Immobilier : après les taux bas, un réveil difficile ?
A première vue, les taux de crédits particulièrement bas sont favorables aux emprunteurs. Ils permettent d’acheter soit plus grand, soit sur une période plus courte. Ils autorisent également les renégociations de prêts contractés il y quelques années à des taux plus de deux fois supérieurs. Une situation qui semble donc tout à l’avantage de l’emprunteur. Est-ce vraiment le cas ? Analyse.
Depuis 2008 et la crise dite des subprimes, l’économie mondiale est fragilisée.
En raison de l’ampleur de la crise, les banques centrales ont pris des mesures exceptionnelles, consacrant des centaines de milliards d’euros pour acheter des dettes souveraines.
C’est ainsi que la Banque Centrale Européenne (BCE), avait annoncé en janvier 2015 qu’elle injecterait, jusqu’en septembre 2016, 1140 milliards d’euros pour acheter de la dette publique et privée. Depuis, ce plan a été prolongé jusqu’en mars 2017. Ce sont désormais 80 milliards d’euros mensuels qui sont engloutis dans le Quantitative Easing. Il est probable que la BCE annoncera, en décembre de cette année, la prolongation de ce plan bien après mars 2017.
Parallèlement à cette politique de rachat des dettes d’Etats et de sociétés privés, la BCE a ramené progressivement son taux directeur à 0%. Ce taux interbancaire sert à déterminer le taux auquel les banques prêteront aux entreprises et aux particuliers.
Pour inciter les banques à ne pas thésauriser leurs liquidités, la BCE a également diminué son taux de dépôt. En principe, ce taux est positif et rémunère les dépôts d’argent des banques auprès de la BCE. Depuis juin 2014, ce taux est négatif. Actuellement, il est de -0.4% pour inciter les banques à prêter plus aux entreprises et aux ménages à dessein de stimuler l’activité économique.
Les objectifs de cette politique monétaire
Très concrètement, les objectifs de la BCE sont multiples :
- Favoriser l’accès aux crédits des entreprises afin de soutenir les investissements ;
- Favoriser l’accès aux crédits des particuliers pour relancer la croissance ;
- Lutter contre le risque de déflation et approcher l’objectif communautaire d’une inflation annuelle proche des 2%.
Ce plan repose uniquement sur l’afflux de liquidités pour les banques censées injecter tout cet argent dans l’économie réelle.
Jusqu’ici tout va bien
Les effets de la politique d’assouplissement monétaire de la BCE sont donc concrets, pour une partie de la population, puisqu’emprunter, en vue d’acheter un bien immobilier, n’a jamais été aussi bon marché.
En octobre 2016 malgré un ralentissement dans la baisse des taux de crédit, il ressort que le taux minimum sur 20 ans est de 1.08 %. A priori, aucune raison de s’en plaindre, n’est-ce pas ?
Dans cette ambiance d’euphorie générale, les renégociations des anciens prêts vont bon train, comme le montre cette note d’octobre de la Banque de France.
En 2015, ils représentaient la moitié de ces nouveaux crédits. Après la stagnation de la baisse des taux et leur légère remontée durant l’été, les dossiers portant sur des demandes de renégociations de crédits avaient baissé.
En 2016, le mouvement a repris en raison de la baisse continue des taux depuis novembre 2015, passant de 2.36%, toutes durées confondues, à 1.72 % en août 2016. Cela a donc fait grimper de plus de 20 points la part des dossiers de renégociations de crédits, passant de 28.5 %, en mars, à 49.9 %, en août de la même année.
Jusqu’à présent, cette situation semble donc profiter aux acheteurs qui bénéficient de conditions exceptionnelles pour emprunter. Cela contribue également à augmenter le pouvoir d’achat de ceux qui ont un crédit plus ancien. Renégocier son prêt permet de gagner beaucoup d’argent, soit en remboursant plus vite son crédit, soit en allégeant le montant de ses mensualités.
Le revers de la médaille ?
Derrière ces relatives bonnes nouvelles pour les emprunteurs, il y a un os. Les résultats de l’assouplissement monétaires de la BCE ne sont malheureusement pas à la hauteur des attentes. La BCE révisant d’ailleurs ses objectifs de croissance et d’inflation aussi bien pour 2016 que pour 2017. La même BCE qui s’attend désormais à une hausse du PIB de la zone euro de 1.4 % au lieu de 1.5 % en 2016. Pour 2017, la prévision de hausse n’est plus que de 1.7% au lieu de 1.9%.
Concernant l’inflation, les projections de la BCE pour la zone euro affichent une baisse très nette par rapport aux prévisions précédentes. Ainsi, pour 2016, la hausse attendue est ramenée à 0.1% au lieu de 1%. En 2017, la hausse attendue passe à 1.3% au lieu de 1.6%
Quelle conséquence pour l’immobilier ?
Si une grande majorité des acteurs de la profession verse dans le déni de réalité et dans l’autosatisfaction la plus manifeste, certains professionnels, plus avisés, tirent la sonnette d’alarme.
Ainsi, Sébastien de Lafond, explique depuis des mois que le marché immobilier est sous « perfusion massive », gavé aux taux bas, mais également au PTZ et au Pinel. Les points clés de la note de « Meilleursagents.com », de septembre 2016, détaillent tous ces points.
Henry Buzy Cazaux, dans sa tribune de Capital, constate également cette jubilation collective et pointe du doigt un problème qui arrive à grand pas : la santé financière des banques face à l’érosion de leurs marges. S’il est difficile de verser une larme pour ces dernières, il faut comprendre qu’une banque est une entreprise comme une autre et que son objectif est d’engranger des profits. Avec une politique de taux bas, elles se retrouvent coincées.
Les taux bas n’apportent pas de remède et deviennent la cause principale du problème. Le marché immobilier a une épée de Damoclès au-dessus de la tête et évolue dans la crainte de la hausse des taux. Les principaux acteurs et les pouvoirs publics, qui n’ont aucune politique du logement digne de ce nom, alimentent cette euphorie générale à grands coups d’effets d’annonces et de communiqués pour maintenir l’illusion que tout va bien pour le marché immobilier.
Hors, non, tout ne va pas bien pour le marché immobilier
Très concrètement, le résultat s’avère catastrophique pour le marché immobilier.
Derrière l’euphorie générale basée, entre autres choses, sur le nombre de transactions dans l’ancien, le marché va plutôt mal. En effet, comme le précise si bien Sébastien de Lafond, le marché est sous perfusion. Est-ce le signe d’un marché qui se porte comme un charme ? Si la baisse massive des taux entretient l’illusion que tout va bien, les aides gouvernementales prodiguent au malade les derniers soins palliatifs.
Ajoutez une bonne communication laissant entendre que « tous les voyants sont au vert » et le tour est joué : c’est formidable, tout va bien, il faut acheter, vite, foncez ! Malheureusement, tout n’est pas aussi rose et les fondamentaux participant à la bonne santé du marché sont totalement absents :
- Croissance économique française complètement atone ;
- Chômage toujours aussi soutenu ;
- Manque de confiance en l’avenir ;
- Les prix, toujours trop élevés ;
- La possibilité d’une surbulle immobilière qui serait cataclysmique ;
- La sortie des taux bas qui se complique au fur et à mesure que les mois défilent.
L’étau se resserre
Les taux bas, voire négatifs, ont ceci de particulier qu’ils donnent l’impression que la machine fonctionne parfaitement bien. Dans un premier temps, effectivement tout est réuni pour faire croire que c’est une bénédiction. Les inconvénients viennent assez vite car les taux bas sont la conséquence de la politique d’assouplissement de la BCE qui se nomme aussi « planche à billets ». En d’autres termes, cela signifie que cet apport de liquidités n’est rien d’autre que du papier, papier n’ayant pas plus de valeur que celui utilisé pour les toilettes :
- Les milliards d’euros consacrés à cet assouplissement monétaire n’arrivent pas jusqu’au consommateur ;
- Les entreprises, TPE/PME, n’ont pas forcément besoin de crédits, elles ont besoin de visibilité, de perspectives de marché, de commandes ;
- Les entreprises qui bénéficient le plus de cette manne sont les plus solides, les multinationales à la trésorerie déjà bien garnie ;
- Les conditions sont, il est vrai, très bénéfiques aux emprunteurs. Toutefois, ces conditions favorables ne le sont que pour les meilleurs profils. Tous les autres en sont exclus.Cet article de LaVieImmo, relatant le rapport d’un groupe d’experts chargés de faire des propositions pour améliorer l’accès au crédit de ceux qui ne sont pas employés en CDI, est assez révélateur. Il évoque une étude du courtier Vousfinancer confessant que seuls 3.5% de ses clients en CDD parviennent à emprunter. D’un autre côté, selon une estimation de la Dares, 85 % des embauches actuelles se font en CDD ;
- Cette politique de la planche à billets est utilisée depuis plus de 20 ans au Japon par sa banque centrale. La croissance est amorphe et l’inflation nettement inférieure aux objectifs affichés. Pourquoi le plan de la BCE fonctionnerait-il mieux que celui du Japon ? Jusqu’à présent, les résultats sont aux abonnés absents ;
- Cet afflux d’argent se faisant par le biais des obligations d’Etats, le risque de crise obligataire est réel ;
- Les emprunteurs sont également des investisseurs et les victimes de cette politique des taux bas apparaissent. Les assurances vie sur fonds euros voient les rendements s’effondrer pour les épargnants ;
- Le risque est que tous les investissements se fassent dans l’immobilier, jugé à tort comme plus sûr. Cela participerait à la création d’une bulle gigantesque précipitant la chute du reste de l’économie. En effet, les liquidités ne se reporteraient pas dans l’économie productive, ou pour une part infime. Un scénario infernal ;
- Il serait dangereux qu’une bulle immobilière se forme. Les prix s’affichent déjà à un niveau insoutenable et la folle hausse des années 2000 n’a pas été compensée par la baisse entamée en 2011. Les prix sont à un plafond car, en dépit de facteurs hyper favorables, soit ils baissent, soit ils augmentent faiblement. A la moindre hausse, le marché se grippe. Ce qui fait perdre des milliers d’acheteurs solvables, principalement les primo-accédants. Sans eux, le marché ne peut pas fonctionner. Au risque d’entraîner une augmentation du stock de biens anciens en vente, une baisse du nombre de transactions et ensuite une baisse des prix généralisée jusqu’à ce que l’équilibre soit retrouvé. Sauf nouvelle intervention étatique ou baisse des taux encore plus marquée.
L’inconvénient de l’immobilier réside dans l’illusion de richesse qu’il procure dans un patrimoine. L’étude de Xerfi, reprise dans cet article de Challenges, explique parfaitement cette illusion de richesse ; - Cet apport de liquidités providentielles empêche les Etats d’entreprendre de vraies réformes et d’œuvrer pour stopper les déficits budgétaires. Suicidaire…
Des lendemains qui déchantent pour les banques
Le problème des taux bas réside dans la baisse des rendements pour les banques. Même s’il est difficile de s’émouvoir de leurs difficultés tant elles génèrent de milliards de bénéfices, il faut essayer de comprendre ce à quoi elles s’exposent et par conséquent à quoi elles nous exposent.
Cette baisse de rentabilité génère quantité d’effets pervers :
- Pour tenter de maintenir les rendements, les banques risquent d’investir dans des produits de plus en plus dangereux. Nous payons encore aujourd’hui les effets de la crise de 2008. Si elles sont obligées de prendre de plus en plus de risques, n’est-ce pas jouer avec le feu ? Les conséquences d’une nouvelle crise seraient encore plus dévastatrices, selon les économistes ;
- L’augmentation des tarifs bancaires. Ce n’est pas grand-chose, mais, depuis peu, des frais de tenue de comptes entrent en application et d’autres services, jusqu’alors gratuits, deviennent également payants ;
- Les discussions de Bâle IV sur de nouvelles règles prudentielles pour les banques et qui concernent directement les crédits immobiliers inquiètent. J’expliquais toutes les craintes ressenties dans mon article Agoravox d’avril dernier.
Mon article a d’ailleurs été repris en partie par Dominique Thiébaut dans l’Obs.
Ces discussions font frémir les professionnels de l’immobilier tant elles pourraient bouleverser le marché en excluant certains profils de candidats à l’achat ; - Les risques sur l’emploi sont également présents. Depuis la crise de 2008, les banques ont supprimé 600 000 emplois dans le monde ! Il est assez évident qu’il ne faudrait pas arriver jusqu’à une tempête si une nouvelle crise devait éclater. Le moindre coup de vent suffirait à déclencher des plans de licenciements massifs.
Conclusion
La politique d’assouplissement monétaire de la BCE explique les taux bas dont bénéficient les emprunteurs pour leur acquisition immobilière.
Si le bénéfice est immédiat et fait économiser des milliers d’euros sur le coût du crédit, il faut toutefois relativiser cet enthousiasme débordant. Seuls les meilleurs profils peuvent profiter de ces conditions favorables. L’immobilier reste toujours surévalué et les taux bas ne font que masquer temporairement ce problème.
Ce bourrage de crâne sur les taux bas ne doit pas non plus faire oublier que nos parents achetaient de l’immobilier à des taux bien plus élevés et ne s’en portaient pas plus mal. Au début des années 90, les taux étaient supérieurs à 9% et il était rare de rembourser sur une durée excédant 15 ans. Aujourd’hui, en dépit de taux bas, s’engager sur 15 ans est pratiquement mission impossible pour d’éventuels emprunteurs.
Comme on le voit depuis la chute des taux, il est toujours possible de renégocier son crédit pour bénéficier de conditions plus avantageuses. Acheter à un prix trop élevé et déconnecté de la réalité est une action irrévocable. Plus important que le taux de votre crédit immobilier, le prix d’achat du bien reste l’élément déterminant.
L’euphorie générale ne doit pas masquer la réalité. La qualité d’un bien doit se juger sur ses seules qualités intrinsèques et sur celles de son environnement. La vigilance doit toujours être de mise, quelle que soit la vigueur du marché. Un achat immobilier engage pour 20 ans, l’erreur se paye chère et longtemps, voire à vie.
Même pour un achat de résidence principale, il faut se transformer en analyste, à cause des facteurs externes comme les taux, pour savoir si, oui ou non, la décision d’acheter comporte un risque. Au niveau du logement bien entendu, mais aussi au niveau financier. Risquez-vous de perdre de l’argent à court ou moyen terme ?
Et pour ceux qui ont pu profiter de la période folle des années 2000, lorsque la plus-value en cas de revente était systématique, c’est une tout autre histoire à présent. Bien peu de professionnels de l’immobilier, sérieux, s’engagent sur de telles perspectives de gains faciles dans les années à venir. La revente sans perte d’argent est déjà considérée par beaucoup comme une belle performance en soi.
C’est la raison pour laquelle les taux bas ne doivent pas faire oublier que le bien doit être l’objet de toutes les attentions. Le crédit est juste un moyen de concrétiser votre projet. Mais si le projet est fondamentalement mauvais, ledit crédit ne changera rien à l’affaire. Si vous vous engagez sur un bien nécessitant trop de travaux, une copropriété ruineuse, des nuisances trop nombreuses dans son environnement, vous vous exposez à des pertes financières subséquentes. La légèreté avec laquelle vous aurez acheté ne sera peut-être pas celle de vos futurs acquéreurs si vous avez besoin de vendre. Vous risquez alors de devoir réviser vos prétentions financières à la baisse pour pouvoir vendre et vous perdrez de l’argent parce que votre achat aura manqué de rigueur et de discernement.
Il est malheureux que l’achat immobilier, répondant au besoin fondamental de se loger, soit devenu un casse-tête et fasse peser un risque énorme sur l’acquéreur. Les taux bas et la flûte enchantée, instrument de prédilection de certains acteurs, entretiennent l’illusion que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce n’est pas le cas. Cette réplique du film « La haine » peut s’appliquer à l’immobilier :
« Jusqu’ici tout va bien. L’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. »
Laurent CRIADO
Site Internet : guidepratiqueachatimmobilier.com
Cet article peut volontiers être repris, sans coupures, pour informer le plus de monde possible. La photo illustrant l’article doit rester la même. Le nom de l’auteur doit figurer distinctement en début d’article, un lien doit renvoyer sur la page Agoravox de l’article. Merci à toutes et à tous.
Merci aux journalistes de respecter la déontologie de la profession en mentionnant clairement la source et en évitant toute forme de plagiat.
Si vous avez des attentes sur des thématiques liées à l’immobilier, prévenez-moi directement dans les commentaires ou via mon site.
77 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON