude. Est-ce l'audimat ? Est-ce la préparation de l'opinion publique aux temps difficiles qui nous attendent ? Sont-ce les prémices d'une guerre contre la Russie ? Est-ce tout cela à la fois ? La réponse ne tardera pas à venir.
En attendant, c'est l'émotion qui prend le pas sur l'information objective et surtout sur l'analyse dépassionnée.
Quelques exemples.
En temps de guerre, les militaires évitent de rester dans des casernes trop facilement ciblables comme ce fut récemment les cas à Yavoriv et à Nikolaev. Pour leur sécurité, ils choisissent alors des bâtiments civils moralement plus difficile à cibler.
L'hôpital pour enfants de Marioupol est un exemple concret. Il avait été complètement évacué de son personnel et de ses patients non par le régiment Azov comme l'a erronément affirmé Sergueï Lavrov mais par le corps des marines. Il y a des témoignages d'Ukrainiens réfugiés vers l'Est qui en témoignent mais ce n'est pas diffusé sur les chaînes françaises.
La mise en scène de l'évacuation d'une femme enceinte est ridicule et cette dame révélera sûrement la vérité à la fin des combats.
Il y a aussi la destruction d'un théâtre avec 1500 personnes présentes... dans un abri anti-aérien tout proche qui a fait... un blessé. Ici aussi, il faut être prudent car il y a des témoins qui disent que ce sont les forces ukrainiennes qui ont fait exploser le bâtiment.
Je ne parlerai même pas d'une soi-disant attaque contre une centrale nucléaire dont le seul haut fait a été des tirs sur un bâtiment administratif tenu par des militaires ukrainiens et qui se trouvent à plus de 500 m du réacteur le plus proche.
Les écoles, les hôpitaux, les bâtiments publics, les centres commerciaux, les métros sont des lieux privilégiés pour héberger les militaires surtout qu'en ex-Union soviétique, ils comprennent souvent des abris anti-aériens et parfois même des abris antiatomiques. Même les églises (ou les mosquées en Syrie par exemple) peuvent servir de dépôts de munition.
Alors, les révélations sensationnelles et univoques de la propagande occidentale laissent un observateur neutre comme moi de marbre.
Je ne suis pas insensible aux malheurs des réfugiés ukrainiens et à leur incompréhension de ce qui leur arrive mais je prends aussi en compte les témoignages des réfugiés qui sont pris en charge par la Russie et par la Biélorussie. Suivant les sources russes, ils seraient deux millions sept cents mille à vouloir se réfugier en Russie, un nombre à vérifier évidement.
Pour bien comprendre cette crise, il ne faut pas prendre la date du 24 février ni même le « Maïdan » de 2014 comme point de départ. Il faut remonter à la chute du rideau de fer en 1991 et aux promesses qui n'ont pas été tenues par les Occidentaux.
Il y a tout un fil à suivre et la crise actuelle est l'inévitable conclusion des roueries et des faux serments occidentaux.
Qui se souvient encore que les installations anti-missiles en Pologne et en Roumanie devaient servir à se protéger des missiles iraniens et nord-coréens ? Combien de journalistes se sont ridiculisés et se sont déconsidérés en l'affirmant ?
Je pense encore toujours que Vladimir Poutine est tombé dans le piège tendu par les faucons américains mais il a peut-être encore des atouts cachés.
Ce qui est paradoxal, c'est que les sanctions de l'enfer européennes ont des effets désastreux sur nos économies et jusqu'à présent, très peu sur le pouvoir d'achat des Russes. Le prix du carburant converti en euro par exemple est actuellement d'environs 40 cents pour un litre en Russie.
Et la Russie n'a pas encore répondu par des contre-sanctions !
Je dirais pour conclure que Vladimir Poutine a préparé son pays à la confrontation avec l'Occident depuis la Conférence sur la sécurité de 2007 à Munich. Il a lancé à plusieurs reprises des mises en garde à l'Occident tout en préparant son pays à être capable de vivre en autarcie.
Les États-Unis étaient pris dans leurs guerres au Moyen-Orient et l'Europe se préoccupait davantage de problèmes sociétaux et de libéralisme consumériste basé sur des énergies bon marchés. Ils n'ont pas pris ces mises en garde au sérieux.
Cette chance est malheureusement passée et les Européens ne tarderont pas à s'en apercevoir.
Les Occidentaux n'ont à ce jour pas réussi à réunir une large coalition contre la Russie.
À l'assemblée des Nations Unies, beaucoup de pays se sont abstenus et pas des moindres. Parmi ceux qui ont condamné la Russie, beaucoup n'adoptent pas de sanctions.
On peut citer en vrac la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud, les pétromonarchies du Golfe, l'Iran, Israël, le Mexique, toute l'Amérique latine sauf la Colombie, toute l'Afrique, toute l'Asie sauf le Japon et la Corée du Sud, la Turquie etc.
Presque tous les pays du monde ont des griefs contre l'Occident et ses organisations internationales. La pression d'Antony Blinken pour isoler la Russie a peu de chance d'aboutir parce que l'image de marque de la Russie est généralement positive dans la plupart des pays cité ci-dessus.
Tout cela va se décanter dans quelques mois et on verra peut-être alors l'émergence d'un ordre international nouveau.
i Je suis assez critique sur les vidéos de Xavier Moreau qui donne quelques jours avant l'effondrement de l'armée ukrainienne. Mon évaluation est basée sur des sites russes indépendants et sur des fuites de responsables américains.
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