Cascades d’informations et formation de bulles
Avant leur implosion, les « bulles » financières sont des formations difficiles à identifier et ce même par des spécialistes chevronnés comme l’ancien président de la Fed, Alan Greenspan, qui n’avait effectivement pas anticipé celle des marchés boursiers des années 90 pas plus que celle de l’immobilier qui sévit de nos jours... Ainsi, dans son autobiographie parue en 2007, évoque-t-il son sentiment de malaise face aux exagérations boursières (« irrational exuberance ») des années 90, mais avoue également qu’« il n’est pas possible d’identifier une bulle avec certitude, et encore moins d’y remédier, avant qu’elle n’explose » !
M. Greenspan confirme ces difficultés de perception des bulles en indiquant qu’il ne voyait pas une bulle immobilière mais "une multitude de petites bulles locales qui ne pourraient jamais nuire à l’ensemble de l’économie".
Or, la crise que traversent actuellement les marchés américains et mondiaux est précisément due à cette incapacité d’isoler et d’appréhender la bulle immobilière. Nous devons donc considérer l’hypothèse tout à fait crédible qu’un certain nombre d’investisseurs et d’opérateurs sensés et rationnels, n’étant pas à même d’identifier cette bulle, ont néanmoins persisté à investir sur ce marché dans le but de maximiser leurs profits.
Dans un article paru en 1992 qui a fait référence, trois économistes Bikhchandani, Hirschleifer et Welch avaient défini le phénomène de "cascades d’information" responsable tout à la fois du fourvoiement d’investisseurs par ailleurs disciplinés et de la formation de bulles financières. Cette théorie, qui permet effectivement de décrire le cadre de la crise que nous traversons actuellement, repose principalement sur la problématique de la chaîne de transmission des informations. Selon Bikhchandani, Hirschleifer et Welch, si un groupe de personnes doit prendre une décision basée sur des informations véridiques, mais incomplètes, chaque individu - ayant certes reçu un morceau d’information correcte - aura néanmoins tendance à prendre la mauvaise décision ! Dans le cas de la bulle immobilière, si chaque individu qui doit prendre une décision quant à l’opportunité de l’acquisition d’un bien dispose de 60 % de chances de prendre la bonne décision, il n’en reste pas moins que chaque individu - pris séparément - ne dispose pas à lui seul de toutes les informations indispensables à cet acte, notamment des informations lui permettant de discerner une bulle... Ainsi, les informations à disposition de chaque individu - même celles à disposition d’une personne comme M. Greenspan ! - seraient fiables quoique incomplètes de telle sorte qu’elles ne l’autoriseraient pas à se former un jugement clairvoyant et totalement adapté aux circonstances.
Certes, cet écueil pourrait être évité en mettant toutes les informations en commun grâce à une réunion plénière de tous les investisseurs à l’issue de laquelle serait prise une décision collective qui serait la bonne... Pourtant, ce partage d’informations se pratique rarement dans la réalité car la décision d’investissement - et le passage à l’acte - est d’abord et avant tout une démarche solitaire et personnelle. Considérons ainsi le cas de Jacques, faisant partie des 40 % qui prennent la mauvaise décision, qui achète malencontreusement un bien immobilier en dépit d’indicateurs et d’un marché défavorables. Georges, autre investisseur, qui voit que Jacques a manifestement payé son investissement à un prix trop élevé, dispose d’informations sur ce marché qui semblent contredire Jacques. Pourtant, Georges, conscient qu’il ne dispose pas de toutes les informations relatives à ce marché, se résout également à y investir. Ainsi, nos deux compères ayant pris une mauvaise décision entraîneront néanmoins d’autres investisseurs dans leur sillage - convaincus de ne pas disposer d’informations aussi complètes que ceux ayant déjà acheté - et ce en dépit d’un marché surévalué !
Toujours selon Bikhchandani, Hirschleifer et Welch, cette cascade d’informations aboutit à 37 % de mauvaises conclusions, c’est-à-dire que plus d’un tiers des 60 % d’individus rationnels disposant de bonnes informations seront amenés à prendre des décisions inappropriées ! Ainsi, ce phénomène de cascades est-il susceptible de fausser le jugement de tout individu, aussi sensé et réfléchi puisse-t-il être !
Cette théorie bat en brèche celle de l’efficience des marchés selon laquelle chaque opérateur en bout de chaîne est amené indépendamment à prendre ses décisions selon les informations dont il dispose et qui aboutit à la conclusion contestable que le marché a toujours raison car, en finalité et pour solde, le marché prendra toujours la bonne décision... Mais que devient cette théorie, qui pose comme principe de base que les individus prenant une décision sont rationnels, dès lors que dans la réalité ces mêmes investisseurs sont constamment influencés par leurs émotions ainsi que par des facteurs exogènes tels que des campagnes publicitaires des lobbies de l’immobilier... ?
Dans un tel contexte, on peut comprendre que même des experts et des spécialistes puissent se laisser abuser et entraîner à alimenter des bulles tout comme on peut d’ores et déjà prévoir que de telles cascades d’informations seront responsables d’exagérations à la baisse de certains marchés !
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