Big Brother is watching you
Alors ce matin, j’écoutais Jean-Marc Morandini parce que, ce que j’aime dans cette émission, c’est quand les auditeurs appellent pour donner leur avis. Bien sûr, il faut garder à l’esprit que les auditeurs sélectionnés pour passer à l’antenne ne le sont pas toujours d’une manière très objective, mais c’est quand même intéressant. Déjà parce que souvent ils se prononcent sur des sujets auxquels ils ne connaissent rien, en particulier la justice et la médecine. Ayons une pensée émue pour les médecins, juristes, etc., qui se font expliquer leur boulot par leurs clients tous les jours...
J’apprends que des jeunes se seraient battus avec la police sur le Champs-de-Mars. En réponse à cette agression, Rachida Dati a demandé à Bertrand Delanoë d’installer des caméras de surveillance sur le site. Le thème proposé aux auditeurs était donc "pour ou contre l’installation de caméras de surveillance dans les lieux publics".
Autant vous dire que ça a été festival. Deux ou trois personnes ont appelé pour expliquer qu’installer des caméras partout revenait à surveiller tout le monde et amputait nos libertés. Ils ne veulent pas qu’on sache où ils vont, ce qu’ils font sous prétexte de sécurité. Je suis totalement d’accord. Déjà qu’on a de multiples modes de traçage des gens, on ne va quand même pas en rajouter. Rien que le pass Navigo, qui en théorie devrait juste renseigner le portique du métro si votre compte est crédité ou pas, donne au serveur votre identité et votre lieu de passage, ainsi que l’heure où vous êtes passé. Tout ça sans aucune justification ! Déjà parce qu’en admettant que ce soit, par exemple, au cas où quelqu’un ait disparu, la station de métro de sortie ne donne pas vraiment d’informations et, au cas où ce serait pour retrouver un fugitif, ça m’étonnerait que le fugitif en question utilise un pass traçant alors qu’on peut utiliser des tickets. Cela ne sert donc à rien, c’est de la surveillance gratuite. De même pour les caméras. Qu’on en installe vers les distributeurs, les banques ou les commerces ne me choque pas, ce sont des initiatives privées, les gens se protègent comme ils veulent. Et même dans les transports, ça ne me dérange pas, même si je préférerais plutôt voir la police dans les stations de métro plutôt que des caméras qui n’ont jamais empêché une agression.
Alors que Francis, un anti-caméra expliquait qu’il ne souhaitait pas se voir constamment surveillé, Morandini lui pose la question qui tue : "Mais ça intéresse qui Francis ce que vous faites, à partir du moment où vous ne faites rien ?", autrement dit, si vous êtes honnête, la présence de caméras ne devrait pas vous déranger. L’auditeur répond : "Oui, mais au nom de ça on est en train d’interdire à tout individu tout comportement privé. Ce n’est pas parce que je ne fais rien que c’est pour autant tolérable". Et Francis a, à mon avis, tout à fait raison. La question de Morandini m’a paru assez stupide faut avouer, mais en fait pas tant que ça, quand on se rend compte que beaucoup de gens pensent effectivement que, du moment qu’on se tient à carreau, la surveillance ne pose pas de problème.
Suite de l’échange : Maryline, une autre auditrice, s’est fait agresser, comme Marie, une auditrice précédente. Les deux sont pour la présence de caméras. Maryline qualifie même de "pathétique" le fait de ne pas vouloir de caméras. Selon elle, la société évolue vers un monde de plus en plus violent, et qu’il faut donc s’accommoder des mesures sécuritaires. Elle pense que, du moment qu’on n’a rien à cacher, on n’est pas dérangé par les caméras. Un homme qui habite en banlieue parisienne est du même avis : "Ca ne porte pas atteinte à la vie privée, parce que si on n’a rien à cacher [il] pense qu’il n’y a pas de problème à se laisser filmer." Il prend comme exemple la ville de Londres, truffée de caméras, où le taux de résolution de crime aurait augmenté grâce à elles. Enfin un autre auditeur appelle pour exprimer le même point de vue, ajoutant même "l’atteinte aux libertés, c’est quand on m’agresse, pas quand on me protège."

Déjà, Morandini aurait dû dire à l’auditeur prenant l’Angleterre comme exemple que les centaines de CCTV installées à Londres n’ont en rien amélioré les résolutions de crime. C’est une grosse couleuvre que le gouvernement essaie de nous faire avaler depuis des années. Il y a quelque temps, les démocrates libéraux de l’Assemblée de Londres ont demandé les chiffres des résolutions en utilisant le Freedom Information Act, loi sur la liberté d’information qui permet d’obtenir des renseignements de quelque 100 000 structures publiques, tant que cela ne compromet pas la sécurité nationale. Autant dire que ça n’existe pas en France !
Il faut savoir que les 10 000 caméras de surveillance londoniennes ont coûté depuis leur installation 200 millions de livres au contribuable soit environ 250 millions d’euros. Il était donc compréhensible que l’on veuille connaître l’efficacité du dispositif. Les démocrates libéraux se sont donc rendus compte que lorsqu’on compare le nombre de caméras dans chaque quartier de Londres avec le nombre de crimes résolus par la police, il n’y a pas de différence entre les quartiers équipés de caméras et ceux qui n’en ont pas. Pour tout dire quatre quartiers sur les cinq les plus équipés ont un taux de résolution inférieur à la moyenne ! Il faut quand même noter que, dans ces chiffres, les caméras privées ne sont pas prises en compte.
Malgré cela, on voit que les caméras installées par l’Etat n’ont qu’un impact très limité sur la réduction des crimes. Les images ne sont souvent pas exploitables :


Sur cette photo, la jeune voleuse n’est pas identifiable, ni même son complice.
et apparemment, la présence de caméras ne décourage pas les criminels. Maintenant que le point est fait sur l’efficacité des caméras, revenons à l’argumentaire développé par les auditeurs de l’émission.
L’idée selon laquelle un honnête citoyen ne devrait pas être dérangé par les caméras s’inscrit dans un glissement progressif de la société d’une politique de la présomption d’innocence à celle de la présomption de culpabilité. Autrement dit, on ne protège plus les citoyens, on les surveille au cas où. Bien sûr, tout cela est fait au nom de la sacro-sainte sécurité. Après des années de labeur acharné à laisser monter le Front national, puis à faire peur avec le terrorisme et maintenant les bandes organisées, les gens sont enfin mijotés à point pour accepter n’importe quoi. Comme ils disent, "c’est un mal nécessaire" !
En réalité, si l’argent utilisé pour des caméras était investi dans la présence régulière de la police et le renforcement de l’éclairage public, beaucoup de choses changeraient. Mais un citoyen pourri gâté qui ne craint ni pour son avenir ni pour sa sécurité a la fâcheuse tendance de vouloir avoir des droits et même de les défendre, le bougre. Ainsi donc, il vaut mieux laisser la situation dégénérer dans les banlieues et pulvériser le pouvoir d’achat. L’animal-citoyen, abruti par la peur, dira oui à tout.
Seulement, le plus drôle c’est que, si cette présomption de culpabilité est très bien acceptée dans ce type de situation, les gens sont soudain révulsés par une affaire comme celle d’Outreau, qui procède pourtant de la même chose ! On a condamné des innocents, considérés comme coupables dès le départ. Bien sûr, les gens diront "mais enfin ça n’a rien à voir ! Eux c’étaient des honnêtes gens". Oui, c’est évident, mais l’honnêteté n’est pas tatouée sur votre visage. Le criminel, voire le prédateur, a la plus banale des apparences. Il peut être n’importe qui. Ainsi, quand on part de cette idée, tout le monde est suspect, donc tout le monde est "surveillable". L’idée selon laquelle celui qui n’a rien ne se reprocher n’a rien à craindre de la surveillance part donc en fumée.
On peut aussi relever le paradoxe de la phrase de cet homme qui dit "Ca ne porte pas atteinte à la vie privée, parce que si on n’a rien à cacher je pense qu’il n’y a pas de problème à se laisser filmer." Le propre de la vie privée est d’être secrète ! On comprend alors que celui qui ne dévoile pas tout de lui doit certainement avoir des secrets honteux. A l’heure de l’exhibitionnisme comme valeur d’Etat c’est presque logique, mais vous voyez la dérive ?
Chiffres CCTV ici
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