La Mafia au secours des Banques
Etrangement, cette information ne fait pas la une.
Antonio Maria Costa est directeur de l’UNODOC (office des Nations unies contre la drogue et le crime).
Interviewé par le journaliste Gregor Seither il affirme que : « certains crédits interbancaires ont été récemment financés par de l’argent provenant du trafic de drogue et d’autres activités illégales ». lien
Costa estime les revenus du commerce de la drogue à environ 400 milliards d’euros annuels, et ajoute-t-il « selon nos recherches, la majorité de cet argent a été absorbé dans le système économique légal et a servi de pilier fondamental contre la crise ». lien et plus loin : « les prêts interbancaires ont été financés par les revenus de la vente de la drogue et autres activités illégales. Il y a clairement des signes qui montrent que certaines banques ont été sauvées par cet argent ». lien
L’ONU estime que le blanchiment, toutes origines confondues représente 1000 milliards de dollars par an. lien (source : Thierry Francq et Alain Damais, problèmes économiques, n° 2674, 19 juillet 2000, p2).
Pourtant les USA prétendent avoir fait des efforts pour lutter contre la drogue, et auraient versé 5 milliards de dollars durant les dernières décennies, sauf que l’argent a fini entre les mains des paramilitaires, servant surtout à intimider les électeurs, et à maintenir le pouvoir en place, sans diminuer pour autant la production de drogue. lien
Ceux qui pensent que l’argent n’a pas d’odeur font une grosse erreur : en étudiant les billets de banque américains provenant de 17 villes du pays, 95% d’entre eux étaient porteurs de trace de cocaïne. lien
L’Espagne, porte d’entrée de la cocaïne colombienne en saisit en moyenne 39 tonnes par an, mais combien de tonnes passent entre les mailles du filet ? lien
Au Maroc, depuis le début des années 90, les sources officielles évaluent à 2 milliards de dollars l’apport du trafic de haschich au PIB marocain, et c’est la première ressource financière du pays. lien
En 1993, la Wafabank d’Arles a été condamnée pour blanchiment d’argent de la drogue.
Les trafiquants de drogue en tout genre ne manquent pas d’imagination, tels ces deux frères qui troquaient des « bd collectors » contre des milliers de doses de méthamphétamines. lien
Comme tout se recoupe, une bd (l’affaire des affaires/ Dargaud) signée Yan Delingre, Laurent Astier et Denis Robert, (le célèbre investigateur de l’affaire Clearstream), démontre aussi l’implication de l’argent de la drogue dans le sauvetage des banques. lien
L’hebdomadaire « Austrian Weekly Profil » affirme que l’argent de la mafia italienne aurait été blanchi entre 2005 et 2007 à travers 14 comptes domiciliés dans des établissements autrichiens.
Le journal aurait eu accès à des documents prouvant que la Bank Austria et la Raiffeisen Zentralbank. lien
Roberto Saviano, un journaliste italien de 31 ans ne dit pas autre chose dans son livre « Gomorra », (chez Gallimard / octobre 2008) vendu à 2 millions d’exemplaires et la mafia l’a condamné à mort pour cela.
Il affirme que les activités de la mafia ont un rapport avec les grandes sociétés européennes et qu’en fait çà touche l’économie toute entière.
Pour lui, c’est la forme ultime du libéralisme dans une économie mondialisée.
Un film, grand prix du festival de Cannes, a été tiré de son livre en 2008.
Il est depuis sous protection policière.
On peut l’écouter sur cette vidéo.
Comme l’affirme Gregor Seither « dans un marché capitaliste où seul compte la valeur monétaire, l’argent de la drogue, du trafic humain et de la misère est un investissement comme un autre. Le cout réel d’un gramme de cocaïne est d’à peine 15 centimes. C’est la prohibition et l’immense machine répressive d’Etat autour de la « guerre de la drogue » qui maintiennent les prix élevés et garantit les profits des « narcos »…ainsi que les salaires de centaines de milliers de fonctionnaires, agents de police, contractuels à travers le monde…la légalisation mettrait tout ce système par terre, ruinerait les mafias, et dégagerait de l’argent public pour des missions plus importantes comme la santé ou l’éducation. Mais cela n’arrivera jamais, le système a trop besoin de la drogue comme source de revenus, comme moyen de pression et comme légitimation de la répression ». lien
Mais pour lutter contre le blanchiment de l’argent de la drogue, il faut lever le secret bancaire.
Comme l’écrit le CAAT (conseil aide et action contre la toxicomanie) « la lutte contre la drogue n’est efficace que si l’on neutralise les moyens qui permettent aux trafiquants de dissimuler l’origine des fonds dont ils sont titulaires (…) on a constaté que les trafiquants utilisent largement le système bancaire et financier à cette fin, le secret bancaire interdisant aux établissements de crédit de divulguer des informations concernant leur clientèle ». lien
Pourtant des lois existent qui permettraient aux banques d’agir.
La loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 repose sur des obligations de vigilance qui ont pour objet d’imposer aux organismes financiers une obligation de déclaration.
Selon l’article 3 de cette loi, « les établissements de crédit doivent déclarer au service « tracfin » les sommes inscrites dans leurs livres lorsque celles-ci leur paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou de l’activité d’organisation criminelle ». lien
Cette déclaration peut être verbale ou écrite, et il est même prévu à l’article 8 de cette loi que toute poursuite « pour violation du secret professionnel à l’encontre des dirigeants bancaires doit être écartée ».
On peut donc s’interroger légitimement sur la continuation du secret bancaire ?
De temps à autre, de timides actions voient le jour, comme lorsque les américains ont demandé aux autorités luxembourgeoises de bloquer certains comptes liés au cartel de Medelin (c’était en fin 1989).
Pablo Escobar, propriétaire du compte en question, est mort, et la somme bloquée ( ?) estimée à 3 millions d’euros dormirait toujours dans les coffres de la banque. lien
La banque BLG BNP Paribas confirmait que l’argent du narcotrafiquant n’a toujours pas été réclamé par les Etats Unis.
La réponse nous vient de Catherine Austin Fitts, directrice du Dillon Read, banque d’investissement à Wall Street.
Elle dévoila en 2007 lors d’un congrès que 500 à 1000 milliards de dollars d’argent en provenance du trafic de drogue servait à financer la croissance. lien
Elle affirmait « sans ces centaines de milliards qui gonflent artificiellement l’économie américaine, les USA subiraient une crise plus dure que celle de 1929 ».
On découvre aujourd’hui les limites de son analyse, puisque la crise est là, et bien là, et pour quelques temps encore…malgré l’argent de la mafia.
Car comme disait mon vieil ami africain :
« Ce qu’un vieux voit couché, un jeune ne le voit pas, même debout ».
(Photo de Christophe Paquien)
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