Vive la psychanalyse !
J’ai commencé une psychanalyse à la suite du décès de mon père, alors que j’avais cinq ans. Ce deuil a bouleversé une grande partie de ma vie, sans doute, d’une certaine manière, encore aujourd’hui. Je totalise une bonne douzaine d’années à fréquenter des psys, en trois tranches successives. Après tout ce parcours, je considère que la psychanalyse m’a sauvé, elle m’a permis d’aimer, d’être père, de retrouver mon histoire, et d’être sans cesse plus heureux et plus créatif.
Revenons à Onfray
Je n’ai pas lu le livre d’Onfray, mais je l’ai entendu et lu commenter assidûment son ouvrage à la télé ou dans les magazines. J’en ai retenu que sa contestation de Freud s’appliquait principalement aux premières années de son travail, c’est-à-dire avant la parution de l’ouvrage « L’interprétation du rêve », en 1899/1900. Or, tout le monde savait, bien avant Onfray, que Sigmund Freud, comme tous les découvreurs, avaient cherché dans toutes les directions, y compris celles les plus « farfelues », comme par exemple, l’intérêt de la cocaïne. Freud explique lui même ce qui l’a amené à se tromper de diagnostic dans certains cas cliniques. C’est même, à mon avis, ce qui fait l’audace du génie.
Mais ce que l’on pardonne à tous les inventeurs, Darwin, Newton (qui était insupportable pour son entourage et la communauté scientifique) ou à Einstein ( détestable avec ses femmes successives), on ne peut le pardonner à Freud. Mais Freud n’était qu’un homme, pétri de ses contradictions. Le minimum, pour un philosophe, serait d’admettre la complexité humaine, et le paradoxe de toute œuvre, entre ce qui est produit et l’auteur qui le produit.
Onfray, pour se mettre les rieurs de son côté, déploie un tas d’arguments fallacieux qui ne lui font pas honneur, comme le prix d’une séance chez Freud à la fin de sa vie, ou encore, l’attitude flottante du psychanalyste.
Freud a développé ses théories dans une œuvre monumentale. Il faudrait reconsidérer cette œuvre et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, encore aujourd’hui, on ne sait trop s’il s’agit de philosophie, de psychiatrie, ou de science ou de tout cela un peu à la fois. A dire vrai, je pense que les théories de Freud ne peuvent prêter à l’examen que si on a été, soi-même, expérimenter la psychanalyse. Il y a de nombreux analysants déçus de leur cure. Je pense que leur témoignage aurait plus de valeur que l’analyse mécaniste et intellectuelle de Michel Onfray, car l’expérience de la psychanalyse est tout sauf intellectuelle. C’est une expérience de l’émotion avant tout.
Revenons à Freud
On a beau contester Freud, et je pense même que toute posture d’un psychanalyste devrait amener à le contester, mais il reste incontournable et le restera sans doute encore longtemps.
- si l’on renie l’inconscient freudien, tel que le suggère Michel Onfray, que reste-t-il ? Que reste-t-il pour expliquer les comportements humains les plus pathologiques ? Pour comprendre une personnalité « perverse », par exemple, n’y aurait-il plus que le diable ? le bien et le mal ?
- Qui pourrait nier la sexualité infantile ? D’ailleurs, rien n’est plus naturel, au fond, que le développement de l’enfant qui passe de l’alimentaire à la sexualité. Je vous livre, ci après, un texte que je viens d’écrire sur la sexualité infantile et le complexe d’Œdipe, qui va peut être éclairer :
« Pourquoi le sexe fait-il à la fois aussi peur tout en étant si captivant ? Que l’on redoute la mort peut se comprendre, car nous savons bien que c’est notre fin du monde, mais le sexe ? Surtout, la sexualité des enfants et le fameux complexe d’Œdipe qui fait pousser des cris d’orfraie. Pourquoi avons nous autant de difficultés à imaginer que l’enfant puisse avoir une vie sexuelle ? Tout commence avec l’animal qui est en lui, le désir irrésistible de s’approcher du sein maternel et de s’y abreuver. Comment pourrait-il en être autrement ? C’est là que la nature fait bien les choses. Dans ce désir archaïque et vital de s’alimenter se trouvent aussi un autre désir, tout aussi fondamental, et qui annonce que l’enfant qui vient de naître sera lui aussi capable de procréer à son tour. Dans ce qui pousse le nourrisson vers le sein de sa mère se trouve en germe toute l’énergie d’un autre développement, celui du désir, de l’amour et de la sexualité. Il reste toutes les étapes qui permettent d’accéder à l’indépendance et à l’amour adulte. L’une d’elle est la perception d’une tierce personne. Car tout allait si bien jusque là, entre l’enfant et sa mère nourricière. La mère donnait le sein à son enfant et l’enfant était comblé de cette bienheureuse dépendance, à la fois affective et alimentaire. Tout cela aurait pu être éternel s’il n’y avait pas eu cette connerie de grandir, qui oblige à se détacher de cette dépendance, pourtant si délicieuse. Autant vous prévenir : cet autre qui va déranger le bel ordonnancement entre la mère et l’enfant est un affreux, un fouettard, un ennemi. Mais aussi une fascination, quelqu’un à vous rendre jaloux, un fort comme un turc : l’étranger qu’on va reconnaître, le père. Tout finit et tout commence avec le père, qui sera autant honni qu’admiré. La vie affective pourrait donc être simple. Tout commence avec le plaisir du bébé qui cherche le sein maternel, voire le biberon, comme dirait Elisabeth Badinter, puis, de ce plaisir originel découlent toutes les autres envies, toutes les autres découvertes, à commencer par celle de comprendre que l’on a un corps, à soi tout seul, dont les plus beaux moments seront pour toujours des instants de plaisir. Tout pourrait donc être simple au pays affectif des contes de fées, sauf qu’il n’y a pas que l’amour ou le plaisir, il y a aussi la frustration, la haine et la honte. »
Comme je l’ai écrit par ailleurs, Freud est, parmi les génies de ces derniers siècles, quelqu’un de très énervant, pour ses détracteurs comme pour les psychanalystes qui l’admirent. Car il n’est pas si facile à dépasser, tout en considérant qu’il s’est trompé à plusieurs reprise, et par là même, « c’est du génie des hommes d’envisager qu’ils se soient trompé. » Mais on ne reconnaîtra jamais cela au génie de Freud. Pourtant, il l’exprime dans nombre de ces textes, y compris « Pourquoi la guerre », dont parle M. Onfray, en prenant soin de n’en garder que ce qui l’arrange.
Revenons à la psychanalyse
Comme Freud le prévoyait dès 1910, la psychanalyse serait controversée et le sera encore. Pour ceux qui ont vécu cette expérience, elle en recèle des tas de mystères. Par exemple, lorsque l’on s’y met vraiment, et pas qu’en théorie, on est surpris de la dialectique que l’on découvre entre le déterminisme psychique, la faculté de cette conscience là que la psychanalyse permet, et, en même temps, de se découvrir de nouvelles libertés. C’est un sujet bien intéressant pour les philosophes, plutôt que de décrire son charlatanisme.
La psychanalyse m’a sauvé. Est-ce un effet placebo ? Imaginons que cela soit le cas, ce que je ne pense pas, il vaudrait quand même la possibilité que cela soit étudié, non ? Si un placebo, tel qu’une psychanalyse ou une croyance quelconque guérit, il mérite l’examen. Or, Freud s’y est penché, corps et âme. Il en a livré une expérience inégalée, source d’une multitude de réflexions, de controverses aussi, et de compréhensions, jusque dans les palais de justice.
Et c’est ce que l’on lui reproche aujourd’hui, un siècle après.
La psychanalyse fut également l’inventeur de la parole au centre de toute douleur. Ne serait-ce que pour cela, elle demeure irremplaçable.
Mon blog : psychanalyse et peintures :
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