Impôt foncier : grossière manipulation de l’Union des propriétaires
L’Union nationale de la propriété immobilière (UNPI) a publié la semaine dernière un communiqué dénonçant la hausse de la pression fiscale sur l’immobilier. C’est le premier commentaire des travaux d’un nouvel observatoire indépendant créé par l’UNPI. L’indépendance doit-elle servir à dire n’importe quoi ? On comprend bien que les propriétaires appellent les élus locaux à la modération fiscale, mais face à l’opacité de l’impôt foncier dans notre pays, la dénonciation de la hausse de la pression fiscale est particulièrement malheureuse, parce que la seule chose que l’on puisse à peu près valablement affirmer, c’est une baisse !
Tout commence par deux
chiffres simples : le montant perçu pour les taxes foncières
sur les propriétés bâties est passé de
13,995 milliards en 1995 à 24,002 milliards d’euros en 2005,
soit une augmentation de 71% en dix ans, très supérieure
à l’inflation. Le premier gros problème de cette
présentation, c’est qu’on y additionne des torchons et des
serviettes puisque, comme le fait remarquer Philippe Laurent, le
président de la Commission des finances de l’Association des maires de France (AMF), dans les 24 milliards on trouve 5 milliards
de taxe d’enlèvement des ordures ménagères
(TEOM) et 5 milliards de foncier bâti industriel. La TEOM est
un impôt de service répercuté sur les locataires,
quant aux 5 milliards de bâti industriel ils concernent
essentiellement le patrimoine des entreprises et non celui des
particuliers.
Ensuite, il y a un gros
problème sur la notion de pression fiscale. La définition
ordinaire du « coefficient de mobilisation du potentiel
fiscal » dans les collectivités locales consiste à
comparer le produit fiscal perçu au produit fiscal que l’on
aurait perçu en appliquant le taux moyen national. En fait,
cette définition permet de comparer la fiscalité d’une
commune par rapport aux autres, mais cela n’apporte rien dans une
lecture globale puisque, avec cette définition, la pression
fiscale globale reste par définition constante et égale
à 1.
Si l’on veut bien s’écarter d’une définition académique, il s’agit tout de même de faire le rapport entre la valeur du patrimoine et l’impôt prélevé. Et là, patratras ! Même avec une hausse de 71% sur dix ans, on découvre que la variation est inférieure à celle de l’augmentation du patrimoine immobilier : 80% sur huit ans, entre 1995 et 2003, d’après l’Insee ! Si le capital augmente plus vite que le produit des impôts, la pression fiscale baisse.
Dans son communiqué de presse, l’UNPI appelle les élus à la modération fiscale parce que « les dépenses liées à la taxe d’habitation et aux taxes foncières sont énormes par rapport aux revenus des personnes modestes ». On se demande immédiatement si on ne va pas nous refaire le coup du malheureux propriétaire de l’Ile-de-Ré, victime de l’ISF, réduit à vendre une partie de son bien, devant les caméras de TF1. Parmi les propriétaires, il y a bien sûr de modestes propriétaires de pavillons de banlieue, endettés, qui doivent compter chaque mois. Il y a aussi des bailleurs sociaux. On serait content que l’UNPI s’intéresse aux revenus des personnes modestes, mais comment croire deux secondes à la sincérité de la préoccupation d’intérêt général sur la base de l’amalgame d’intérêts sociaux qu’on nous présente là ?
L’absence de transparence laisse quartier libre à la démagogie
La loi de Robien a beaucoup contribué à la hausse du prix de l’immobilier, ce dont l’UNPI semble oublier de se plaindre, d’où la baisse de la pression fiscale. Et pourtant, de nombreuses villes de province commencent à s’inquiéter de la montée du stock de logements vides issus de la défiscalisation dont bénéficient les propriétaires aisés, et indirectement les constructeurs de logements neufs. Cela inquiète d’ailleurs les bailleurs sociaux, beaucoup ont déjà deviné ce qu’on va leur demander dans les années, si ce n’est dans les mois à venir : reprendre des immeubles pas toujours bien adaptés aux besoins de la demande sociale de location, pour limiter la casse dans l’immobilier privé financé à coups de déductions fiscales.
L’impôt foncier souffre surtout d’une grande inégalité entre les communes parce que la base de calcul est archaïque dans ses modalités comme dans ses valorisations. Tout cela date des années 1970 avec une mise à jour qui ne fonctionne pas correctement. La comparaison des taux d’imposition d’une ville à l’autre n’indique pas la réalité des écarts. L’absence de transparence est un vrai problème, il n’y a pas de rapport lisible entre la valeur du patrimoine et l’impôt. Par ailleurs, le taux de l’impôt foncier est le moins encadré des « quatre vieilles » taxes locales, donc il monte plus vite que la taxe d’habitation ou que la taxe professionnelle, c’est tout à fait vrai. En réalité, on a bien du mal à savoir quoi que ce soit de cohérent.
La notion même de pression fiscale est trop floue : bien entendu, si la bulle spéculative sur le foncier éclate, le montant de l’impôt foncier ne baissera pas. La stabilité est la vertu de l’impôt foncier pour les collectivités locales, mais l’opacité du système finit par ouvrir la porte à toutes les démagogies et permet ainsi à l’UNPI de dire à peu près n’importe quoi.
Pour
suivre l’impôt foncier, la Direction générale des impôts fournit aux mairies un logiciel particulièrement
verrouillé, appelé VisDGI. Résultat,
pratiquement aucun employé municipal n’est en mesure
d’expliquer correctement au contribuable le pourquoi du comment dans
le calcul d’une feuille de taxe foncière. Théoriquement,
il est aussi interdit de donner une photocopie du cadastre dans une
mairie. Cela suffit ! Alors que, regardez le rôle de taxation
de Gatineau, par exemple le 20 rue du Cabernet, c’est transparent,
compréhensible et ouvert à tous. Nous ne sommes pas
plus bêtes que nos cousins d’Amérique du Nord :
l’impotence de certaines de nos administrations publiques laisse
quartier libre aux pires démagogies motivées par des
intérêts privés.
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