Hier soir, j’ai vécu une des séances les plus lamentables de l’Assemblée nationale. A partir de 21h30 s’est déroulée la discussion générale sur le projet de loi Création et internet, dit Hadopi, lors de la 2ème séance consacrée à la seconde lecture de ce texte.
Dès l’après-midi, le ton avait été donné : Jean-François Copé voulait sa revanche de l’humiliation subie le 9 avril dernier. Il savait parfaitement que la plupart des parlementaires n’ont qu’une connaissance superficielle du texte et de ses enjeux et qu’au demeurant remontent vers eux les critiques le plus souvent justifiées sur les difficultés techniques et sur les inconvénients juridiques de la mise en œuvre de cette loi. Il a donc tenu à déplacer le débat essentiel. Celui-ci porte sur la possibilité d’harmoniser l’héritage culturel des droits d’auteur si fort, dans notre pays, avec la révolution numérique, dont on ne mesure pas suffisamment l’ampleur. Il lui a substitué un affrontement gauche/droite, qu’il avait d’ailleurs annoncé : il ne s’agit plus de discuter d’un projet de loi, mais d’assurer la victoire en 2ème manche de la majorité.
La technique mise en œuvre a été simple : la provocation. Madame Albanel, qui n’a évidement pas à juger l’attitude des parlementaires, en raison de la séparation des pouvoirs, s’est permise par maladresse de qualifier le vote du 9 avril de “rocambolesque”. Jean-François Copé s’est empressé de reprendre le terme, comme plus tard il n’hésitera pas à employer le qualificatif de “minable” à l’encontre d’une intervention du Président du Groupe socialiste sur l’absence d’annonce du remplacement de Pierre Bédier. Autrement dit, cela a rarement volé aussi bas : rappels au Règlement en rafale, suspensions de séance en cascade, jusqu’au coup de gong du quorum. Bref, toutes les recettes des procédures parlementaires d’obstruction ont été mises en œuvre, en réponse à des provocations de la majorité que le Président Accoyer n’est malheureusement pas parvenu à empêcher.
Dans ce naufrage, le débat sur le fond a été englouti. Certes, la droite a invoqué les artistes, la gauche, les internautes, mais dans les deux cas, sur un mode incantatoire qui a dû persuader les uns et les autres qu’ils n’étaient pas la préoccupation essentielle. Pourtant, le sujet est complexe et passionnant et les divergences ne recouvrent absolument pas le clivage habituel et simpliste de la gauche et de la droite. Il correspond davantage à cette bonne vieille opposition des Anciens et des Modernes. Au Sénat, chez les Anciens…, le texte avait été voté unanimement et dans le calme. A l’Assemblée, où il y a davantage de Modernes…, on savait que la majorité du Groupe socialiste était opposée au texte, mais que Jack Lang y était favorable. On savait aussi que la majorité le soutenait, mais que Jean Dionis du Séjour, au Groupe Nouveau Centre, Alain Suguenot, Lionel Tardy et moi-même, à l’UMP, y étions hostiles. Il est frappant de constater que Dionis du Séjour est intervenu lors de la discussion générale, dans une prise de parole très équilibrée, entre la position de son Groupe et la sienne, tandis qu’aucun des 3 membres du Groupe UMP hostiles au texte n’a pu s’exprimer.
Une fois encore, il faut déplorer les limites de la pratique démocratique au sein du Groupe UMP de l’Assemblée nationale. Tant au sein du Groupe lui-même qu’au sein de la Commission des Lois, les détenteurs du pouvoir semblent davantage enclins à faire valoir leur image ou à imposer leur vue qu’à laisser la place qui convient au débat, à l’échange des idées, à la confrontation des points de vue. Le Parlement est, dans une démocratie, le temple de la parole. S’il est nécessaire que cette parole débouche sur des actions constructives, il est déplorable qu’elle soit sacrifiée à des agitations égocentriques. Celles-ci contribuent à discréditer la fonction parlementaire et à développer l’antiparlementarisme.
Les débats reprennent lundi prochain ; on peut espérer que le week-end apportera la sagesse nécessaire aux uns et aux autres pour aborder vraiment le sujet et respecter davantage ceux qui s’y intéressent et la mission qu’ils ont confiée comme l’ensemble des citoyens aux parlementaires.
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