Les prix : comment ça marche ?
Cet été, en me promenant en Espagne, j’ai eu de la peine en voyant des Français s’entasser dans des supermarchés construits spécialement pour eux pour y acheter de l’alcool moins taxé, ou gagner dix centimes sur le litre de gazoil, soit 5 euros sur un plein (ce qui suppose d’habiter à moins de 16 km pour le rentabiliser !). Cela m’a fait réfléchir sur le sens du prix des choses et sur la portée politique de l’acte d’acheter.
Le prix n’est autre que cet artifice qui permet de réguler l’offre et la demande. La valeur d’un objet, d’un service... ou d’un homme est donc très arbitraire. Cette simplicité ne représente pas les vrais coûts, sociaux, environnementaux, énergétiques... C’est pourquoi il est primordial d’analyser ce qui se cache derrière un prix.
Cartier ou Lidl, on ne connaît pas le coût réel
Fabriquer un produit coûte de la main-d’oeuvre, de l’énergie, du transport, des intermédiaires... ces éléments étant eux-mêmes régis par le rapport entre offre et demande. En revanche, certains coûts ne sont pas inclus et sont d’ailleurs très difficiles à chiffrer. Comment chiffrer les coûts sociaux, les maladies professionnelles, le stress ? Sur le plan environnemental, comment chiffrer le réchauffement climatique que vont générer les intrants et l’énergie utilisés ? L’épuisement de cette énergie aura des impacts également non chiffrables. Les emballages gourmands en matières premières polluantes seront éliminés avec des coûts chiffrables mais non entièrement à la charge du fabricant. Les infrastructures routières pour les bateaux, camions ainsi que les hôpitaux et pompiers également impliqués sont aussi une variable à prendre en compte. A l’inverse, on peut se demander si les subventions publiques sont bien répercutées directement sur le prix final.
Pensez-vous que les bijoux présentés ci-contre (boutique Cartier, Paris 8e) coûtent réellement le prix affiché ? Pensez-vous que les ouvriers qui ont extrait les diamants soient très bien payés ? Que l’environnement ait été vraiment protégé dans la mine ? Rien n’est moins sûr, et les mêmes diamants seront peut-être vendus dix fois moins cher dans un autre magasin moins "select". Ce prix monstrueux n’est que le reflet de la rareté d’un produit destiné à des gens très riches. Le prix est alors surestimé par rapport au coût.
A l’inverse, les produits "discount" sous-estiment les coûts cachés. Ceux qui les fixent font souvent travailler les employés dans des conditions plus que moyennes, utilisent des procédés polluants notamment en agriculture ou du moins ne se soucient pas plus que ça de l’impact sur le milieu, le prix étant plus important que tout.
Plus ça revient cher, moins c’est vendu cher
Les coûts cachés sont le plus souvent supportés par l’argent public à travers les impôts, dont ceux payés par les entreprises, il est vrai*. Seulement, nous importons de plus en plus de produits qui sont fabriqués à l’autre bout du monde, ont été transportés dans des navires et par camions, ont été fabriqués par des personnes exploitées et dans des usines loin de respecter les mêmes normes environnementales et loin de payer les mêmes impôts qu’en France. Les coûts devraient en théorie être plus élevés, mais le rapport offre/demande permet l’inverse. Magique.
Magique ? Enfin pas tout à fait, car cette sous-estimation, ou cette non-prise en compte de certains coûts, ne fait qu’augmenter une dette environnementale pour les générations futures et pomper l’argent public.
Bien entendu, il est extrêmement difficile de calculer le vrai coût dans cette échelle macro économique, mais il est tout de même possible de faire attention à ses achats.
Régulièrement
nous voyons des sondages dans lesquels les Français se disent prêts à
payer un peu plus s’ils ont la garantie que les conditions de travail
des ouvriers seront respectées ou que l’environnement sera préservé.
Mais qu’en est-il ?
Aujourd’hui, le prix est devenu pratiquement le seul paramètre qui influence l’achat.
On voit fleurir les "hard discount", chacun chasse la bonne affaire...
J’ai d’ailleurs remarqué qu’on a toujours besoin de se justifier lors
d’un achat : "C’était en réduction, je l’ai eu moins cher, je l’ai trouvé sur un super site pas cher", comme s’il était honteux de payer un prix décent.
D’ailleurs la décence du prix d’un produit, on ne la connaît plus, on
est par exemple habitué à payer le kg de tomates 1,5 euro, et l’on trouve
des billets d’avion à 10 euros !
Qu’est-ce qui motive les personnes qui payent un produit un peu moins cher, quitte à ne pas payer les taxes à
la Sécu ? (ces gens-là doivent être ravis que 248 spécialités
pharmaceutiques soient prochainement déremboursées ou moins remboursées
!)
Je pense qu’il faudrait que les habitudes d’achat changent, et que le prix brut ne soit plus le seul critère d’achat. C’est sans doute utopique, mais il suffit de réfléchir un peu pour voir le bien-fondé d’un tel comportement.
En effet, en suivant le raisonnement précédent, si j’achète les patates les moins chères chez Lidl, seront-elles vraiment les moins chères, en comparaison des bio achetées sur le marché ? Les patates bio ont bénéficié de moins de subventions de la PAC (qui viennent des d’impôts que j’ai payés) ; elle ne pollueront pas le sol et éviteront de construire des usines d’eau potable hyper perfectionnées, ne contiendront pas de pesticides ni de nitrates qui sont cancérigènes et éviteront des soins hospitaliers chers ; elle feront vivre une exploitation agricole plus extensive et plus de paysans qui sont attachés à la terre et au maintien des paysages, feront économiser du pétrole avec lequel sont fabriqués les engrais et pesticides et qui sert au transport ; elles économiseront les dividendes sur actions et les stocks options aux actionnaires et PDG des multinationales agro-alimentaires et des grandes surfaces qui les distribuent. Et j’en ai sansdoute oublié...
La patate bio locale du marché doit coûter moins cher que celle de chez Lidl produite en culture intensive à mille kilomètres
La consom’action est réservée à quelques bobos friqués, nous dit Renaud dans sa dernière chanson, mais je remarque qu’on voit des 4X4 sur les parkings de Lidl, que ceux qui vont au moins cher ne sont pas forcément les plus pauvres. Réfléchir à la portée de ses achats n’est pas une histoire de moyens, mais surtout de conviction et de volonté. Il est nécessaire en effet de sortir de la logique : "Il me faut le dernier écran plat, même à crédit."
Espérer que tout un chacun fasse systématiquement le raisonnement précédent lors de son achat n’est bien entendu pas réaliste. Moi-même je ne le fais pas pour tout et jusqu’au bout...
Nous venons de le dire, seul le prix a un impact réel sur nos habitudes, alors pourquoi ne pas imaginer de taxer les produits en fonction de la distance qu’ils ont effectuée, en fonction des réglementations sociales et environnementales
des pays d’origine, en fonction des techniques de fabrication ? La
patate bio locale du marché doit coûter moins cher que celle de chez
Lidl produite en culture intensive à mille kilomètres !
A terme, le commerce équitable devrait être la norme. Voilà un bon moyen de rupture, un mot très présent dans la bouche de certains, en ce moment !
*
Sur le total des impôts perçus par l’Etat et les collectivitées
locales, la taxe professionnelle = 6,2% et l’impôt sur les bénéfices
des sociétés et leurs contributions sociales = 10,1% (source Alternatives économiques 10/2006)
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