Droits d’auteur à l’ère numérique : la « solution équitable »
La question du droit d’auteur à l’ère numérique recouvre un véritable enjeu de civilisation qui se pose en termes de droit de l’environnement intellectuel : il s’agit, dans cet environnement, de renouveler le contrat social qui fonde la relation public / créateurs, afin d’assurer son passage sur l’Internet.
Or, les différentes prises de position n’ont, jusqu’à présent, reflété que des intérêts catégoriels, et se sont enlisées dans un affrontement bipolaire : mesures techniques de protection/licence « globale » ou « légale ». Le débat a été confisqué par des lobbies, se posant en héros d’un « droit d’auteur » qu’ils dévoient pour la défense de leurs monopoles, au mépris de l’intérêt général.
Aux dispositions malthusiennes proposées par le gouvernement, une mini-coalition parlementaire a opposé la « licence globale ». Mais s’est-on pour autant attaché à définir le tissu social entre les publics et les créateurs ? L’a-t-on placé en perspective, au regard de la quasi-citoyenneté qui prévaut sur l’Internet ? Qui s’est vraiment demandé en quoi et comment l’évolution technologique obligeait nos sociétés à reconsidérer les fondements du droit d’auteur, et comment préserver la circulation des œuvres à l’ère du « clonage numérique » ?
Si elle devait perdurer, l’actuelle logique d’affrontement ne profiterait qu’à quelques entreprises en situation dominante, qui n’ont aucun intérêt à s’adapter à l’ère numérique. Poursuivant leur stratégie de concentration, elles s’allieraient aux fabricants de matériels et de logiciels, dans l’hypothèse où les DRM prévaudraient (souvenons-nous de l’initiative SDMI - Secure Digital Management Initiative - de la RIAA), ou se rapprocheraient des fournisseurs d’accès Internet, étrangement silencieux mais « attentifs », dans l’hypothèse où la licence légale serait retenue (souvenons-nous de Vivendi Universal). Dans les deux cas, ce serait la fin de la diversité culturelle.
Concrètement, aucune de ces solutions n’est viable, et elles sont toutes deux nuisibles au contrat social qui fonde depuis le XIVe siècle l’économie du droit d’auteur.
Les DRM installent une « police privée » sur chaque ordinateur. Ils sont foncièrement attentatoires à la liberté individuelle et à la sûreté des mêmes individus. Sous l’angle du produit, le consommateur bénéficie du droit de disposer d’un matériel conforme et exempt de vices. Or les DRM empêchent la lecture des fichiers sur certains appareils que l’utilisateur est libre d’acheter. Ils compromettent absolument l’exercice des exceptions et limitations prévues par la directive, notamment l’exception de copie privée.
Quant à la licence globale, elle est doublement injuste. D’une part, elle fait porter l’effort financier sur les internautes, et non sur les fournisseurs d’accès qui se servent implicitement de la possibilité de télécharger pour augmenter le nombre de leurs abonnements. D’autre part, la surtaxe envisagée ne suffirait pas à rémunérer correctement et équitablement les auteurs. A très court terme, elle signerait aussi la mort des producteurs indépendants.
Il ne s’agit donc plus de s’inscrire dans une logique de flux ou dans une logique des œuvres, mais dans une logique de structuration du flux des œuvres, conformément au lien social qui prévaut en droit d’auteur, y compris sur le Net. Ce qui incite donc à privilégier d’abord les intérêts des auteurs et des publics, plutôt que ceux d’industries devant s’adapter à la nouvelle ère concurrentielle. A cet effet, le dispositif que nous proposons avec Maître Antoine Gitton (1) tient en quelques points :
- Replacer le droit d’auteur sa perspective sociale et publique, dans une sphère d’échanges créateurs / publics. Le Code de la propriété intellectuelle serait adapté, afin de permettre aux auteurs de gérer eux-mêmes et directement l’exploitation numérique de leurs œuvres. Les contrats de cession et les mandats de gestion qu’ils confieraient pour l’exploitation de leurs droits sous des modes numériques ne pourraient excéder une certaine durée renouvelable (entre cinq et dix ans).
- Création d’un Registre national desoeuvres de l’esprit et des enregistrements (RNO), gérée par une société de gestion collective ou par un établissement public de type CNC : les créateurs et leurs ayants droit procéderaient en ligne à l’enregistrement de leurs œuvres, en stipulant les conditions qu’ils souhaitent. Ceux qui veulent interdire l’accès à leurs œuvres le publieraient via ce RNO. Les éditeurs de logiciels P2P devraient prévoir une redirection obligatoire vers le RNO, afin que les échanges contrevenant aux stipulations publiées sur ce RNO soient bloqués. Le défaut d’interdiction présumerait la liberté d’échange, qui pourrait alors donner lieu à une compensation équitable.
- Cette société (ou cet établissement) mettrait en place un mécanisme de déclaration numérique et de paiement sécurisé, pour assurer la rétribution immédiate des ayants droit. L’organisme en charge du RNO mettrait en œuvre, avec les sites hébergeurs de logiciels P2P, des MTP visant à identifier les œuvres et à filtrer, en les bloquant, celles toujours protégées qui seraient mises illégalement en ligne.
- L’exploitation en ligne des œuvres libres de droit donnerait lieu à une redevance de soutien à la création (RSC), destinée à soutenir la production indépendante et les artistes interprètes. Cette RSC pourrait être assise sur les recettes d’exploitation des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Le taux en serait déterminé par une négociation collective.
Ce dispositif implique et responsabilise tous les acteurs concernés : auteurs, interprètes, producteurs, éditeurs, diffuseurs, fournisseurs d’accès et internautes. Il oblige aussi les industriels à proposer enfin des offres légales vraiment attractives. Enfin, il redonne aux auteurs le contrôle de l’exploitation de leurs œuvres sur Internet.
Cette « solution équitable » nous semble donc profondément républicaine. Après l’avoir imaginée, sollicités par le Parti socialiste, nous avons finalement décidé, confrontés à l’incohérence de son fonctionnement interne, de lui en retirer les droits d’exploitation pour l’offrir à l’espace public où chacun, de bonne foi, pourra s’en saisir.
L’ensemble de ces éléments de réflexion est maintenant consultable par tous (2) : au peuple et à la représentation nationale de s’en saisir, d’en débattre, et d’adopter des mesures qui soient dignes de l’histoire de la France en matière de droits d’auteur. Quand il s’agit d’un domaine aussi sensible que la circulation des œuvres, il ne sera jamais trop tard pour bien faire. Encore faut-il le vouloir...
(1) Antoine GITTON est avocat à la Cour et enseigne le droit d’auteur à Paris-X. Il a créé l’association Mens publica en 2005 pour développer « l’axe créateur - public ».
Franck Laroze vient, quant à lui, de quitter officiellement le PS.
(2) Rapport et amendements en ligne sur http://www.gitton.net
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